Art Paris est au Grand Palais éphémère : le grand retour de l'art contemporain après 18 mois de crise
Comment après 18 mois d'épidemie et trois confinements, galeristes et artistes abordent-ils cette rentrée ? Dans quel état est la création contemporaine ? Réponses dans les travées de la foire Art Paris, qui commence aujourd'hui au Grand Palais éphémère.
Du 9 au 12 septembre, se tient Art Paris, la première foire d'art contemporain de la rentrée dans la capitale. La première grande manifestation au Grand Palais éphémère avec vue imprenable sur la tour Eiffel. Une 23e édition qui réunit 140 galeries d’art moderne et contemporain d’une vingtaine de pays, venues majoritairement d’Europe. Où en est-on de la création et du marché de l'art contemporain après 18 mois d'épidemie et trois confinements ?
Un nouveau lieu pour une renaissance
Après l'ouverture de la Bourse du commerce à Paris qui abrite la fondation Pinault et l'inauguration de la fondation Luma à Arles, l'art contemporain semble sortir de la période Covid. C'est donc comme une évidence que ce soit dans un tout nouveau lieu, le Grand Palais éphémère, signé Jean-Michel Wilmotte, qu'Art Paris ouvre ses portes. Ambiance de retrouvailles dans les travées sous l'imposante charpente de bois entre galeristes, artistes et collectionneurs. On parle Covid, restrictions des voyages, achats reportés ou coups de coeur. Tous les acteurs du marché de l'art souhaitent voir l'épidemie derrière eux.
"Avril 2020 a été l’arrêt cardiaque pour tous, mais le monde des galeries a trouvé des parades en développant beaucoup les technologies numériques pour que les gens voient les œuvres à distance. Les galeristes ont été astucieux, combatifs et inventifs. Mais les foires sont un activateur du marché, une caisse de résonance", nous dit Guillaume Piens, commissaire général d'Art Paris.
Pour Nathalie Obadia, galeriste depuis 25 ans dans l'art contemporain, "on a continué a très bien vendre en France et avec le numérique, on a développé des outils, on a continué à vendre dans le monde entier. Ce n'est pas nouveau que l’on vende des œuvres sans les montrer mais cela a ses limites, il va y avoir un retour au présentiel." Pour répondre à cette attente et pour preuve de la bonne santé du secteur, elle ouvre une nouvelle galerie sur la prestigieuse avenue Matignon. Entre présentiel et virtuel, l'avenir du marché de l'art est incertain. Il faut bien avouer que cette hésitation traverse l'ensemble de la société.
Un marché franco-français
Huit mois d'épidemie ont aussi changé le profil des acheteurs. Adieu les longs courriers et les achats au-delà des frontières, le marché s'est resserré sur la France et parfois l'Europe. Une chance, pour Guillaume Piens : "Cela a montré qu'en France, il y a un intérêt énorme pour l’art contemporain qu’il existe de vrais collectionneurs passionnés. Ils ne sont pas aussi spectaculaires que les Chinois ou les Américains à coup de millions de dollars, mais ce sont des gens très sérieux, très investis, une clientèle qui était peut être un peu négligée par les grosses galeries."
Au moment où certains s'inquietent de l'explosion de la bulle spéculative autour des Koons ou Murakami, super stars mais aussi super bankables de la scène contemporaine, ce virage vers une clientèle plus passionnée que spéculative rassure le marché. Alain Paul Berthéas, lui est plus inquiet. Il a deux galeries en régions, les Tournesols à Saint Etienne et à Vichy. Pour lui le marché en province est différent du marché parisien : 90% de ces expositions ont été annulées. Il a une expression marquante : "On a l’impression que nos collectionneurs sont paralysés. Demandeurs mais paralysés, on espère qu’ils vont revenir. Je pense que la profession va mal se remettre. 30 à 40% des galeries vont y laisser des plumes. Surtout les jeunes galeries."
Mais à quelque chose tout malheur est bon, et André Paul Berthéas file la métaphore sportive : "Il y a des artistes aux egos surdimentionnés, comme les jeunes sportifs qui ont de trop gros egos et de trop gros revenus. Il n'y a plus d'artiste maudit, ils ont des familles, ils ont des enfants." Et il rajoute : "On était arrivés à du grand n'importe quoi, les artistes sont devenus des rock stars et la chute peut être salutaire. On ne parle plus d'art mais d'argent."
