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Paul Klee au LaM de Villeneuve-d'Asc : quand l'artiste allemand s'inspirait des dessins d'enfants et de "l'art des fous"

Le LaM de Villeneuve-d'Ascq nous propose de regarder l'oeuvre inclassable et un peu mystérieuse de l'artiste allemand Paul Klee en se penchant sur des arts qui l'ont inspiré, celui des enfants, celui les malades mentaux, celui des hommes des cavernes et celui des horizons lointains (jusqu'au 27 février 2022).

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Paul Klee, "Zweifrucht-Landschaft II" (Paysage aux deux fruits II), 1935, gouache sur papier, 13 x 33 cm. Collection particulière.  (Photo : DR Laure)

Le LaM de Villeneuve-d'Ascq consacre une belle exposition à l'artiste allemand Paul Klee, figure majeure et inclassable de l'art moderne, dont il propose une relecture à travers quatre sources qui l'ont inspiré : l'art asilaire, l'art préhistorique, l'art extra-occidental et les dessins d'enfants. Une présentation qui s'appuie sur un important travail de recherche.

"Il n'y a pas un seul Klee, celui qu'on propose souvent dans les expositions, le Klee didactique, découpé à travers une chronologie bien connue. Nous avons voulu proposer d'autres facettes de son œuvre, un Klee inattendu, articulé autour de quatre sections. Un choix arbitraire, parce qu'il y a de nombreuses manières de lire Klee", explique Sébastien Delot, le directeur du LaM (Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut). Le musée possède trois œuvres de Paul Klee (1879-1940) et "c'était l'occasion d'accueillir un des grands artistes de la collection qui n'avait pas encore eu sa grande exposition monographie au LaM", précise Jeanne-Barhilde Lacourt, sa conservatrice en charge de l'art moderne.

Paul Klee, "Versunkene Insel" (L'île engloutie), 1923. LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole.  (Photo : Philip Bernard)

Des mondes que voient les enfants, les primitifs et les fous

L'exposition est organisée avec le Zentrum Paul Klee de Berne, qui conserve quelque 4 000 œuvres et les archives de l'artiste né en Suisse dans une famille de musiciens allemands, qui a étudié l'art en Allemagne, enseigné dix ans au Bauhaus et qui a dû revenir en Suisse en 1933. "J'étudie Klee depuis une dizaine d'années et j'ai toujours lu que ses œuvres ressemblaient à des dessins d'enfants, à de l'art préhistorique ou non européen. Je me suis toujours demandé s'il avait vraiment étudié ces arts", explique Fabienne Eggelhöfer, conservatrice en chef du Zentrum Paul Klee. Pour cette exposition, "nous nous sommes plongés dans nos archives, nous avons regardé sa bibliothèque, sa correspondance, et nous avons trouvé de nombreuses sources" qui attestent qu'il s'est bien intéressé à ces sujets.

L'exposition s'intitule "Entre-mondes" : Paul Klee a évoqué des "mondes intermédiaires", qu'il voit "entre les mondes qui nous sont extérieurement perceptibles par les sens". Ces mondes, "il se peut que ce ne soient vraiment que les enfants, les fous et les primitifs qui les voient", dit-il. Remettant en question l'enseignement académique qu'il a reçu, l'artiste veut revenir à de supposées origines de l'art, qu'il pense trouver dans ces sources, pour créer un vocabulaire nouveau.

Paul Klee, "Abendliche Figur" (Figure du soir), 1935, aquarelle sur papier, 48 x 31 cm. LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole.  (Photo : Philip Bernard)

Une infusion des sources

120 œuvres magiques se déploient sur le pourtour de quatre salles, autour d'îlots centraux proposant des chronologies thématiques et des objets et documents qui ont appartenu à l'artiste, attestant de ses recherches et de ses intérêts.

Si le parcours est divisé en quatre sections, il ne s'agit pas de faire un parallèle strict entre une œuvre en particulier et l'un des thèmes retenus. La Figure du soir du LaM pourrait aussi bien faire penser à une peinture d'enfant qu'à ce que Dubuffet appellera plus tard l'art brut. Certains dessins peuvent aussi bien évoquer l'art pariétal que des arts extra-occidentaux. "Ce n'est pas de la citation : il y a une infusion des sources, Paul Klee se nourrit de toutes ces recherches, il n'est pas dans un rapport de transcription littérale des formes. C'est ce qu'il a toujours voulu éviter", souligne Sébastien Delot.

