L'art des Indiens des Plaines au Quai Branly : au-delà des clichés
"Faire une exposition sur les Indiens des Plaines nous paraissait important puisqu'il n'y a pas eu d'exposition de cette ampleur depuis très longtemps. La dernière d'importance date d'une vingtaine d'années aux Etats-Unis mais en Europe, il n'y a jamais eu, dans toute l'histoire, d'exposition sur les Indiens des Plaines de ce niveau, de cette importance et avec autant de pièces", souligne André Delpuech, conservateur en chef et responsable de l'unité patrimoniale des collections Amériques au musée du Quai Branly.
L'Europe, première collectionneuse d'art indien
"L'idée est venue aussi du fait que ces Indiens des Plaines, c'est une sorte de paradoxe. A la fois, ils sont très très connus. Tout le monde en a une idée au travers de ce qu'a véhiculé le cinéma, en particulier le cinéma hollywoodien. Et en même temps ces Indiens sont mal connus parce que souvent on en a une vision caricaturale. Tout le monde à un petit peu en tête cette idée de l'Indien emplumé avec les grandes coiffes qu'on a pu voir dans "Little Big Man", "Danse avec les loups", ou bien des westerns plus anciens aux grandes heures de John Wayne." Une salle de l'exposition propose d'ailleurs des extraits de ces films qui permettent de nous confronter avec ces stéréotypes.
Pour donner une autre vision des Indiens des Plaines, 140 pièces magnifiques ont donc été réunies, provenant de musées américains mais aussi de musées européens et notamment français, car paradoxalement, c'est en Europe qu'on a commencé à collectionner des œuvres des Amérindiens. Les musées européens, comme celui du Quai Branly, conservent les pièces les plus anciennes (XVIe et XVIIe siècle), alors qu'aux Etats-Unis l'intérêt pour l'art amérindien s'est développé surtout au XXe siècle.
400 objets des Plaines conservés au Quai Branly
"Il se trouve qu'en France, et particulièrement au musée du Quai Branly, on a un ensemble de pièces absolument exceptionnel qui provient pour une partie de la région des Plaines. Elles sont exceptionnelles par leur ancienneté", explique André Delpuech.
Il rappelle la présence des Français en Amérique du Nord, du Québec à la Louisiane "et même jusqu'aux montagnes Rocheuses". Une présence "un peu sporadique, avec des forts implantés de-ci de-là" de Français qui étaient en contact avec les Amérindiens et faisaient du commerce, notamment de peaux. Ceux-ci offraient ou échangeaient des objets avec les Européens contre des objets manufacturés, des matériaux ou des armes. Des objets ont intégré les cabinets de curiosité des rois de France et sont arrivés jusqu'à nous.
"Aujourd'hui, on a environ 400 objets qui proviennent de ces régions-là", précise André Delpuech. "Aussi bien des peaux peintes, des mocassins, des coiffes, des tuniques de guerre, des calumets, des ceintures de perles qui sont conservés dans des états plus ou moins bons. Certaines pièces ont 300 ou 400 ans d'histoire. C'est déjà un miracle qu'elles soient parvenues jusqu'à nous. C'est un ensemble absolument exceptionnel car il n'y pas l'équivalent ailleurs dans le monde. Certainement pas en Amérique du Nord, où on a collecté des objets Indiens beaucoup plus tardivement, au XIXe siècle."
La "Peau des trois villages", une œuvre qui porte en elle le métissage
"On a en particulier un ensemble de peaux peintes de 25 pièces environ", dit-il, attirant l'attention sur une pièce de l'exposition, qu'on appelle "La Peau des trois villages", attribuée aux Indiens Quapaw de la moyenne vallée du Mississipi et datant du milieu du XVIIe siècle. Cette peau montre des guerriers qui partent de trois villages pour combattre et passent par des maisons représentant probablement un fort français. L'un des villages s'appelle Arkansas et va donner son nom à la région. C'est la première mention connue de ce nom.
L'oeuvre est "complètement d'inspiration amérindienne" mais "elle porte déjà en elle les métissages qu'on trouve dans de nombreuses pièces de l'exposition". Les guerriers représentés, par exemple, ont des armes traditionnelles, des arcs, mais aussi des fusils qu'ils ont échangés avec les Européens.
Au-delà de quelques rares pièces très anciennes, comme une effigie de bison conservée au Canada qui date peut-être d'avant la Conquête (1400-1700), de nombreuses œuvres exposées ont été réalisées aux XVIIIe et au XIXe siècle. Or dès le XVIIe siècle, la société et la culture des Indiens des Plaines s'étaient transformées en raison de l'arrivée des Européens.
