Mohamed Bourouissa et ses cow-boys du macadam au Musée d'art moderne de la Ville de Paris
Dans un grand cadre, une photo montre un jeune homme noir qui monte trois marches en béton sur un cheval blanc. Tout autour, un papier peint constitué de la répétition d'un petit flyer en anglais annonçant un événement équestre. Sur cette affichette un autre jeune homme chevauche une monture habillée de rubans rouges et blancs qui volent dans le vent. C'est sur ces images de cavaliers dans la ville qu'on entre dans l'exposition du Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Mohamed Bourouissa s'est rendu pour la première fois à Philadelphie en 2013 où il s'est intéressé à ces figures insolites d'"urban riders" qui perpétuent comme ils peuvent la tradition du cheval dans le quartier déshérité de Strawberry Mansion. Il a concentré son travail sur les écuries de Fletcher Street. Un club équestre associatif à vocation sociale y accueille les jeunes du quartier et sert de refuge aux chevaux sauvés de l'abattoir.
Une représentation du cow-boy noir
"C'est un projet qui a été fait dans les quartiers nord de Philadelphie et il a été décidé de faire se rencontrer une communauté d'artistes de la ville avec une communauté afro-américaine de "riders", je dirai plus simplement de cow-boys. L'idée était de créer une sorte de célébration, une parade, une journée spéciale autour du cheval", raconte Mohamed Bourouissa.Mohammed Bourouissa, artiste franco-algérien né en 1978 à Blida, a été remarqué il y a une dizaine d'années et a exposé dans de nombreux pays depuis. Dès ses premières séries photographiques, "Périphérique" et "Temps mort", il s'est attaché à observer la société par ses marges et s'est intéressé aux pratiques collectives. A Paris, il s'agit pourtant de sa première grande exposition monographique dans une institution française importante. Le projet "Urban Riders" avait déjà été exposé, notamment à la Fondation Barnes à Philadelphie l'an dernier. Elle est présentée au Musée d'art moderne dans une version augmentée.
"Cette exposition marque pour lui une étape importante dans son travail, c'est une forme de synthèse de l'ensemble des questionnements qu'il se pose de manière récurrente sur la notion de communauté, la notion de territoire. Ici il va parler notamment de la question de la représentation du cow-boy noir", souligne Jessica Castex, co-commissaire de l'exposition avec Odile Burluraux.
Les chevaux habillés par des artistes
Mohamed Bourouissa a organisé avec les cavaliers de Fletcher Street, le 13 juillet 2014, une journée du cheval inspirée du "tuning" de voitures. Des artistes locaux ont imaginé avec les "riders" des parures pour les chevaux. Ce faisant, l'artiste veut inventer une utopie, de l'imaginaire, un espace où fiction et réalité s'entremêlent. L'aboutissement du projet est cette journée de parade. "Horse Day", un film de 13' qu'il a réalisé autour de cette journée, projeté en dyptique sur deux murs perpendiculaires, est au cœur de l'exposition.Dans le quartier de Strawberry Mansion, les cavaliers utilisent effectivement le cheval comme moyen de locomotion, et il est fascinant de voir ces images de chevaux dans la ville, de voir comment une communauté déshéritée s'approprie le territoire de façon insolite et puissante.
Le film montre aussi les échanges entre les artistes et les cavaliers pour la création des parures des chevaux : par exemple un jeune cavalier refuse l'idée d'un artiste qui veut peindre son cheval en noir : il n'est pas d'accord, il aime la couleur de son cheval, dit-il, et il arrive à faire évoluer le projet de l'artiste.
Qui est vraiment John Wayne ?
Dans une séquence tournée dans l'écurie, les cavaliers s'approprient le mythe de John Wayne, se demandant en rigolant qui est John Wayne, s'il n'est pas 100% noir et s'ils ne sont pas tous John Wayne.Dans la première salle sont exposés les costumes des chevaux, réalisés à partir de matériaux récupérés, des fleurs, des rubans colorés, des CD scintillants, des morceaux de tissu. Puis sur des panneaux en bois qui rappellent le bois des écuries sont accrochés une série de dessins de nature diverses, des collages de photos, des croquis de cavaliers… Ils ont servi à "conceptualiser" le projet. Mohamed Bourouissa dessine beaucoup : "Au lieu d'écrire, je dessine", dit-il. Et puis quand il était à Philadelphie, il a commencé par photographier et filmer. Mais il trouvait que le dessin permettait "d'exorciser un peu l'aspect exotique de la représentation des "riders", des cowboys à cheval".
Pour finir, Mohamed Bourouissa présente quand même aussi des photos du quartier et de ses habitants. Mais il les a imprimées sur des morceaux de carrosseries de voitures qui s'enchevêtrent et se superposent, en noir et blanc sur des tôles colorées, en couleur sur les tôles les plus claires, constituant des sortes de sculptures. Il a choisi des fragments d'automobiles car l'auto est un symbole fort dans la vie des gens du quartier, comme le cheval. La fragmentation rend compte de la "fragmentation du quartier", explique l'artiste.
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