Edward Hopper au Grand Palais, visite guidée
Il n’y a aucun tableau d’Edward Hopper (1882-1967) dans les collections françaises, ni quasiment dans les collections européennes, si ce n’est au Musée Thyssen-Bornemisza à Madrid. Cette exposition qui réunit 55 des cent tableaux peints par l’artiste dans sa période de maturité (après 1924) est donc une occasion unique de voir l’ensemble de son travail.
Quand Hopper commence à connaître le succès, il a plus de quarante ans. Avant, il n’a pratiquement rien vendu et doit vivre de travaux d’illustration. L’exposition donne une large place à la première partie de sa vie, à ses aquarelles, ses dessins et ses peintures parisiennes.
Hopper incarne pour nous une certaine image de l’Amérique, et pourtant, raconte Didier Ottinger, le commissaire de l’exposition, il est « le plus français des peintres américains ».
Edward Hopper fait trois séjours en France entre 1906 et 1910. Il a « une véritable passion pour Paris. Il écrit à sa mère qu’il n’a jamais vu une ville aussi harmonieuse », raconte le commissaire. Il apprend le français, aime la poésie symboliste. Il est capable de réciter des poèmes de Verlaine et Rimbaud.
Le peintre découvre la peinture moderne parisienne et voit les impressionnistes qu’il admirait, notamment Degas. Il est particulièrement marqué par Albert Marquet dont il adopte les masses colorées. Il peint comme lui les quais de la Seine et s’inspire de ses points de vue singuliers. Il est séduit par le Suisse Félix Vallotton, son univers domestique, ses femmes à la couture, dont ses propres figures féminines regardant par la fenêtre seront l’écho. Hopper « voue un grand culte à Daumier ». Il croque des figures parisiennes, comme ce type à béret avec une bouteille de vin et une miche de pain, dans lesquelles Didier Ottinger voit l’humour du peintre. Pour lui, Hopper n’est pas uniquement le peintre mélancolique qu’on a voulu voir.
Hopper admire aussi les vues d’Eugène Atget. Ce qui l’intéresse chez le photographe, « c’est qu’il peint un Paris métaphysique, dépeuplé, un décor de théâtre ». Pendant ses années parisiennes, l’Américain va représenter comme lui un coin de cour ou un escalier déserts.
Quand il rentre à New York, nourri de peinture française, Hopper est mal reçu. « Entretemps est apparu aux Etats-Unis le ‘groupe des huit’, que la presse assimile à l’Ashcan School, l’école de la poubelle, parce qu’ils présentent la ville américaine dans ce qu’elle a de plus chaotique, de plus laid ». Ils prônent une peinture inspirée par la vie quotidienne des métropoles américaines. « La critique américaine reproche à Hopper d’être ‘too french’, trop français ». Avec ces peintres, Hopper va s’intéresser au développement d’une conscience artistique nationale, admirant Charles Burchfield qui « a su donner une dimension épique et nouvelle à sa sympathie pour la banalité ». Tout en se méfiant d’une idée de « génie national » trop étroite et chauvine.
Hopper vit pendant 25 ans de ses illustrations commerciales. Il s’initie à la gravure, puis peint des aquarelles, qui vont enfin le révéler et lui permettre de se consacrer entièrement à la peinture.
Didier Ottinger commente pour nous une toile, « House by the Railroad » (1925), qui est pour lui un « concentré de l’esthétique de Hopper ». Une maison blanche baignée de lumière se tient derrière une voie ferrée qui traverse le premier plan, en contre-plongée. « C’est la superposition de deux univers : cette maison de style ‘Garfield’, du milieu du XIXe siècle, appartient à l’histoire américaine, c’est le symbole de l’âge d’or d’avant la Guerre de Sécession. Le nouvel âge américain, l’âge industriel, est symbolisé par la voie ferrée, qui illustre aussi le passage du temps. » En 1926-27, Hopper se met à peindre « beaucoup »… c’est-à-dire six ou sept tableaux par an. Ce qui fait dire au commissaire que pour le peintre, « chaque tableau répond à une nécessité absolue ». Les années où il peint peu, il en peint un ou deux.
Hopper va peindre inlassablement des bâtiments, des chambres d’hôtel, des pompes à essence. Souvent une fille solitaire regarde par la fenêtre. Les couples ne se regardent pas, ils lisent ou regardent dans des directions opposées. Dans les thèmes de l’Amérique ordinaire, il introduit des couleurs extraordinaires, une lumière fantastique au sens propre.
Il peint dans le style de l’Ashcan School en y intégrant ce qu’il a appris de la peinture française, les volumes de Marquet, des couleurs intenses. Il a « reversé » l’enseignement du fauvisme dans le réalisme américain.
Par ailleurs, la réalité banale peut cacher des références plus subtiles. Commentant un des tableaux les plus connus de Hopper, « Chambre d’hôtel », Didier Ottinger raconte que la scène est inspirée de « Bethsabée au bain tenant la lettre de David» de Rembrandt. Dans le tableau de Hopper, la femme assise dans une chambre d’hôtel déchiffre un indicateur des chemins de fer. Quoi de plus trivial ? Mais si on voit plus loin, Hopper était un grand admirateur de Proust. Il pourrait ici faire allusion à la « Recherche », où Swann qui attend Odette fantasme sur l’indicateur des chemins de fer en pensant au train qu’elle va prendre. Les lectures des tableaux de Hopper peuvent être multiples. Autre œuvre très connue, « Nighthawks », où quelques personnages s’attardent dans un bar de nuit, dans une ambiance verdâtre. Didier Ottinger détaille. Une source possible d’inspiration de la scène est une nouvelle d’Ernest Hemingway, « Les Tueurs » : Hopper est un grand admirateur de l’écrivain qui, pour lui, représente la vraie littérature américaine, débarrassée de la narration à l’eau de rose. Autre piste, le « Café de nuit » à Arles de Van Gogh. Ou encore « La Ronde de nuit » de Rembrandt (« Nighwatch » en anglais). Le tableau peut être en lien avec la réalité directe : il a été peint juste après Pearl Harbour, à un moment où les Américains sont en pleine psychose.
« Les tableaux de Hopper sont les écrans de projection des fantasmes de ceux qui les regardent », résume le commissaire.
L’exposition se clôt sur deux tableaux. « Two Comedians » (1966) est « une espèce de testament ». Un homme et une femme au bord d’une scène de théâtre, saluent le public. C’est le dernier tableau peint par un artiste qui ne laissait rien au hasard. Il est clair qu’il y tire sa révérence, en compagnie de son épouse, Jo, qu’il a épousée en 1924.
L’autre tableau, « Sun in an Empty Room » (1963), représente une pièce vide et la lumière qui entre par la fenêtre. La lumière qu’il a voulu peindre toute sa vie et qui apparaît ici complètement dépouillée de toute anecdote.
Edward Hopper, Grand Palais, entrée Champs-Elysées, Paris 8e
Tous les jours sauf mardi et 25 décembre, 10h-22h du mercredi au samedi, 10h-20 le dimanche et lundi (tous les jours de 10h à 22h pendant les vacances scolaires)
jusqu'au 28 janvier 2013
Tarifs : 12€ /8€
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