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L'humour british, le kitsch et la "nouvelle masculinité" de Grayson Perry à la Monnaie de Paris

Entre dérision et sérieux, couleurs kitsch et goût britannique "discret", Grayson Perry, artiste réjouissant à l'humour grinçant, aime porter des robes et parler de l'identité, de la société britannique qui est la sienne et de la masculinité. Il expose pour la première fois à Paris ses vases, ses tapisseries et ses sculptures. A découvrir à l'hôtel de La Monnaie (jusqu'au 3 février 2019)
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
A gauche, Grayson Perry à la Monnaie de Paris, à droite, sa moto customisée en hommage à son nounours ("Kenilworth AM1")
 (A droite et à gauche © Annie Viannet / MaxPPP)

"Ceci n'est pas une performance", précise Grayson Perry, habillé d'une robe à fleurs, un grand nœud rose dans les cheveux et lourdement maquillé. Il s'habille en femme parce qu'il aime ça. Il le fait depuis qu'il a commencé, à douze ans, à emprunter les robes de sa sœur. Même si ça lui pose quelques problèmes, dit-il, pour arriver à ce qu'on le prenne au sérieux en tant qu'artiste. Encore que, ça aussi ça le réjouit. Et "c'est très bon pour la pub", s'esclaffe-t-il.
 
C'est donc en Claire, son alter ego féminin, qu'il a présenté à la presse son exposition à la Monnaie de Paris. Il s'agit de la première grande exposition à Paris d'un artiste célèbre au Royaume Uni, où il a reçu le Turner Prize pour ses céramiques en 2003 et où il a fait des séries d'émissions télé abordant tous les thèmes qui lui sont chers, l'identité, la masculinité, la sexualité, le (bon et mauvais) goût, les classes sociales.
 
C'est plein d'humour (anglais) et d'autodérision qu'il aborde ces thèmes des plus sérieux. Et, étrangement, malgré le kitsch de son accoutrement, on l'oublie très vite tant l'ensemble paraît du plus grand naturel. Il passe son temps à égratigner les bourgeois, intellectuels bien-pensants (de gauche), le milieu de l'art, catégories dans lesquelles il s'inclut bien sûr. C'est un grand showman, d'ailleurs il dit en riant que son nouveau projet, c'est de faire du stand up.

Grayson Perry, "Precious Boys" (détail), 2004, céramique
 (Grayson Perry. Courtesy the artiste and Victoria Miro, London / Venice)

L'identité inscrite dans de grands vases

Grayson Perry s'est fait connaître pour ses céramiques d'abord. Un medium qu'il n'était pas évident d'imposer, trop artisanal, pas assez conceptuel. "Les pots ne sont pas comme les urinoirs et les requins", ironise-t-il. "La poterie est aux beaux-arts ce que les banlieues sont aux beaux centres-villes."
 
Il fait de grands vases aux formes très classiques ("je ne veux pas choquer") mais dont la décoration aborde des thèmes qui le sont moins. Il ne tourne pas ses pièces, il n'en produit pas assez dit-il, pour avoir appris la technique. Il les monte au colombin (boudin de terre). Et après, il multiplie les étapes de décoration (ça représente beaucoup d'heures de travail, souligne-t-il), il les grave, y applique des engobes (argile délayée et colorée), parfois des transferts de photos, les cuit plusieurs fois.
 
Grayson Perry est intarissable sur l'identité, thème d'un grand vase sur le travestissement, "Precious Boys", sur lequel il a dessiné de délicates figures féminines. Comme ses céramiques, "l'identité est constituée d'une multitude de couches, le genre, l'éducation qu'on a reçue, la classe sociale, la nationalité", dit-il, soulignant la complexité de la question. D'autant que, fait-il remarquer, "l'identité est créée aussi par les autres : si je dis que je suis un artiste et que personne n'est d'accord, je ne suis pas un artiste."
Grayson Perry, "Death of a Working Hero", 2016, tapisserie
 (Grayson Perry, Courtesy the artist, Paragon / Contemporary Editions Ltd and Victoria Miro, London / Venise)

Un nounours comme emblème de la nouvelle masculinité

Au chapitre de l'identité, la masculinité est son grand dada : il parle de la vieille masculinité, faite de force physique, de guerres, de chasse. Et d'une nouvelle masculinité plus tendre, respectueuse des femmes et qui prend en compte sa féminité. De son droit à être faible, de ne pas savoir. Il a enquêté sur le thème pour ses émissions de télé et s'amuse du déni qui touche la City de Londres, milieu masculin par excellence mais qui ne l'admet pas. A l'inverse de la vieille Angleterre industrielle du nord, où la masculinité à l'ancienne est tout à fait assumée. De ce thème, il a tiré des vases, dont l'un en forme de phallus, qu'il aimerait voir exposé dans l'entrée d'un immeuble de la City.
 