Paul Klee, "Puppen theater" (Théâtre de poupées), 1923.  (Zentrum Paul Klee, Berne. Photo : DR)

Les dessins d'enfant, "ce qu'il y a de plus important"

Concernant l'art asilaire, on sait que Paul Klee avait dans sa bibliothèque Expressions de la folie, l'ouvrage du psychiatre et historien de l'art allemand Hans Prinzhorn qui le premier a attribué une dimension esthétique à "l'art des fous". Il a sans doute assisté à une conférence donnée par celui-ci en 1922 au. A l'époque, les dessins de patients d'hôpitaux psychiatriques sont publiés dans des revues, et la création asilaire commence à être montrée dans des expositions. En 1936-1937, au MoMA de New York, l'exposition "Fantastic Art, Dada, Surrealism" mêle des œuvres asilaires à celles de l'avant-garde, parmi lesquelles des Klee.

Les nazis aussi, comparent l'art d'avant-garde avec l'art des fous, mais cette fois pour le dénigrer. Dans la fameuse exposition "L'Art dégénéré", une lithographie de Klee, La Sainte de la lumière intérieure, est présenté avec un dessin d'un "schizophrène interné dans un asile de fous".

Paul Klee prend également très au sérieux les dessins d'enfants. En 1902, déçu par ses études à l'Académie des Beaux-Arts de Munich, il retourne à Berne, chez ses parents, où il redécouvre ses propres dessins de jeunesse. Il écrit à sa future femme Lily qu'ils sont "ce qu'il y a de plus important jusque-là, les Italiens et les Hollandais mis à part" et qu'il en est "très fier". Il les inclura d'ailleurs dans son catalogue raisonné. Il est très attentif aux dessins de son fils Felix, né en 1907, et il les accroche dans son atelier. Il s'est manifestement inspiré de l'un d'eux pour réaliser Camp de tentes dans la montagne.

Paul Klee, "Tiere begegnen sich" (Des animaux se rencontrent), 1938. Collection privée en dépôt au Zentrum Paul Klee, Berne. (Photo : DR)

De la Tunisie à l'art des cavernes

Cet intérêt s'inscrit dans une tendance plus générale dans l'avant-garde : des dessins d'enfants, par exemple, sont publiés dans la revue du Bauhaus.

De nombreux livres sur l'art africain et asiatique, présents dans la bibliothèque de Paul Klee, témoignent de son intérêt pour l'art non occidental, qu'il a pu découvrir au Musée d'Histoire de Berne. Il voyage, également, en Tunisie en 1914 et en Egypte en 1928. Dans ses propres œuvres, il emprunte des motifs à un plafond de mosquée, s'inspire des hiéroglyphes pour créer des signes.

Paul Klee avait également des livres sur la préhistoire, un domaine encore relativement neuf à son époque qui fascine les artistes de sa génération. S'il ne s'est pas exprimé spécifiquement sur l'art pariétal, il s'extasie devant les vestiges de Carnac. Et ses contemporains déjà voient une parenté entre ses œuvres, où prédomine la ligne, et les peinture des hommes préhistoriques. En 1937, le MoMA expose les fascinants relevés pariétaux de l'allemand Leo Frobenius (un exemplaire est présent dans l'exposition du LaM). En même temps y sont accrochées des œuvres de Klee, de Miro, d'Arp, pour montrer les affinités de l'art du XXe siècle avec l'art des cavernes.

Têtes étranges, paysages géométriques  colorés, mosaïques abstraites, signes mystérieux sur fonds de couleurs sourdes, c'est à un voyage merveilleux que nous convie le LaM.

Paul Klee, entre-mondes
LaM ((Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut)
1 allée du Musée, 59650 Villeneuve-d'Ascq

Tous les jours sauf les lundis, le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre, 10h-18h
Du 19 novembre 2021 au 27 février 2022

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