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Art brut : 80 artistes à la Halle Saint-Pierre pour les 25 ans de Raw Vision
La Halle Saint-Pierre à Paris fête les 25 ans de la revue internationale d’art "outsider" Raw Vision en exposant 80 artistes autodidactes du monde entier, de l’Inde aux Etats-Unis en passant par le Congo. Des artistes aux vies et aux modes d’expressions singuliers, qui ont en commun une urgence à créer, loin des conventions académiques (jusqu'au 22 août 2014).
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Raw Vision a été fondée par le peintre John Maizels à Londres en 1989. La revue, aujourd’hui trimestrielle, a été la première à défendre la "création populaire hors normes", selon les mots de Martine Lusardy, la directrice de la Halle Saint-Pierre. Raw Vision a donné une dimension internationale à ce qu’on appelle l’art brut, qui commençait alors à sortir de la confidentialité. "Le rôle catalyseur et fédérateur de Raw Vision fut essentiel", dit Martine Lusardy dans un éditorial : "La revue montrait l’existence d’une autre scène artistique, méconnue voire ignorée, où l’énergie créatrice s’accomplit contre une culture hégémonique jugée matérialiste, aliénante et obsolète."
John Maizels est un peintre converti à l’art populaire après la lecture de "Outsider Art" (1972), le livre de Roger Cardinal qui a inventé ce terme, pendant anglo-saxon de l’"art brut" français.
Raw Vision, une revue à vocation internationale
Partant du principe qu’on trouve cet art marginal, visionnaire et populaire "dans toutes les régions du globe", la revue annonce d’emblée sa vocation internationale et entend populariser l’art de ses "génies méconnus".
Depuis 25 ans, l’art outsider est passé de la confidentialité à une certaine reconnaissance, et "pourrait même être absorbé dans le monde plus large de l’art contemporain", selon John Maizels.
La Halle Saint-Pierre défend l’art brut depuis près de deux décennies. Pour fêter les 25 ans de Raw Vision, le musée parisien présente 80 artistes du monde entier. Comme toutes les expositions de la Halle Saint-Pierre, celle-ci, occupant les deux étages du lieu, est foisonnante.
80 artistes du monde entier
80 artistes, ce sont 80 vies singulières, souvent faites de souffrances, de solitude, d’internements. Celle de Bill Traylor, comme d’autres, est étonnante. Ce Noir américain est né esclave en 1854 dans l’Alabama. Quand il est émancipé, il continue à travailler sur la plantation qui l’a employé captif. Jusqu’au moment où, trop vieux, il s’installe à Montgomery (Alabama). Il dort à l’arrière d’une entreprise de pompes funèbres et se met à dessiner dans la rue, sur des matériaux récupérés. Sa vie d’artiste commence à 85 ans et ne durera que quelques années. Il représente des animaux et des personnages très simplifiés et coloriés dans une palette limitée, mais aux formes incroyablement expressives et vivantes.
Des installations extraordinaires
Bill Traylor est repéré par un peintre qui le prend sous sa protection et grâce à qui ses dessins sont parvenus jusqu’à nous après sa mort en 1949.
L’histoire du Rock Garden de Nek Chand aussi est surprenante. Ce fonctionnaire de la ville de Chandigarh (Inde), né en 1924, a créé pendant quinze ans (1958-1973), clandestinement, des œuvres sur un terrain qu’il a défriché dans une réserve forestière. Il récupère du ciment, des morceaux de carrelage et divers matériaux qui lui servent à façonner et sculpter des statues et à créer un jardin extraordinaire de plusieurs hectares. Quand il est découvert par les autorités, son jardin est menacé de démolition mais le public le soutient et le lieu devient un jardin public qui accueille des milliers de visiteurs. Quelques statues ont été transportées à Paris pour l’exposition.
De la démesure au minuscule
Les installations extérieures sont un aspect de l’art "outsider". Un diaporama nous présente un certain nombre de ces "mondes imaginaires", souvent œuvres colossales qui prennent toute une vie.
A côté de la démesure, il y a ceux qui travaillent dans le minuscule, comme Dalton Ghetti (né en 1961 au Brésil, il travaille aux Etats-Unis) : il sculpte avec des aiguilles et une lame de rasoir dans des mines de crayon : un cœur, une cuiller, l’alphabet, une tête. Il ne veut rien vendre, pour tout donner un jour à un musée. Il expose aussi, en vrac, les ratés de son art, ses "broken pieces".
