Cet article date de plus de sept ans.

Les fabricants de luth oriental, art traditionnel syrien, en voie de disparition

La fabrication de luth oriental, art qui faisait la fierté de la Syrie avant la guerre, est devenu un métier en voie de disparition. Il ne reste aujourd'hui que six ateliers sur les vingt que comptait le pays avant le début du conflit.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3min
Antoun Tawil, un des derniers artisants luthiers de Syrie, fabrique des ouds dans son minuscule atelier de Damas.
 (LOUAI BESHARA / AFP)
Dans son minuscule atelier à Damas, Antoun Tawil, un des derniers artisans luthiers de Syrie, attend vainement la prochaine commande d'oud, le luth oriental. Si le conflit qui ravage la Syrie depuis six ans y a laminé la plupart de l'artisanat, l'oud, ou luth oriental, a été particulièrement touché avec l'exode des luthiers et la raréfaction du bois damascène.

"Il y avait environ 20 ateliers avant la crise, entre Damas, Alep et Hama. Maintenant, il n'y en a plus que six", dont quatre à Damas, explique M. Tawil, 57 ans. Dans sa minuscule échoppe de 9 m2 à Tekkiye Souleymaniyé -un complexe ottoman comprenant mosquée et souk de métiers artisans-, le luthier contemple des ouds suspendus au-dessus de lui. Certains richement décorés en incrustations de nacre et d'ivoire, avec un travail remarquable de marqueterie.

L'oud, qui fait référence à un morceau de bois en arabe, est l'instrument maître de la musique orientale et le cousin de la guitare -avec un manche plus court et une caisse de résonance plus grosse- ou de la balalaika russe. M. Tawil n'a tout simplement plus de véritable équipe. "J'avais six ouvriers. Ils ont tous quitté la Syrie", affirme l'artisan qui a transmis le métier à sa fille.
L'oud est la version arabe de la guitare, dont il se différencie par la longueur plus courte de son manche et la taille plus grande de sa caisse de résonance. 
 (LOUAI BESHARA / AFP)

70 ans sans entretien 

"Avant la guerre, on travaillait toute la journée car il y avait une grande demande", regrette-t-il. Et en un mois, il vendait une douzaine d'ouds, notamment pour l'Europe et le Canada. "Aujourd'hui, un mois s'écoule sans que je ne vende rien". De plus, les prix ont baissé: l'oud valait 100 dollars contre 70 dollars aujourd'hui.

Cet homme mince parle passionnément de l'oud syrien ou damascène qui, selon lui, est le plus exquis et le plus durable des luths arabes. "Notre oud peut durer 70 ans sans besoin d'entretien", sourit le luthier qui, comme beaucoup, a hérité le métier de son père. "J'ai fait des pièces aussi belles qu'un tapis persan".

"C'est un métier menacé", assure-t-il, se plaignant qu'outre les effets de la guerre, "les jeunes n'ont pas le temps d'apprendre". Le secret de la durabilité, selon Issa Michel Awad, expert des instruments à cordes à l'Institut supérieur de musique à Damas, réside dans les premières étapes de fabrication. "C'est la manière de choisir le bois damascène, de le sécher et de le fermenter", explique-t-il. "Cela explique pourquoi on peut jouer encore un oud damascène datant de 1900 sans aucune fausse note".

Mais c'est justement le bois qui pose aujourd'hui problème. "Nous comptons sur le bois du noyer qui est d'une grande qualité, et il est surtout présent dans la Ghouta orientale", fief rebelle assiégé à l'est de Damas, explique Ali Khalifé, qui a l'un des plus célèbres ateliers d'oud à Damas. "Aujourd'hui, ce bois est utilisé par les gens de la Ghouta pour se réchauffer ... il se raréfie".*
Le bois damascène, dont la qualité est reconnue dans le monde entier, permet au oud d'être très résistant au passage du temps. 
 (LOUAI BESHARA / AFP)

En voie de disparition? 

Un drame pour l'oud damascène dont le premier a été fabriqué en 1897 par Abdo al-Nahhat, le plus célèbre des luthiers syriens. Au début du XXe siècle, l'oud était l'instrument de prédilection des Syriennes qui en jouaient aux mariages ou lors de réceptions féminines. L'oud est globalement divisé en deux catégories, le turc et l'arabe qui a une sonorité plus grave.

Dans l'atelier d'Ali Khalifé dans le quartier d'Adaoui, on assemble à coups de marteau les côtes de l'oud pour former la caisse de résonance. On visse à la main les chevilles du cordier. Mais ici, où de jeunes hommes s'affairent à aplanir le bois avec une raboteuse, le métier est mi-artisan, mi-mécanique.

Quand je regarde l'état de notre métier, je peux dire qu'il est en voie de disparition.

Ali Khalifé, luthier dans le quartier d'Alaoui.
Si Antoun Tawil plie encore les côtes l'une après l'autre grâce à la vapeur, à l'atelier Khalifé, une machine plie 20 côtes à la fois. "Polir l'oud à la main prend cinq à six heures...avec la machine, c'est fait en un quart d'heure", explique le luthier trentenaire qui exporte au Moyen-Orient, en France et aux Etats-Unis. La disparition de la plupart des ateliers a bénéficié en quelque sorte à M. Khalifé. "On produisait 10 à 15 ouds par mois, aujourd'hui on en fait 20", dit cet homme qui a appris le métier de son père à 14 ans. 

"Quand je regarde l'état de notre métier, je peux dire qu'il est en voie de disparition", se lamente-t-il tout de même. Peut-être l'oud syrien sera-t-il sauvé à l'étranger ? Antoun Tawil veut rester optimiste. "Au Québec, il y a maintenant des Syriens qui mettent en place des ateliers de fabrication".
 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.