Son nounours d'autrefois est devenu un symbole de la "nouvelle masculinité" : dans une enfance perturbée ("normale, quoi, avec un peu de divorce, un peu de violence, beaucoup de cris"), Alan Measles (baptisé d'après un copain et la rougeole) a servi de substitut de père, de vedette de son monde imaginaire, d'objet sur lequel il projetait ses émotions.
 
Une énorme moto rose (il adore les motos) dédiée au nounours résume la trajectoire de l'artiste, de la masculinité à l'ancienne, celle du guerrier, à la nouvelle masculinité que cette homme marié à une psychothérapeute, père d'une fille, pense incarner : "Je dis toujours que je suis un homme qui aime porter des robes. Je ne dirai jamais que j'ai un problème d'identité sexuelle. Je vais toujours dans les toilettes des hommes, j'y tiens, même si ça en perturbe certains."
Grayson Perry, "Comfort Blanket", 2017, tapisserie
 (Grayson Perry, Courtesy the artist, Paragon / Contemporary Editions Ltd and Victoria Miro, London / Venise)

Le Brexit de la honte

"Je ne voudrais pas trop vous expliquer mes œuvres, dit Grayson Perry, parce qu'il y a une profonde poésie en chacune d'elles. Mon cynisme et mes plaisanteries ne sont qu'un moyen de me protéger des profondes émotions que j'éprouve quand je les produis." Quelques clés sont pourtant souvent nécessaires, quand il évoque la société britannique.
 
Le Brexit est pour l'artiste un grand motif de "honte" et une grande source d'inspiration. Nationalité, hospitalité, "fière histoire (britannique) que nous avons saccagée", lui inspirent de grandes tapisseries (car après la poterie, il s'est mis à la tapisserie). Sur l'une, conçue comme un grand billet de banque à l'effigie de la reine, on trouve pêle-mêle les qualités et les belles choses d'un vieux Royaume-Uni terre d'accueil : entre autres, une bonne tasse de thé, la reine, le fish and chips, le fair play, Agatha Christie ou les Monty Python !
 
Grayson Perry s'est aussi amusé à faire une sorte de radioscopie des pro et anti-Brexit, leur demandant leurs goûts, les personnages qu'ils admirent. De tout ça, il a fait deux vases, celui des "remainers" et celui des "leavers". Conclusion, ils se ressemblent beaucoup. Seuls varient les personnalités qui représentent leurs valeurs, Barack Obama d'un côté, Winston Churchill de l'autre… Et ils aiment tous David Bowie.
Grayson Perry, "The Annunciation of the Virgin Deal", 2012, tapisserie
 (Grayson Perry. Courtesy the artiste and Victoria Miro, London / Venice)

Bon goût et classes sociales

Une autre grande interrogation de Grayson Perry, qui est souvent, volontairement, à la limite du kitsch (ou au-delà) : celle du bon et du mauvais goût, dans l'art et en général. Une question qu'il relie à celle des classes sociales, si forte au Royaume-Uni. C'est un des thèmes d'une série de six tapisseries, espèce de BD murale où il retrace l'histoire de Tim Rakewell (un clin d'œil à Tom Rakewell, héros d'une série de toiles de William Hogarth, artiste britannique du 18e siècle).
 
Le héros de Grayson Perry est né comme lui dans l'Essex, dans une famille ouvrière, et il le promène à travers toutes les structures sociales du XXIe siècle et leurs univers esthétiques : il ira à l'université, travaillera dans l'informatique où il se fera beaucoup d'argent, épousera une fille de bourgeois avant de s'écraser contre un poteau dans sa belle Ferrari.
 
"Les milieux ouvriers mettent leur argent dans ce qui se voit : leurs vêtements, leurs tatouages, leurs voitures. Les bourgeois le mettent dans leur maison et dans la culture." Il ironise sur les gens de la classe moyenne supérieure, qui veulent être vus comme des gens bien : ils "recyclent tout", mangent de bons légumes du jardin et utilisent des couches lavables, au milieu de meubles Habitat ou Conran, et "aiment se faire photographier devant leur bibliothèque".
Grayson Perry, "#Lamentation", 2012, tapisserie
 (Grayson Perry. Courtesy the artiste and Victoria Miro, London / Venice)


Le smartphone, vanité des temps modernes

Sans oublier les aristocrates, "une tribu menacée aux grandes maisons qu'ils n'ont plus les moyens d'entretenir" et qui aiment tout ce qui tombe en morceaux : les vieilles voitures, les vieux vêtements.
 
Le héros de Grayson Perry meurt sur le bitume, dans une "#Lamentation" inspirée de Rogier van der Weyden : son smartphone lui échappe des mains, venant remplacer le crâne qui se trouvait au premier plan du tableau du peintre flamand. Sorte de vanité moderne, le téléphone est aujourd'hui "le lieu de toutes nos mémoires".
 
"Et si vous pensez que je suis un travesti à la noix, sachez qu'il y a une grande poésie dans cette espèce de memento mori. Je peux être cynique et déconnant mais tout ça m'émeut beaucoup", conclut l'artiste, sérieux tout d'un coup. Bienvenue dans un univers qui nous transporte au-delà de l'apparente légèreté.
 

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