Une expression singulière
De nombreux artistes travaillent un dessin très minutieux. Il s’agit souvent ceux qui ont vécu enfermés comme le Polonais Edmund Monsiel. Il n’a pas voulu quitter son grenier après la guerre et y a créé des dessins où s’accumulent des visages. Ou encore le musicien britannique Nick Blinko, obsédé par le religieux et le macabre, qui produit des heures durant des dessins ultrafins et très denses peuplés de lettres et de petits personnages.
L’expression peut être très singulière, comme les figures allongées de l’Autrichien Oswald Tschirtner (1920-2007) qui dessine à l’encre de chine des personnages ou des animaux aux membres interminables et simplifiés, seuls, à deux trois ou en foule.
Le récit épique de Henry Darger
On revoit à la Halle Saint Pierre les histoires de Henry Darger, qu’on y avait découvertes en 2011 lors de l’exposition "Hey". Cet Américain dessinait des scènes de batailles avec des petites filles étranges au sexe de garçon. Orphelin, interné, il s’était sauvé de l’asile pour enfants attardés où on l’avait enfermé. Il a produit pendant 60 ans un grand récit épique, entre la BD et l’illustration, découvert par son logeur de Chicago après sa mort en 1973.
L’Afrique est représentée par Chéri Samba, un de ses artistes les plus connus et pourtant autodidacte. Congolais né en 1956, il travaille à Kinshasa et à Paris et aborde dans ses tableaux colorés relevés de paillettes des thèmes de la vie sociale et politique de son pays. Il y ajoute des inscriptions en français et en lingala.
Une multitude d’univers
On pourrait parler encore des fusils d’André Robillard (né en 1932) : il les fabrique avec des matériaux récupérés à la décharge, aussi divers que des boîtes de conserve, une râpe, un pédalier de vélo, un crucifix ou une lampe à pétrole.
Ou de Roy Ferdinand (1954-2004), qui raconte dans ses tableaux l’univers violent du ghetto noir de la Nouvelle-Orléans qu’il connaît bien.
Comme toujours à la Halle Saint-Pierre, il est impossible de les raconter tous, il faut prendre son temps pour visiter l’exposition et entrer dans tous ces univers singuliers.
Raw Vision, 25 ans d'art brut, Halle Saint Pierre, 2 rue Ronsard, 75018 Paris
Tous les jours : en semaine, 10h-18h, samedi, 10h-19h, dimanche 11h-18h
tarifs : 8€ / 6,50€
jusqu'au 22 août 2014
John Maizels est un peintre converti à l’art populaire après la lecture de "Outsider Art" (1972), le livre de Roger Cardinal qui a inventé ce terme, pendant anglo-saxon de l’"art brut" français.
Raw Vision, une revue à vocation internationale
Partant du principe qu’on trouve cet art marginal, visionnaire et populaire "dans toutes les régions du globe", la revue annonce d’emblée sa vocation internationale et entend populariser l’art de ses "génies méconnus".
Depuis 25 ans, l’art outsider est passé de la confidentialité à une certaine reconnaissance, et "pourrait même être absorbé dans le monde plus large de l’art contemporain", selon John Maizels.
La Halle Saint-Pierre défend l’art brut depuis près de deux décennies. Pour fêter les 25 ans de Raw Vision, le musée parisien présente 80 artistes du monde entier. Comme toutes les expositions de la Halle Saint-Pierre, celle-ci, occupant les deux étages du lieu, est foisonnante.
80 artistes du monde entier
80 artistes, ce sont 80 vies singulières, souvent faites de souffrances, de solitude, d’internements. Celle de Bill Traylor, comme d’autres, est étonnante. Ce Noir américain est né esclave en 1854 dans l’Alabama. Quand il est émancipé, il continue à travailler sur la plantation qui l’a employé captif. Jusqu’au moment où, trop vieux, il s’installe à Montgomery (Alabama). Il dort à l’arrière d’une entreprise de pompes funèbres et se met à dessiner dans la rue, sur des matériaux récupérés. Sa vie d’artiste commence à 85 ans et ne durera que quelques années. Il représente des animaux et des personnages très simplifiés et coloriés dans une palette limitée, mais aux formes incroyablement expressives et vivantes.
