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Bordeaux met à l'honneur Georges Dorignac, peintre expressionniste oublié
Un trait qui sculpte les corps et les visages dans des dessins "au noir" d'une force saisissante. A Bordeaux, sa ville natale, une exposition fait redécouvrir Georges Dorignac (1879-1925) peintre à l'expressionnisme singulier, injustement tombé dans l'oubli.
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Lorsqu'il observe, en 1914, un dessin représentant deux mains signé Georges Dorignac, Auguste Rodin reste perplexe. Il demande si le peintre, alors âgé d'une trentaine d'années, a fait de la sculpture. "Regardez ces mains, ce sont des mains de sculpteurs", dit-il à un ami de l'artiste.
Des dessins rappelant le bronze ou la céramique
Georges Dorignac n'a jamais fait de sculpture, et ne semble jamais avoir été tenté. Pourtant, les oeuvres d'un noir profond qui firent sa réputation - corps nus en cadre serré, portraits-masques - ou encore les sanguines montrant des travailleurs tendus par l'effort, ne cessent de troubler le visiteur, semblant creuser, malgré la surface plane du papier, dans la profondeur des corps."Il y a chez Dorignac tout un travail de la matière pour rendre le modelé, donner des effets de velouté. Ses dessins font penser à du bronze ou de la céramique", explique Isabelle Beccia, chargée des visites de l'exposition organisée jusqu'au 17 septembre au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Un partenariat avec La Piscine-Musée d'Art de Roubaix, qui a déjà présenté début 2017 une partie de la centaine d'oeuvres exposées.
Fusain mélangé à de l'huile de lin ou de la gomme arabique, sanguine et pastel écrasé, pierre noire mêlée au lavis et au fusain : des spécialistes ont été appelés à la rescousse pour analyser les diverses techniques créées par le peintre, explique Marie-Claire Mansencal, auteure de "Georges Dorignac, le maître des figures noires" (Editions Le Passage), fruit de quinze années de recherches passionnées sur le parcours de l'artiste.
Plusieurs nus de femmes, ramassées sur elles-mêmes, de profil, semblant à l'étroit dans leur cadre, projettent le travail de l'artiste vers une modernité inédite : bloc couleur d'ébène au premier coup d'oeil, leurs détails corporels se révèlent au fur et à mesure que le visiteur s'approche. Ailleurs, c'est une mise en page radicale, tout en diagonale, qui retient l'attention.
Décorateur revendiqué
Cette période "noire", totalement novatrice, créée en toute indépendance par Dorignac, alors que les avant-gardes picturales battaient leur plein dans la capitale, fait suite à plusieurs "ruptures" de style, qui se poursuivront jusqu'à la mort de l'artiste à l'âge de 46 ans. Dans les premières années, le dessinateur au talent précoce, né dans une famille originaire des Pyrénées, passé par les Beaux-Arts de Bordeaux puis de Paris, cherche encore sa voie, entre influence de l'école espagnole, pointillisme et "héritage prégnant" d'Auguste Renoir (1841-1919).C'est son installation à La Ruche, cité d'artistes parisienne, à partir de 1910, qui marquera un tournant. Bénéficiant des encouragements de ses voisins, Amadeo Modigliani (1884-1920) et Chaïm Soutine (1893-1943), il change alors radicalement d'orientation, abandonne la couleur pour un monochromatisme à la puissance exceptionnelle qui retiendra l'attention des critiques et des collectionneurs.
Ironie de l'histoire, le peintre que l'on prenait pour un sculpteur se voyait davantage comme un décorateur. L'exposition bordelaise présente aussi quelques projets décoratifs, dans un primitivisme tout en fantaisie, bien avant que n'émerge la mode des tapisseries ou de la céramique.
Est-ce sa mort prématurée des suites d'une opération ? Son éclectisme ? L'arrivée du surréalisme qui emporte toutes les curiosités ? La gloire de Georges Dorignac s'estompa rapidement. Après une rétrospective en 1928, il faudra attendre plus de soixante-dix ans pour que galeries et musées, d'abord étrangers, exposent à nouveau le peintre.
En majorité conservés dans des collections privées et donc largement inédites pour le grand public, les peintures et dessins présentés à Bordeaux permettent ainsi de redécouvrir un créateur exigeant et de lui redonner "sa juste place" dans l'histoire des arts du début du XXe siècle.
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