L'exposition Louis de Funès à la Cinémathèque française : l'ultime consécration d'un génie comique
Pied de nez aux critiques qui l'ont longtemps boudé, la Cinémathèque française consacre une exposition au plus populaire des comiques français, Louis de Funès.
Ça commence dans l'ascenseur avec des bruits de poules. L'acteur aux plus de 140 films nous accueille à sa manière, en imitant l'oiseau de basse-cour. Et avant d'atteindre le haut de la Cinémathèque, nous reviennent en tête les images de lui faisant l'imbécile dans Ah ! les belles bacchantes (Jean Loubignac, 1954) ou Le Gendarme de Saint-Tropez (Jean Girault, 1964).
C'est la première fois que ce temple de la cinéphilie consacre une exposition à un acteur, à fortiori à lui, De Funès, longtemps boudé par les critiques et ceux qui revendiquent une cinéphilie d'auteur. Un pied de nez en somme, un brin de provocation assumée par Alain Kruger, journaliste et commissaire de l'exposition : "Il y avait un désir de remettre un coup de projecteur cinéphile sur cet acteur, c'est un petit geste provocateur car De Funès n'a pas été tellement reconnu par la famille des auteurs, c'était un perturbateur, plus anar que ses personnages, qui jouait l'ordre mais fabriquait du désordre".
Un monument du rire
L'entrée de l'exposition nous plonge dans la pénombre, un choix étonnant pour ce clown bariolé. On y découvre les influences du petit homme d'un mètre soixante-trois : Chaplin, Keaton, mais surtout Laurel et Hardy, "les plus grands", jugeait-il. On s'amuse sur un écran tactile avec les émotions jouées par le comédien autodidacte, et en l'espace de quelques secondes, dans cette espace mêlant cinéphilie et rigolades, on remet Louis de Funès à sa place dans l'Histoire du cinéma, une place de génie comique, et de grand acteur.
"De Funès est un pur enfant du burlesque, c'est aussi un personnage complexe, pas si connu que ça, même en termes de filmographie", souligne Alain Kruger, attaché à l'acteur depuis l'enfance. "Je ne vois pas d'héritiers aujourd'hui, à part peut être Benoît Poelvoorde...", analyse celui qui produit aussi l'émission Le Cercle sur Canal Plus. "Son succès est populaire, 37 ans après sa mort, il est toujours aussi vivant ! Mais De Funès souffrait des critiques presse, il arrachait les pages...", raconte-t-il.
Une lettre de François Truffaut surprend cependant. Exposée là, elle s'adresse à Gérard Oury, qui a tourné cinq fois avec le comédien. "J'ai beaucoup aimé Le Corniaud...", confie l'ancien critique des Cahiers du cinéma. Un échange épistolaire surprenant, qui en dit long sur une reconnaissance critique très retenue. Un des meilleurs passages de l'exposition.
Perfectionniste
On trouve d'autres lettres, entre les costumes improbables, les meubles design et les bouts de voitures : celles entre De Funès et le producteur Alain Poiré. On y lit le refus de l'acteur de donner son accord définitif pour La Folie des grandeurs. Un échange qui trahit une personnalité exigeante. Il acceptera finalement le rôle à condition de cacher sa décision à Gérard Oury, pour le pousser à trouver des idées comiques. "Il avait l'appréhension de perdre un succès qu'il a obtenu tard, à 50 ans seulement, c'était un perfectionniste...", explique Alain Kruger.
À travers les espaces de l'exposition, truffées d'un barda d'affiches, de vidéos et d'accessoires en tous genres, se redessine l'imaginaire alternatif d'une époque, celle du gaullisme et du pompidolisme, celle des trente glorieuses en somme. Et avec son petit corps, Louis de Funès traversait cette époque avec tous les costumes imaginables, sous tous les registres, de la danse au travestissement, une facette de son talent à laquelle l'exposition consacre une section entière.
Deux rétrospectives en parallèle
Reste l'essentiel : les films. Une rétrospective s'adosse à l'exposition jusqu'au 8 novembre, avec quarante films de l'acteur, allant des plus connus comme L'aile ou la cuisse (Claude Zidi, 1976) aux oeuvres plus confidentielles comme Les bons vivants, un film à sketches de Georges Lautner. Une seconde en fait l'écho, du 2 septembre au 19 octobre, consacrée au réalisateur Gérard Oury. L'auteur des Aventures de Rabbi Jacob a dirigé De Funès dans ses plus grands succès. La grande vadrouille, par exemple, sorti en décembre 1966, reste un des plus gros cartons du box-office français avec plus de 17 millions d'entrées.
La fille du réalisateur, l'actrice et réalisatrice Danièle Thompson, viendra inaugurer cette rétrospective en présentant La folie des grandeurs le 25 octobre. Elle a travaillé au scénario sur onze des dix-sept films de son père, dont trois des succès avec De Funès.
Cette initiative de la Cinémathèque est donc intéressante à plusieurs égards puisqu'elle interroge indirectement la place et la fonction des comédies qui triomphent en salle, et leur relectures au fil des années. "Il y a dans tous succès absolu l'anéantissement de la notion de critique. (...) Je crois que chaque artiste doit rêver d'en arriver là, je veux dire au stade où les "avis" sont dérisoires", écrivait Truffaut à Gérard Oury en 1965. Et cette exposition nous le confirme à nouveau : De Funès a passé toutes les barrières, celles des sceptiques et des méfiants, celles des âges et celles du temps.
Exposition Louis de Funès, à la Cinémathèque française (Paris), du 15 juillet 2020 au 31 mai 2021. www.cinematheque.fr
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