Les couleurs de Bartok et des peintres hongrois au Musée d’Orsay
Avec les "Deux portraits" pour orchestre de Bartok, les autoportraits de ces peintres nous accueillent à l’entrée de l’exposition : refusant l’académisme, ils n’hésitent pas à pratiquer l’autodérision jusqu’au grotesque. Jozsef Nemes Lamperth se peint le visage de grandes zones de couleurs vives, Deszö Czigàny se donne des reflets verts et jaunes, Robert Bereny s’offre une tête de caricature.
Les peintres hongrois de la modernité ont séjourné à Paris, les premières années du XXe siècle, pour parfaire leur formation. Ils admirent Gauguin, Cézanne, exposent leurs œuvres aux côtés des fauves. Vilmos Perlrott Csaba étudie chez Matisse. Bartok fait de courts séjours dans la capitale française à partir de 1905 : il rate le concours Rubinstein mais il visite la "ville divine sans dieu", et s’en émerveille.
Jozsef Rippl-Ronai peint par petites touches en forme de "grain de maïs", les "Soldats français en marche" en 1914. En Hongrie, il multipliera les jaunes, oranges, rouges vifs. Bela Czobel, à l’époque, se cherche entre un néo-impressionnisme doux et des portraits en aplats de couleur cernés de noir.
La modernité revisite les traditions
L’influence des peintres français se fait sentir dans leurs nus. Robert Bereny représente une "Femme au verre" devant des fruits très cézanniens. En 1913, le "Nu couché" de Geza Bronemisza tout en angles dénote l’influence du cubisme.
De retour chez eux, les peintres mêlent ces modèles à des motifs typiquement hongrois, comme dans les natures mortes posées sur des nappes traditionnelles de Sandor Ziffer ou de Robert Bereny. Au même moment, Belà Bartok s’intéresse à la musique populaire, au-delà des frontières de la Hongrie, d’ailleurs, puisqu’il collecte des chants populaires jusqu’en Anatolie et en Algérie. On peut ainsi au cœur de l’exposition écouter ses "Danses populaires roumaines" pour orchestre et pour piano.
L’été, les peintres se retrouvent autour de Béla Czobel dans la colonie artistique de Nagybanya (aujourd’hui en Roumanie) ou chez Jozsef Rippl-Ronai à Kaposvar. Ils y peignent sur le motif, laissant libre cours à une explosion de couleurs vives. Bartok, lui, s’affranchit définitivement de sa formation classique pour intégrer dissonances et effets percussifs dans ses "Quatorze bagatelles".
Ecrivains, peintres et musiciens réunis
Les peintres exposent ensemble, au-delà de leur diversité, comme le "groupe des huit" (Károly Kernstok, Béla Czóbel, Lajos Tihanyi, Dezsö Czigány, Ődön Márffy, Róbert Berény, Bertalan Pór et Dezsö Orbán) en 1909 et 1911. Ils se réunissent avec écrivains et musiciens, autour de la revue Nyugat. Bartok joue ses compositions dans les salles d’exposition. Les peintres font le portrait de leurs amis musiciens, en particulier Robert Bereny qui joue lui-même de la musique.
Tous sont éreintés par la critique. La modernité de leur expression n’est pas toujours bien admise, et on leur applique le terme péjoratif d’"adysme", du nom du poète Endre Ady. Bartok a donné à une de ses œuvres le titre d’"Allegro Barbaro", en réaction à la critique française qui qualifiait sa musique de "sauvage". Ce titre a donné son nom à l’exposition, qui présente une centaine de tableaux, des documents sonores et quelques partitions.
Un peu oubliés dans leur pays, ces peintres sont en train d’être redécouverts en Hongrie. Une exposition leur avait été consacrée en France en 2008-2009, à Céret, au Cateau-Cambrésis et à Dijon. Les voici donc à Paris. A ne pas manquer.
Allegro Barbaro, Béla Bartòk et la modernité hongroise, 1905-1920, Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’Honneur, Paris 7e
Tous les jours sauf lundi, 25 décembre et 1er janvier, 9h30-18h, le jeudi jusqu’à 21h45
Tarifs : 9€ / 6,50€ (droit d’entrée au musée)
Jusqu’au 5 janvier 2014
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