Le peintre Gustave Caillebotte, un grand collectionneur dont les trésors impressionnistes sont à admirer au musée d'Orsay

En parallèle à l'exposition événement sur le peintre Gustave Caillebotte, le musée d'Orsay propose aux visiteurs de découvrir, dans un espace à part, le legs à l'État de ce collectionneur, qui fut crucial pour la reconnaissance du mouvement impressionniste.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
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Le tableau d'Auguste Renoir "Bal du moulin de la Galette" est l'une des pièces maîtresses de la collection de son ami Gustave Caillebotte. Ce dernier l'aimait tant qu'il le fait figurer au second plan de sa propre toile "Autoportrait au chevalet". À la mort de Caillebotte en 1894, "Bal" était encore accroché dans son atelier au Petit-Gennevilliers. Ici, un visiteur du musée d'Orsay (Paris) l'admire, le 22 mars 2024. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Gustave Caillebotte est doublement à l'honneur cet automne au musée d'Orsay, en tant que peintre, mais aussi en tant que collectionneur. Le musée, qui lui consacre une magnifique exposition, Caillebotte, peindre les hommes, jusqu'au 19 janvier 2025, a également réuni dans deux salles au cinquième étage l'exceptionnelle collection de trésors impressionnistes qu'il a léguée à l'État à sa mort, en 1894.

On parle de merveilles comme Bal du moulin de la Galette d'Auguste Renoir, Le Balcon d'Édouard Manet, Le Déjeuner de Claude Monet, Le Golfe de Marseille, vue de l'Estaque de Paul Cézanne, Ballet, dit aussi L'Étoile d'Edgar Degas ou Chemin, sous bois de Camille Pissaro.

Car Gustave Caillebotte est non seulement un artiste aussi talentueux que prolifique – il a laissé plus de 500 peintures –, mais aussi un ardent promoteur des impressionnistes qu'il rejoint à l'invitation de son ami Auguste Renoir vers 1875. Il admire et croit en ce groupe d'artistes et à leur vision audacieuse, rebelle à l'académisme de leur temps. Né dans une famille fortunée, il organise les expositions et encourage le mouvement en achetant des œuvres à ses amis, à des prix généreux, et notamment à Claude Monet, à qui les prêts, locations d'appartement et autres avances, se transforment souvent en dons.

Une collection d'artiste sincère, loin de la spéculation

La collection qu'il constitue peu à peu est celle d'un artiste et non pas d'un spéculateur financier. "Dans ses achats, qu'il effectuait directement en atelier auprès des artistes, il y a une part de soutien, ce qui explique que certaines œuvres soient plus faibles", éclaire Fanny Matz, chargée d'études documentaires au musée d'Orsay, pour franceinfo Culture.

"Mais il a l'œil et fait de vrais choix, parfois radicaux. Il a le goût de la modernité et il est en avance sur son temps. Par exemple, il acquiert Étude, dit aussi Torse, effet de soleil de Renoir, qu'un critique d'art comparait alors à un amas de chairs en décomposition. On peut penser aussi qu'il s'inspire des toiles qu'il achète, notamment celles de Pissarro." Preuve de sa sincérité, il vit entouré des œuvres de ses confrères jusqu'à son dernier souffle, comme en témoignent des photos à l'exposition. Il inclura même la fameuse toile Bal du moulin de la Galette de son ami Auguste Renoir dans son Autoportrait au chevalet.

Auguste Renoir "Étude", dit aussi "Torse, effet de soleil", vers 1876. Huile sur toile H. 81 ; L. 65 cm. Collection musée d'Orsay. Legs Gustave Caillebotte, 1894. (MUSEE D'ORSAY, DIST. RMN-GRANDPALAIS / PATRICE SCHMIDT)

Afin de faire connaître les peintres impressionnistes et assurer au mouvement une place dans l'histoire de l'art, cette cause qui lui tient tant à cœur, Gustave Caillebotte prend ses dispositions, très jeune, à 28 ans, au lendemain du décès de son frère cadet René. Parce qu'il craint de mourir lui aussi prématurément – il mourra d'une congestion cérébrale à l'âge de 45 ans, en 1894, alors qu'il peignait dans son jardin –, l'artiste rédige le 3 novembre 1876 un testament dans lequel il fait d'Auguste Renoir son exécuteur testamentaire et lègue, dans une démarche inédite, sa collection de toiles impressionnistes à l'État, sous conditions.