Des installations extraordinaires
Bill Traylor est repéré par un peintre qui le prend sous sa protection et grâce à qui ses dessins sont parvenus jusqu’à nous après sa mort en 1949.
L’histoire du Rock Garden de Nek Chand aussi est surprenante. Ce fonctionnaire de la ville de Chandigarh (Inde), né en 1924, a créé pendant quinze ans (1958-1973), clandestinement, des œuvres sur un terrain qu’il a défriché dans une réserve forestière. Il récupère du ciment, des morceaux de carrelage et divers matériaux qui lui servent à façonner et sculpter des statues et à créer un jardin extraordinaire de plusieurs hectares. Quand il est découvert par les autorités, son jardin est menacé de démolition mais le public le soutient et le lieu devient un jardin public qui accueille des milliers de visiteurs. Quelques statues ont été transportées à Paris pour l’exposition.
De la démesure au minuscule
Les installations extérieures sont un aspect de l’art "outsider". Un diaporama nous présente un certain nombre de ces "mondes imaginaires", souvent œuvres colossales qui prennent toute une vie.
A côté de la démesure, il y a ceux qui travaillent dans le minuscule, comme Dalton Ghetti (né en 1961 au Brésil, il travaille aux Etats-Unis) : il sculpte avec des aiguilles et une lame de rasoir dans des mines de crayon : un cœur, une cuiller, l’alphabet, une tête. Il ne veut rien vendre, pour tout donner un jour à un musée. Il expose aussi, en vrac, les ratés de son art, ses "broken pieces".
Une expression singulière
De nombreux artistes travaillent un dessin très minutieux. Il s’agit souvent ceux qui ont vécu enfermés comme le Polonais Edmund Monsiel. Il n’a pas voulu quitter son grenier après la guerre et y a créé des dessins où s’accumulent des visages. Ou encore le musicien britannique Nick Blinko, obsédé par le religieux et le macabre, qui produit des heures durant des dessins ultrafins et très denses peuplés de lettres et de petits personnages.
L’expression peut être très singulière, comme les figures allongées de l’Autrichien Oswald Tschirtner (1920-2007) qui dessine à l’encre de chine des personnages ou des animaux aux membres interminables et simplifiés, seuls, à deux trois ou en foule.
Le récit épique de Henry Darger
On revoit à la Halle Saint Pierre les histoires de Henry Darger, qu’on y avait découvertes en 2011 lors de l’exposition "Hey". Cet Américain dessinait des scènes de batailles avec des petites filles étranges au sexe de garçon. Orphelin, interné, il s’était sauvé de l’asile pour enfants attardés où on l’avait enfermé. Il a produit pendant 60 ans un grand récit épique, entre la BD et l’illustration, découvert par son logeur de Chicago après sa mort en 1973.
L’Afrique est représentée par Chéri Samba, un de ses artistes les plus connus et pourtant autodidacte. Congolais né en 1956, il travaille à Kinshasa et à Paris et aborde dans ses tableaux colorés relevés de paillettes des thèmes de la vie sociale et politique de son pays. Il y ajoute des inscriptions en français et en lingala.
Une multitude d’univers
On pourrait parler encore des fusils d’André Robillard (né en 1932) : il les fabrique avec des matériaux récupérés à la décharge, aussi divers que des boîtes de conserve, une râpe, un pédalier de vélo, un crucifix ou une lampe à pétrole.
Ou de Roy Ferdinand (1954-2004), qui raconte dans ses tableaux l’univers violent du ghetto noir de la Nouvelle-Orléans qu’il connaît bien.
Comme toujours à la Halle Saint-Pierre, il est impossible de les raconter tous, il faut prendre son temps pour visiter l’exposition et entrer dans tous ces univers singuliers.
Raw Vision, 25 ans d'art brut, Halle Saint Pierre, 2 rue Ronsard, 75018 Paris
Tous les jours : en semaine, 10h-18h, samedi, 10h-19h, dimanche 11h-18h
tarifs : 8€ / 6,50€
jusqu'au 22 août 2014
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