Le peintre seul face à lui-même
Art Paris n'est pas uniquement un marché, c'est aussi une vitrine de la création, un baromètre de l'état d'esprit des artistes. Et en parcourant les stands, le visiteur peut chercher les signes de l'épidemie chez les créateurs. Un jeu de pistes sur les effets du Covid sur les toiles et les oeuvres.
C'est chez le galeriste Thaddaeus Ropac que l'on rencontre Yan Pei-Ming. Le peintre français d'origine chinoise présente une toile de sa série d'autoportraits qui raconte ces mois de confinement. Pourquoi des autoportraits? Pour l'artiste, l'explication est limpide et teintée de lassitude. "C'est une des premières fois de ma vie où je n'ai pas voyagé depuis un an et demi, je ne suis jamais resté aussi longtemps dans mon atelier, je ne vois personne, je suis toujours en face de moi-même. Je travaille."
De ce face-à-face naît cette magnifique et inquiétante série d'auto-portraits aux teintes bleues, à la profonde intimité. "Cette série représente mon face à moi-même en cette si particulière période." Lassitude dans le regard, mais volonté de peindre et de créer. "Un artiste doit s'adapter, il est tout terrain quelques soient les circonstances", ajoute-t-il. "Je suis assez solide et solitaire, il n'y a pas de problème, si je ne vois personne (...) Je pense que le masque représente une époque, si un jour on voit cette série, on se dira : c'est une série peinte à partir de 2021. Cela représente une époque si difficile, il fallait la peintre."
Les traces de l'epidemie
Continuons la chasse au Covid dans les allées de la foire. C'est à la H Gallery , chez Hélianthe Bourdeaux-Maurin que nous découvrons les toiles de Bilal Hamadi et Arnaud Adami. Ces grands formats évoquent avec délicatesse les signes de l'épidemie. La galeriste défend ses artistes avec énergie et une gaieté contagieuse. "Arnaud Adami et Bilal Hamdad parlent de ce que nous venons de traverser. C’est de la figuration mais ce n’est jamais complètement narratif, c'est des moments arrêtés. Ils ont des œuvres intemporelles mais avec des indices qui disent quelle période c'était."
Deux artistes figuratifs aux grands formats réalistes mais poétiques. Arnaud Adami a peint une magnifique série autour des livreurs uberisés. Ces jeunes qui ne sont que des silhouettes anonymes dans les rues des villes, il en fait des personnages singuliers.Des icônes. "Adami peint la nouvelle classe prolétaire et il a envie de les élever à un niveau de reconnaissance. Il a envie de montrer des gens que l’on ne regarde pas. Il a un propos intemporel de les élever, de faire qu'on les regarde mais ça parle d'aujourd'hui, avec de la subtilité", rajoute Helianthe Bourdeaux-Maurin.
Des signes se cachent dans les oeuvres
Bilal Hamdad est diplômé des Beaux-arts d'Oran. Le peintre algérien vit et travaille à Paris. Son univers : des anonymes dans leur solitude et leur désarroi. Dans leurs portraits, là aussi en grand format, les indices se cachent. Hélianthe Bourdeaux-Maurin décrypte pour nous. "Quand on regarde cette toile, Le Mirage, c'est sur le quai du métro Arts et Métiers. C’est un très beau portrait de dos et on voit dans le reflet qu'elle porte son masque et au sol, on voit les autocollants de la RATP."
"C'est une peinture magique intemporelle et en même temps il y a des détails qui font que l’on se souviendra que c’était à cette période-là que cela a été peint. Les artistes ont besoin d’exprimer avec subtilité ce qu’ils ont vécu, ce qui les a marqués et ce qui a changé dans leur vie de tous les jours. Il y a ce coté mystérieux que la peinture qui exprime toutes ces peurs."
Que restera-t-il dans les oeuvres, dans les esprits des artistes, pour le marché de cette bien curieuse période ? Art Paris donne quelques indices, autant sur l'avenir financier de l'art que dans les sources d'inspirations des artistes.
"Art Paris", du 9 au 12 septembre au Grand Palais éphémère, au Champ de Mars
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