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Magiques licornes au Musée de Cluny

A Paris, le musée de Cluny, musée du Moyen-Age, a rouvert au public cet été après une première tranche de travaux, avec une exposition sur la licorne, créature mythique qui fascine depuis l'Antiquité et nourrit l'imaginaire des artistes jusqu'à nos jours (jusqu'au 25 février 2019).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
A gauche, "Oubli et mémoire de la Dame à la licorne : la Vue", Claude Rutault, 2018 - A droite, "Tenture de la Dame à la Licorne, la Vue, vers 1500
 (A gauche © Pierre Bureau, Mobilier national - A droite © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge) / M. Urtado)

Dès l'Antiquité, on trouve des traces d'un animal, âne, bœuf ou rhinocéros, à la longue corne unique : il est évoqué dans les textes de quelques auteurs. La Bible parle d'un animal cornu et menaçant. Au XIIIe siècle, les textes arabes l'évoquent. C'est à sa forme médiévale occidentale que s'intéresse l'exposition du Musée de Cluny, "Magiques licornes".
 
Dans les textes latins du Moyen-Âge, il est question d'une créature sauvage et rapide (unicornis) qui ne se laisse approcher que par une jeune fille vierge. Elle symbolise la pureté, bien que la connotation sexuelle de cette corne unique en fasse un être tout à fait ambigu.
 
On représente parfois la licorne au côté de la Vierge, comme dans cette petite tapisserie suisse figurant l'Annonciation où l'ange Gabriel est un chasseur à la licorne qui pousse celle-ci vers la Vierge. Ou dans deux petits panneaux en verre d'Italie où une jeune fille tenant en laisse une licorne est représentée au-dessus d'une Vierge trônante.
 
C'est une figure particulièrement populaire au XVe siècle, où elle est un élément de décoration fréquent.

"Femme sauvage Ă  la licorne", tapisserie en laine avec fils de soie et d'or, vers 1500-1510
 (Historisches Museum Basel, M. Babey)

Une corne qui purifie l'eau

Dans l'imaginaire médiéval, la licorne a des vertus purificatrices : un aquamanile en alliage métallique, qui sert au lavement symbolique des mains, prend la forme d'une licorne. Sa corne est censée purifier les liquides et repousser les poisons : pour cette raison, elle se vend à prix d'or et on en trouve plein les églises à partir du XIIe siècle, comme celle qui est exposée dans une vitrine à l'entrée de l'exposition et qui vient du trésor de l'abbaye de Saint-Denis.
 
Cette "corne" provient en réalité du narval, un cétacé rare qui vit dans l'océan Arctique et possède une défense unique, sorte de dent hypertrophiée torsadée qui peut mesurer jusqu'à 3 mètres de long. Mais c'est seulement vers le XVIIe siècle que l'existence de cet animal marin sera connue de tous.
 
Au Moyen-Age, la licorne n'est pas seulement une créature fantastique qui nourrit les récits, comme le "Roman de la Dame à la licorne et du beau chevalier au lion". Le chanoine de Mayence Bernhard von Breydenbach affirme en avoir vu dans le Sinaï lors d'un voyage en Terre sainte dans les années 1480. Dans le récit illustré qu'il édite à son retour, une licorne figure parmi les animaux étranges vus lors de son périple, à côté d'une girafe ou d'un chameau, et représentés par le peintre Reuwich, qui l'a accompagné.
 
La licorne figure aussi dans les traités de sciences naturelles, comme cette encyclopédie de la fin du XVe siècle exposée au Musée de Cluny.
"Tenture de saint Etienne, Scène 8 : le corps de saint Etienne respecté par les animaux sauvages", Tapisserie, vers 1500
 (RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge) / J-G. Berizzi)

Une créature qui inspire toujours les artistes

Entre la fin du XVIe siècle et le XIXe, la médecine, avec Ambroise Paré notamment, va démentir les vertus supposées de la corne de licorne et on va établir qu'elle vient du narval. En 1663 un prétendu squelette de licorne est dénoncé comme une supercherie.
 
Si elle n'est plus qu'une figure imaginaire, la licorne a continué à fasciner et à inspirer les artistes jusqu'à nos jours, comme le montre la deuxième salle de l'exposition, des gravures de Le Corbusier au ballet de Jean Cocteau, "La dame à la licorne" (1953-1959) ou à la série de tapisseries de Claude Rutault, "Oubli et mémoire de la dame à la licorne" (2016-2018), où les figures floues s'effacent de plus en plus.
 
Ces deux dernières œuvres sont inspirées par "La dame à la licorne", la fameuse série de six tapisseries réalisée vers 1500, découverte par Prosper Mérimée au château de Boussac (Creuse) en 1814 et conservée au musée de Cluny. Les six panneaux représentent une jeune fille entre un lion et une licorne sur fond rouge dans un décor végétal. Chacun évoque un sens, jusqu'au sixième, proche de l'âme.
"Die Buche inhaldend die Heillige ryensen geun Jherusalem", Bernard Breydenbach, Bois gravé, impression sur papier, 1504
 (RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge) / M. Urtado)

Les travaux continuent au Musée de Cluny

On pourra revoir ces célèbres tapisseries, bien sûr, puisque l'exposition communique avec la salle où elles sont exposées. "Magiques licornes" est présentée dans les espaces tout neufs du Musée de Cluny. On y accède par la nouvelle entrée vitrée qui y mène, ainsi qu'à la nouvelle librairie.
 
Les travaux continuent au musée et on ne peut y voir pour l'instant que l'exposition et "La Dame à la licorne" et une sélection de quelques trésors des collections dont de magnifiques pièces d'orfèvrerie. Le "frigidarium", impressionnante pièce en sous-sol qui abritait à l'époque romaine les bains froids des thermes de Cluny, est ouvert également mais jusqu'au 2 septembre seulement : une nouvelle exposition consacrée à la naissance de la sculpture gothique y débutera le 10 octobre.

Réouverture totale prévue pour fin 2020. 

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