Konstantin Altounine, le peintre maudit de Poutine, "attend des jours meilleurs"
"Désolé, c'est un peu petit ici...", s'excuse en souriant l'artiste de 46 ans, dans un français encore hésitant. Il reçoit dans son deux-pièces étroit d'un quartier de banlieue à Metz, où il vit depuis six mois avec sa femme Elena et sa fille Assia, trois ans et demi. La famille occupe la chambre principale, sommairement équipée d'un "clic-clac", d'un vieux lit superposé en métal et de meubles bon marché. Des toiles inachevées côtoient des jouets et des dessins d'enfant accrochés au mur.
L'atelier du peintre a envahi la seconde pièce, au sol recouvert de papier journal maculé de taches de couleur, parsemée de tableaux en préparation, de livres, coupures de magazines et pots de peinture.
Après quelques mois en résidence à la Cité internationale des arts à Paris, les services de l'immigration lui ont attribué ce logement social en Lorraine. En attendant des jours meilleurs, il n'a pas vraiment eu le choix. "J'aimerais revenir habiter à Paris, c'est mieux pour un artiste-peintre", confie l'homme à forte carrure, aux cheveux en toit de chaume et au regard clair et miroitant comme la mer Blanche à Arkhangelsk, sa ville d'origine.
Poursuivi l'an dernier en Russie pour "extrémisme", un chef d'inculpation passible de plusieurs années de prison, il ne sait pas où en est la procédure: "Cela ne m'intéresse plus. Maintenant, ma vie est en France". En août 2013, des policiers russes armés de kalachnikov avaient saisi quatre de ses toiles exposées dans un musée privé de Saint-Pétersbourg, dont l'une représentait un Vladimir Poutine en nuisette, coiffant les cheveux d'un Dmitri Medvedev doté d'un corps de femme voluptueux en sous-vêtements.
Ce travestissement était "de la satire, pas de l'extrémisme", qui symbolisait l'échange des fonctions de Premier ministre et de président entre les deux hommes en 2012, estime le peintre. Craignant d'être interpellé, il s'était promptement envolé pour Paris "avec à peine une brosse à dents" et avait demandé l'asile en France. Sa femme et sa fille l'ont rejoint quelques semaines plus tard.
"Il avait une grande notoriété en Russie, il vendait ses toiles très cher. Tout ça s'est écroulé. En France, sa cote est repartie de zéro. Il a dû baisser ses prix, mettre son orgueil de côté", raconte Caroline Barthélémy, de la galerie parisienne La Valse, qui l'a exposé cette année. Faisant feu de tout bois, il expose actuellement près de Metz... dans une salle de remise en forme, au milieu de machines de fitness.
Mais de ses déboires en Russie, Konstantin Altounine assure qu'il "ne regrette rien": "Si c'était à refaire, je le referais. Un peintre doit être libre pour être un miroir de son époque". Dès son arrivée en France, "il s'est mis à avoir une production frénétique", peut-être "par rage" d'avoir perdu ses tableaux restés en Russie, relève Mme Barthélémy.
S'il a poursuivi un temps sa série corrosive sur le tandem au pouvoir à Moscou, grimant par exemple un Poutine glacial en "saint" avec ailes et auréole, le peintre, qui ne se voit pas comme un "artiste à scandale", traite aujourd'hui d'autres sujets. Tantôt grises et d'un académisme trompeur, tantôt zébrées de coulures bariolées, ses toiles peuvent mettre en scène des réfugiés de Syrie, des primates d'une confondante humanité ou encore des poètes qu'il admire comme Baudelaire, Verlaine ou Limonov. Mais il garde aussi un oeil subversif sur la Russie, peignant par exemple un prêtre orthodoxe, Rolex au poignet, face à un bagnard tatoué à l'expression christique.
"Il est à la fois flatté que les médias s'intéressent à lui, mais aussi fatigué qu'on lui parle toujours de ses tableaux de Poutine", glisse Mme Barthélémy. D'ailleurs, les collectionneurs à Paris, Londres ou New York l'entendent différemment: "Ses toiles sur Poutine ne sont pas forcément celles qui se vendent le mieux", selon la galeriste.
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