Une société bouleversée par le cheval
On n'y pense pas mais les Indiens à cheval qu'on voit dans les films n'existaient pas avant la Conquête. Ce sont les Espagnols qui les ont introduits en Amérique du Nord et les Indiens des Plaines se les sont appropriés au XVIIe siècle, ce qui a entraîné le plus grand bouleversement économique et culturel pour ces peuples semi-nomades qui chassaient déjà le bison, certes, mais à pied, et pratiquaient l'agriculture, notamment du maïs.
L'image du chasseur et guerrier à cheval n'apparaît pas que dans les westerns : elle est aussi très présente dans les représentations des Indiens eux-mêmes.
Et les Indiens des Plaines vont connaître, grâce au cheval, un certain âge d'or, malgré les guerres incessantes qui opposent les différents groupes. L'opulence se remarque dans leur production artistique, comme dans ce magnifique étui d'arc de 1875 en étoffe de laine rouge, peau de loutre et perles de verre, dans les robes et chemises, les jambières ou les pare-flèches. La chasse est plus facile, ils peuvent se déplacer sur des territoires plus étendus, ils acquièrent auprès des Européens de nouveaux matériaux, qu'ils vont complètement s'approprier.
Les perles de verre, un matériau emblématique
"Un des matériaux que je trouve emblématique, c'est les perles de verre", remarque André Delpuech. C'est intéressant d'observer dans l'exposition que dans les premières œuvres du XVIIIe siècle on n'a que quelques perles bleues et blanches qui parsèment de-ci de-là les coiffes ou tuniques. Elles montrent d'ailleurs la puissance des individus qui les portent, parce qu'elles montrent leur capacité à échanger avec les Européens des biens de prestige. Et puis à la fin, dans les œuvres contemporaines, des valises, des chaussures, le perlage va devenir complètement envahissant et va être l'image même de l'art amérindien. Paradoxalement c'est fait avec un matériau européen."
L'âge d'or des Indiens des Plaines est de courte durée : "Dans le même temps, la pression européenne va entraîner des déplacements de population, des recompositions, des guerres entre groupes indiens", fait remarquer André Delpuech. "Et puis il y aura la conquête de l'Ouest et la destruction délibérée des bisons par les Américains, la volonté de détruire aussi ces empêcheurs de coloniser en rond, comme on pourrait appeler les Indiens."
"On va avoir les guerres indiennes, des massacres, des épidémies, et la mise en réserves de tous ces peuples et leur quasi-disparition. On considère qu'il ne restait plus de 250.000 Amérindiens aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle quand il y en avait plusieurs millions à l'arrivée des Européens. Il y avait aussi une volonté d'éradiquer leur culture."
Une nouvelle période faste pour l'art des Indiens des Plaines
Le Quai Branly a voulu montrer comment, malgré toutes ces catastrophes, l'art des Indiens des Plaines a su subsister, se maintenir, et connaître même à partir du XXe siècle une nouvelle période faste. L'exposition, qui est présentée par grandes périodes, s'ouvre d'ailleurs sur des œuvres d'artistes indiens contemporains. Beaucoup rappellent l'esthétique plus ancienne, comme une magnifique robe de femme en cuir et perles de verre tissées réalisée en 2005 par la danseuse sioux Jodi Gillette pour ses prestations.
D'autres artistes réinterprètent l'art traditionnel, comme le Cheyenne Bently Spang, avec sa "Chemise de Guerre" de 1998 réalisée avec des images liées entre elles et des franges de négatifs photo.
"Le parti pris de l'exposition, c'est de montrer que, au-delà de ces vicissitudes, l'art amérindien s'est maintenu, montre une certaine continuité, traverse ces périodes tragiques de la mise en réserves et des guerres indiennes et va se redévelopper, se revitaliser même au XXe siècle", explique André Delpuech.
Alors qu'ils avaient presque disparu, les Amérindiens ont connu un boom démographique et même si certains vivent dans des conditions économiques et sociales déplorables, "ils sont en pleine vitalité, en pleine revendication politique, identitaire et culturelle", souligne-t-il.
Et donc loin d'être tournée vers le passé, cette exposition montre une tradition vivante et en perpétuel renouvellement.
Indiens des Plaines, Musée du Quai Branly, 37 quai Branly, Paris 7e
Mardi, mercredi, dimanche, 11h-19h
Jeudi, vendredi, samedi, 11h-21h
Fermé le lundi sauf pendant les petites vacances scolaires (14, 21 et 28 avril, 5 mai)
9€ / 7€
Du 8 avril au 20 juillet 2014-04-07
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