Et c'est là que tout se complique. Il exige en effet que les œuvres ne soient reléguées "ni dans un grenier, ni dans un musée de province" mais soient exposées au musée du Luxembourg (alors musée des artistes vivants) "et plus tard au Louvre".

Un legs réduit de moitié, faute de place

À sa mort, ce legs, qu'il s'est fait fort au fil du temps d'enrichir de chefs-d'œuvre, compte plus de soixante peintures et dessins. À l'issue de longues et laborieuses discussions entre les héritiers de Caillebotte, Auguste Renoir et l'administration des Beaux-Arts, et alors que la presse s'en mêle, un compromis est finalement trouvé : une extension du musée du Luxembourg sera construite spécialement pour les accueillir.

Mais, faute de place pour exposer toutes les œuvres, le legs accepté par l'État est réduit de moitié. Martial Caillebotte espérera longtemps, en vain, que l'État accepte les toiles restantes. Elles seront finalement vendues et dispersées au début du XXe siècle par ses héritiers – un crève-cœur de savoir par exemple qu'un Cézanne tel que Baigneurs au repos est parti aux États-Unis, à Philadelphie, dans la collection Barnes. Les artistes concernés par la collection sont consultés pour la sélection des œuvres, et certains, comme Monet, Sisley et Pissarro, demandent à substituer certaines de leurs toiles à d'autres, jugées par eux meilleures.

Paul Cézanne "Le Golfe de Marseille vu de l'Estaque", dit aussi "L'Estaque", entre 1878 et 1879. Huile sur toile H. 59,5 ; L. 73,0 cm. Collection musée d'Orsay. Legs Gustave Caillebotte, 1894. (MUSEE D'ORSAY, DIST. RMN-GRANDPALAIS / PATRICE SCHMIDT)

Lorsque la salle Caillebotte, qui constitue la toute première galerie muséale impressionniste au monde, est inaugurée en 1897 au musée du Luxembourg, elle compte finalement 38 peintures et pastels, dont huit toiles de Monet, six de Renoir, deux de Cézanne, deux de Manet et sept pastels de Degas. Martial Caillebotte y ajoute peu après, sous forme de don, deux toiles de son frère, qui, de nature modeste, n'avait inclus aucune de ses œuvres dans ce legs : Raboteurs de parquets, qu'Auguste Renoir considérait comme son chef-d'œuvre, et Vue de toits (Effets de neige).

Si cette annexe du Luxembourg est critiquée pour son exiguïté qui ne permet aucun recul, son accrochage "saturé", et son manque de lumière, elle attire une foule considérable, qui se divise entre "cris d'effroi" ou d'"extase" face à ces œuvres révolutionnaires. Ce faisant, Caillebotte a accompli son dessein et permis au plus grand nombre de découvrir les impressionnistes. Avec ce geste fondateur, qui laissa hélas sa propre œuvre dans l'ombre, il a en outre initié un mouvement du côté des collectionneurs, dont les legs à l'État se sont alors multipliés, d'Issac de Camondo à Etienne Moreau-Nélaton. Autant dire que l'art lui doit une fière chandelle.

Exposition "Caillebotte, peindre les hommes"(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre) et   (rez-de-chaussée) et accrochage en hommage à son action de collectionneur et de donateur (au 5e étage) au musée d'Orsay, du 8 octobre 2024 au 19 janvier 2025. Esplanade Valéry Giscard d'Estaing, 75007 Paris. Tous les jours, sauf le lundi et le 25 décembre, de 9h30 à 18h00 avec nocturne tous les jeudis jusqu'à 21h45.

Deux catalogues, l'un sur l'exposition et l'autre sur son legs, sont publiés à cette occasion.
Un documentaire inédit, "Gustave Caillebotte, héros discret de l'impressionnisme" (52 min), réalisé par Lise Baron, est diffusé vendredi 1er novembre à 22h30 sur France 5 puis en replay sur france.tv

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