Cet article date de plus d'un an.

"La musique dans les camps nazis" : quand la mélodie des instruments se mêle à l'horreur

Comment peut-on imaginer la présence de la musique dans ces lieux où les libertés les plus fondamentales étaient bafouées ? L'exposition "La musique dans les camps nazis" au Mémorial de la Shoah répond à cette interrogation à travers des archives riches et passionnantes.
Article rédigé par Marianne Leroux
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
L'orchestre du camp de concentration de Janowska. (MEMORIAL DE LA SHOAH)

La nouvelle exposition du Mémorial de la Shoah La musique dans les camps nazis invite les visiteurs à découvrir les différents usages de la musique au sein des camps de concentration et dans les centres de mise à mort. Le son des instruments résonnait surtout lors des orchestres de détenus. L'objectif était avant tout disciplinaire : il s’agissait d’une musique "contrainte", jouée sur ordre des commandants SS. Mais les détenus, de manière clandestine ou non, jouaient aussi pour survivre psychologiquement et pour résister spirituellement face aux horreurs du système concentrationnaire. 

Orchestres de camps

La première salle de l'exposition est le lieu des réponses aux nombreux questionnements. Et parmi ces derniers : comment s'organisaient les orchestres ? Les détenus qui en faisaient partie étaient-ils avantagés ? Comment se procuraient-ils les instruments et les partitions ? Avec un grand nombre d'archives, de documents, de témoignages audio, d'exemples de musiques qui résonnaient dans les camps, les visiteurs peuvent se rendre compte de la place de la musique dans ces lieux austères. 

Dès l'ouverture des camps de concentration en 1933, des orchestres, essentiellement composés de détenus, voient le jour. Des auditions informelles ont lieu après l'arrivée des convois pour composer des groupes de musiciens, très souvent rénouvelés à cause du fort taux de mortalité. Ces orchestres rythment chaque moment de la journée : l'arrivée et le retour du travail, l'appel des détenus ou encore l'éxécution des prisonniers. Les chants et le son des instruments masquaient le bruit des tortures, des pendaisons et des cris. 

L'orchestre des détenus au camp d'Auschwitz en 1941. (MEMORIAL DE LA SHOAH)

Pour pallier le manque d'instruments - confisqués - pouvant jouer les basses dans les orchestres, les détenus fabriquaient certains instruments comme la contrebasse, présentée dans l'exposition, confectionnée dans la menuiserie du camp de Mauthausen. En l'absence de certains outils et de techniques, la contrebasse est plus plate que l'instrument conventionnel mais elle est tout aussi puissante. Les partitions, elles, étaient écrites manuellement dans des carnets ou derrière des papiers administratifs. 

L'exposition "La musique dans les camps nazis" au Mémorial de la Shoah. (YONATHAN KELLERMAN / MEMORIAL DE LA SHOAH)

Le statut des musiciens des orchestres évolue au fil des années. Dans les premiers camps, cette activité s'ajoute au travail quotidien mais à partir de 1942, les orchestres acquièrent quelques avantages : dans quelques cas, leurs membres peuvent se consacrer seulement aux répétitions et obtenir de plus grandes rations alimentaires. Les musiciens juifs, eux, peuvent échapper provisoirement aux transports vers les chambres à gaz. 

Musique tortionnaire  

Lors de la visite, nous apprenons que la musique était aussi mise au service du sadisme des commandants SS et faisait partie de la terrorisation des détenus : obligation de chanter sous les coups et les insultes. L'objectif était clair : humilier ceux qu'ils qualifiaient d'ennemis et de sous-hommes. Elle accompagne également les exécutions publiques ou les punitions. Le souhait était de montrer la toute-puissance de la machine nazie. Les morceaux n'étaient évidemment pas choisis par hasard : extraits d’opérettes de Franz Lehár, chansons sentimentales de Zarah Leander, chansons de films à succès. Un répertoire léger diffusé par la radio allemande qui accentuait l'horreur de la situation. 

Des haut-parleurs étaient disposés partout dans les camps, sur la place d'appel, à l'entrée et même à l'intérieur des blocs des détenus. Ils diffusaient des discours de Hitler, suivis de l’hymne nazi et de musique savante plébiscitée par le régime : Richard Wagner, Ludwig van Beethoven, Anton Bruckner. Ils permettaient également de relayer les ordres des commandants et il arrivait parfois que les SS diffusent des chansons sentimentales, pour leur plaisir, le dimanche et la nuit, privant les détenus de sommeil.

Résister en chanson

La musique n'était pas seulement contrainte ou tortionnaire, elle pouvait être aussi spontanée, tolérée dans les blocs ou clandestine. Un acte de survie et de résistance pour les prisonniers vivant dans l'horreur des camps. Dans le répertoire des petits ensembles instrumentaux composés de détenus, on pouvait trouver des chants politiques, patriotiques ou religieux, mais également des chansons détournées, où leurs auteurs ne se privaient pas de dénoncer leurs conditions de vie et la brutalité de certains kapos (les détenus chargés de commander les autres prisonniers dans les camps).

L'exposition "La musique dans les camps nazis" au Mémorial de la Shoah. (YONATHAN KELLERMAN / MEMORIAL DE LA SHOAH)

Le maintien d'activités culturelles est essentiel dans cet univers macabre et déshumanisant. Elles mobilisent la créativité, la mémoire et fédèrent le temps d'un concert. Les témoignages des survivants permettent de comprendre la grande importance de la musique qui les a aidés à s'évader pendant quelques minutes et à penser à leur vie d'avant. 

L'exposition revient brièvement sur la présence de la musique dans les centres de mise à mort mais les archives et les documents sont plus maigres que celles des camps de concentration. La musique dans ces centres stimule et donne de l'entrain aux commandants soucieux de mener rapidement leur politique d’anéantissement des populations juives d’Europe à partir de l’automne 1941.

L'affiche de l'exposition "La musique dans les camps nazis" au Mémorial de la Shoah. (MEMORIAL DE LA SHOAH)

Exposition "La musique dans les camps nazis" au Mémorial de la Shoah, jusqu'au 25 février 2024.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.