Ai Weiwei : de la Chine aux réfugiés, itinéraire d'un subversif
Agitateur, révolutionnaire, intransigeant, Ai Weiwei, l'artiste chinois qui a défié Pekin avec des photos et performances interdites, expose partout dans le monde. Insatiable créateur et hyperactif instagrameur, ses œuvres monumentales sont actuellement exposées au Bon Marché à Paris pour l'exposition "Er Xi" ("Air de jeux").
Ce voyage au pays des contes de fée est aussi un prétexte pour lancer des messages au monde entier. Une poésie qui entre souvent en écho avec la politique ou l'actualité tragique. Décryptage d'un maître de la provocation.
Reportage : C. Airaud / V. Bouffartigue / J. Martin / L. Lavieille
La provocation et parfois le malaise
Publiée par le Washington Post, la photo d'Ai Weiwei dans la posture du petit Aylan a été prise par Rohit Chawla, un photographe d’India Today, sur l’île grecque de Lesbos. Elle montre l'artiste chinois allongé sur la plage, ventre à terre. Comme mort. Il s’agissait de reproduire l’image emblématique du corps sans vie du petit Aylan, qui, en septembre dernier, avait bouleversé le monde sur le sort des réfugiés syriens. Ai Weiwei en Aylan : malaise et réalité https://t.co/K9EoV6ctpJ pic.twitter.com/HEI6x7kOgu
— Libération (@libe) 1 Février 2016
Jugée choquante, maladroite, ou encensée, cette nouvelle image fait réagir la blogosphère. Mais pour l’artiste chinois, cette photo est faite pour alerter l'opinion publique sur ces milliers de migrants qui continuent à mourir chaque jour.
Un naufrage médiatique ?
Pour réaliser la mise en scène de cette photo, Ai Weiwei a passé plusieurs jours sur l'île de Lesbos en solidarité avec les migrants qui risquent leur vie en traversant la Méditerranée.Ai et son équipe "ont activement contribué à mettre en scène cette photo pour nous", a déclaré le photographe Rohit Chawla au Washington Post.
Exposée à l'Inde Art Fair, la photo d'Ai Weiwei en Aylan a secoué les organisateurs et les visiteurs. Certains se demandent pourquoi reconstituer une telle scène alors que chaque jour, de vraies photos nous arrivent relatant de nouveaux drames vécus par des réfugiés.
D'autres, saluent l'engagement de l'artiste. "C'est une image emblématique car elle est très politique, humaine et implique un artiste incroyablement important comme Ai Weiwei", a déclaré Sandy Angus, co-propriétaire de l'Inde Art Fair. L'image est envoûtante et représente toute la crise de l'immigration et le désespoir des gens qui ont essayé d'échapper à leur passé pour un avenir meilleur", ajoute-t-elle prenant le parti de Weiwei. Grâce à cette photo gênante on reparle des réfugiés.
Migrants : bientôt une création à Berlin
Ai Weiwei va collecter des milliers de gilets de sauvetage abandonnés à Lesbos par les migrants pour créer à Berlin une œuvre dédiée à cet exode et à ses morts, a annoncé mardi la municipalité de cette île grecque. Le maire de Lesbos, devenue la première porte d'entrée migratoire en Europe, "a fait don de 14.000 gilets de sauvetage" pour ce projet, a précisé un communiqué municipal."L'oeuvre vise à mobiliser la communauté internationale contre le crime commis quotidiennement en Égée par les passeurs", selon le texte. Les gilets de sauvetage portés par les réfugiés et migrants affluant en Europe via la mer Égée, entre Turquie et Grèce sont devenus depuis des mois un symbole de cet exode et de ses périls. Ils sont pour la plupart contrefaits à la chaîne en Turquie et n'offrent aucune protection en cas de chute en mer. Cette masse plastique qui s'accumule sur les rives des îles grecques constitue aussi une bombe écologique, en l'absence dans l'immédiat de solution efficace de recyclage.
AI Weiwei : les tribulations d’un chinois dans le monde
Ai Weiwei, né le 18 mai 1957 à Pékin, est un des artistes majeurs de la scène artistique indépendante chinoise, à la fois sculpteur, performer, photographe, architecte, commissaire d'exposition et blogueur. Il étudie le cinéma à la Beijing Film Academy avec les célèbres réalisateurs chinois Chen Kaige et Zhang Yimou.
Pilier du premier mouvement d’avant-garde chinois et souvent appelé "l’Andy Warhol" de Chine, il s’est investi à la fin des années 70. En 1981, Ai Weiwei quitte la Chine pour les Etats-Unis où il étudie en Pennsylvanie, à Berkeley et à la Parsons School of Design à New York. En 1989, marqué et affecté par les Massacres de Tienanmen, il entame une grève de la faim en solidarité avec les étudiants. Cinq ans plus tard, il revient à Pekin et photographie sa future femme, l'artiste Lu Qing, relevant sa jupe sur la place.
En 1999, son travail est présenté à la Biennale de Venise. En 2008, il participe en tant que consultant artistique, à la conception du stade national de Beijing (le Nid d'oiseau) pour les Jeux Olympiques. En 2009, après le tremblement de terre au Sichuan, il enquête sur la corruption du gouvernement et publie en ligne des articles documentés et les noms des étudiants tués. Son blog est fermé. Il rappelle l'évènement lors de son exposition So Sorry au Haus der Kunst's de Munich où devant la façade, il dresse l'installation Remembering, constituée des 9000 cartables des victimes.
Le 3 avril 2011, Ai weiwei est interpellé sous prétexte d'évasion fiscale, provoquant de nombreuses manifestations de soutien dans le monde entier. Après 81 jours d'incarcération, l'artiste est libéré sous caution. En 2015, son passeport lui est restitué, ce qui lui a permis de rallier Berlin et d’y installer son atelier. Aujourd’hui, la star internationale de l’art contemporain est invitée dans le monde entier.
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