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L'Océanie au musée du Quai Branly : des arts et des cultures vivants

Pirogue en forme de squale, textiles, statues de divinités, photos ou poème en vidéo, le musée du Quai Branly vous convie à un grand voyage en Océanie. Il vous fait découvrir les arts du grand continent de l'océan Pacifique, dans leur tradition et leurs expressions contemporaines, dans ce qui unit ses multiples cultures (jusqu'au 7 juillet 2019).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min

L'Océanie, ce sont 25.000 îles séparées par les eaux de l'océan Pacifique. Le musée du Quai Branly, en collaboration avec la Royal Academy of Arts de Londres qui les a déjà présentées dans ses locaux à l'automne 2018, a rassemblé 200 œuvres magnifiques qui racontent les cultures de l'immense continent.
 
Il s'agissait de mettre en valeur "un dialogue entre des pièces d'art contemporain et des pièces d'art historiques" (la plus ancienne, une sculpture de Nouvelle-Zélande, date du XIVe siècle), explique la co-commissaire Stéphanie Leclerc-Caffarel. De mettre en avant les similitudes formelles et les renouvellements artistiques. "On a vraiment essayé de mettre en avant le dynamisme de l'art océanien", ajoute-t-elle.
 
Les habitants de l'Océanie "sont reliés par les voyages. Ils sont conscients de ces liens. C'est une exposition sur des peuples et des communautés connectés entre eux à travers le temps et l'espace, par les échanges, par les migrations à l'époque contemporaine. Ils sont aussi marqués par leur rencontre avec les Européens", explique Nick Thomas, le directeur du musée d'Archéologie et d'Anthropologie de l'université de Cambridge et co-commissaire de l'exposition.

Des peuples reliées par la mer

Les œuvres, toutes réalisées par des artistes océaniens, sont parfois très connues, nous dit-il. D'autres, trouvées au fond des réserves de musées européens, n'avaient jamais été exposées ou, en tout cas, jamais en dehors des murs de ces musées, raconte Nick Thomas.
 
La présentation s'ouvre sur une immense tenture bleue (Kiko Moana) réalisée par un collectif de quatre femmes maories, comme une grande vague. Elle évoque la tradition textile, notamment l'art des étoffes d'écorce, importante dans le Pacifique. Elle renvoie à l'eau, élément qui relie tous ses peuples.
 
Il est encore question de l'océan dans l'exposition, avec des rames sculptées, dont une collectée par l'explorateur britannique James Cook (1728-1779). Ou des embarcations comme cette fine pirogue pour la pêche au requin, à proue en forme de squale (Papouasie-Nouvelle-Guinée). Et aussi une barque de Papouasie occidentale qui servait au voyage des esprits, la "pirogue des âmes", couverte de petites figures sculptées et jamais mise à l'eau, qui jouait un rôle dans les rituels de puberté.
 
D'étonnantes cartes de navigations réalisées avec des bâtons, où les îles sont représentées par des coquillages, montrent la connaissance qu'avaient les Océaniens des distances au sein de leurs archipels.

L'esprit des ancêtres dans des statuettes

De nombreuses pièces sont liées aux esprits des ancêtres. On découvre que, en Nouvelle-Irlande (île de Papouasie-Nouvelle-Guinée), la figure du chef était associée à des qualités réputées masculines et féminines, grâce à une statuette hermaphrodite dont le sexe en érection évoque la capacité à protéger son peuple et les seins celle à le nourrir.
 
Il y a la figure mythique d'A'a, conservée au British Museum. Trente petits personnages sculptés en relief sur le corps de la divinité représentent les générations qui séparent le dieu A'a du chef dont les os étaient conservés dans le ventre de cette statue en bois de santal. Elle a été donnée par un chef de Rarotonga (îles Cook) à un missionnaire en 1821 en signe de renoncement aux cultes ancestraux. Elle a alors été émasculée. Il en existe aujourd'hui une copie aux îles Cook et on sait que Picasso en avait une en bronze dans son atelier, raconte Stéphanie Leclerc-Caffarel.
 
Une figure féminine en bois des îles Cook, tatouée, représenterait un des premiers humains à être arrivées à Aitutaki (îles Cook) depuis les îles Australes. La tradition du tatouage se retrouve aujourd'hui, avec les photos de Mark Adams de personnes de la diaspora samoane en Nouvelle-Zélande. A Samoa, cette pratique, à la fois épreuve initiatique et outil de revendication identitaire, a survécu, explique la commissaire.

La colonisation sur fond de papier peint

Il faudrait parler aussi de l'influence sur l'art des Océaniens qui se sont approprié très tôt des matériaux arrivant d'Europe. En témoigne un couple d'ancêtres de la baie de l'Astrolabe (Papouasie-Nouvelle-Guinée) colorés en bleu avec un agent de blanchiment du linge arrivé dans les bagages des colonisateurs.
 
Lisa Reihana a réalisé une vidéo XXL ("A la poursuite de Vénus (infected)") où elle raconte la colonisation sur fond d'un papier peint créé par le Français Jean-Gabriel Charvet au début du XIXe siècle et baptisé "Les sauvages de la mer Pacifique". La violence des scènes contraste avec l'idéalisation des images du fond, qui relève de l'exotisme et du fantasme.
 
L'exposition souligne encore l'importance dans les cultures d'Océanie de la pratique du don et du contre-don, qui sous-tend les réseaux d'alliances. Le fait de donner confère du prestige et crée en même temps une dette pour celui qui reçoit. Les biens, objets en ivoire, étoffes en écorce battue, parures en plumes, sont accumulés, donnés, redistribués, au cours de grands échanges cérémoniels.

"Nous ne voulons pas partir"

Si les migrations au sein de la région recomposent les identités océaniennes, le changement climatique les mettra-t-il tout simplement en péril ? De nombreuses îles sont menacées par la montée des eaux. "Dites-leur que nous ne voulons pas partir, nous n'avons jamais voulu partir et nous ne sommes rien sans nos îles", dit Kathy Jetñil Kijner des îles Marshall, dans un long poème en vidéo.
 
Et une pièce inattendue en dit long sur l'attachement des Océaniens non seulement à leurs terres mais aussi à leur culture. Il s'agit d'une petite pierre blanche arrondie. Elle vient de la Tamise. Quand l'exposition s'est ouverte à Londres, nous raconte Stéphanie Leclerc-Caffarel, une baleine béluga blanche a été aperçue dans le fleuve qui traverse Londres.
 
"Rares en Angleterre, ces baleines sont importantes dans les cultures du Pacifique. Les dignitaires maoris présents au moment de l'inauguration de l'exposition à Londres y ont vu un signe de l'esprit de cette exposition qui réunit des trésors ancestraux et un signe de la présence et de l'approbation ancestrale. Ils ont décidé, comme ils l'auraient fait en Nouvelle-Zélande, d'aller chercher dans la Tamise une pierre qui représente cette force vive de l'exposition et des ancêtres. Elle a été transmise symboliquement au musée du Quai Branly."

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