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Charlotte Perriand à la Fondation Vuitton : un design révolutionnaire au service de l'homme

De Charlotte Perriand, qui a réalisé pendant dix ans les intérieurs de Le Corbusier, on connait surtout les meubles en acier chromé. Une grande exposition à la Fondation Vuitton nous fait découvrir toutes les facettes de son talent et de ses engagements.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
A gauche, Charlotte Perriand sur la "Chaise longue basculante, B306" (1928-1929), Le Corbusier, P. Jeanneret, C. Perriand, vers 1928 - A droite, Fernand Léger, "Composition aux deux perroquets", 1935-1939 (A gauche © F.L.C. / ADAGP, Paris 2019 © ADAGP, Paris 2019 © AChP - A droite Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Adagp, Paris, 2019 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jacques Faujour)

Une chaise longue ou un fauteuil carré à la structure en tubes chromés, une bibliothèque asymétrique aux couleurs vives. Les meubles imaginés par Charlotte Perriand à partir des années 1920 ou 1930 sont bien connus et nous semblent toujours modernes. Vingt ans après sa mort, près de quinze ans après l'exposition du Centre Pompidou, la pionnière du design, qui était aussi une amie des artistes de son époque et une femme engagée pour les causes sociales et contre le franquisme, investit tous les étages de la Fondation Louis Vuitton jusqu'au 24 février 2020.

Charlotte Perriand, "Perspective du Bar et de la salle à mangerde la place Saint-Sulpice", 1927, publié dans : Francis Jourdain, "L’Art international d’aujourd’hui", volume no 6 consacré aux intérieurs, planche 40 Paris, Charles Moreau, 1929 (© Adagp, Paris, 2019 © AChP)

L'atelier de Saint-Sulpice, un laboratoire

Quelque 200 pièces de mobilier sont exposées, entourées d'autant d'œuvres d'art de Fernand Léger, Pablo Picasso, Joan Miro, Calder ou Le Corbusier qui montrent les liens forts de Charlotte Perriand avec les artistes de son temps et surtout sa réflexion sur l'intégration de l'art dans l'habitat, le dialogue qu'elle établit entre les artistes et son travail. Les peintures sont accrochées à côté des œuvres de design, de la même façon qu'elles l'étaient dans ses expositions ou dans les intérieurs modèles qu'elle présentait dans les salons. Elle a même intégré exceptionnellement des œuvres d'art dans ses pièces de mobilier, comme dans la petite table basse de 1937, ornée de reliefs tirés d'une gravure de Picasso et d'un dessin de Fernand Léger (Table manifeste).


L'exposition est chronologique, depuis les premières créations de Charlotte Perriand dans les années 1920, chez elle. En effet, l'artiste, qui a étudié à l'école de l'Union centrale des arts décoratifs, utilise son atelier de la place Saint-Sulpice comme un laboratoire. Elle y réalise un Bar sous le toit, dépouillé, meublé de chaises rouges d'acier chromé, selon les croquis exposés. Déjà, elle réfléchit au vide autant qu'aux meubles qui remplissent l'espace.

Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand, "Un équipement intérieurd’une habitation", Salon d’automne, 1929 (© F.L.C. / Adagp, Paris, 2019 © Adagp, Paris 2019 © Jean Collas / AChP)

Dix ans chez Le Corbusier

Quand Charlotte Perriand fait visiter son atelier à Le Corbusier, il est séduit et l'embauche. Pendant dix ans (de 1927 à 1937), elle va s'occuper de l'équipement intérieur des constructions du célèbre architecte et de son associé et cousin Pierre Jeanneret.

Avec les deux architectes, Charlotte Perriand ne dessine pas seulement du mobilier. Voulant "vivre son siècle et anticiper", elle crée des espaces modulables révolutionnaires, elle réfléchit à la circulation des corps d'une pièce à l'autre, avec un minimum de cloisons, parfois remplacés par des meubles. L'exposition reconstitue les intérieurs qu'elle a imaginés, comme les 90 m2 de l'appartement modèle présenté au Salon d'automne de 1929, qui révolutionne l'aménagement intérieur. Des rééditions des pièces emblématiques à structure d'acier chromé (cosignés avec Le Corbusier et Jeanneret, puisqu'elle travaille avec eux) et une reconstitution d'un meuble disparu ont été commandées spécialement : Fauteuil grand confort, Fauteuil dossier basculant, Chaise longue basculante.

Charlotte Perriand, "Grès de la carrière de Bourron,forêt de Fontainebleau", vers 1935 (© Adagp, Paris, 2019 © AChP)

Objets récupérés dans la nature

Plus tard, elle rompt avec l'acier, revenant à des matériaux naturels. En 1937, l'année où elle quitte l'agence de Le Corbusier, elle dessine pour l'exposition universelle de Bruxelles, une Maison du jeune homme, intellectuel et sportif, également reconstituée dans l'exposition, avec la peinture de Fernand Léger qui la décore. Charlotte Perriand y revisite sa chaise basculante avec du bois et de la paille.

Dès les années 1930, avec Fernand Léger et aussi avec Pierre Jeanneret, elle se promène dans la nature et récupère des os, des bois flottés, des galets, de la ferraille qui lui fournissent de nouvelles idées de formes. On découvre à l'occasion la Charlotte Perriand photographe, qui fixe ces objets sur la pellicule, produisant de belles images un peu abstraites.

Les tables en verre et en acier vont laisser la place à des tables en bois, parfois taillées en coupe dans un énorme tronc d'arbre (Table basse tronc d'arbre brut, 1940). Rompant avec la table ronde ou carrée, elle dessine des tables en forme dite "libre", douce et totalement asymétrique comme un nuage, qui peuvent accueillir davantage de convives.

Charlotte Perriand, Bibliothèque de Maison de la Tunisie, 1952, Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle  (© Adagp, Paris, 2019 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Audrey Laurans)

Des meubles déclinés en différents matériaux

Mais, surtout, au fil de l'exposition on va s'apercevoir que Charlotte Perriand, toute sa vie, a réinterprété une même gamme de meubles simple et assez limitée, dans des matériaux différents, au fil de ses voyages notamment. Pendant la guerre, elle séjourne et travaille un an et demi au Japon où elle doit s'adapter aux techniques et aux matériaux disponibles. Elle allège sa Chaise longue basculante, grâce au bambou, et signe alors les débuts d'un design mondialisé.

Sa bibliothèque, légère avec des panneaux coulissants de couleurs vives à la Maison de la Tunisie (cité universitaire) de Paris, devient plus imposante, en bois de jacaranda avec des portes en jonc tressé, dans l'appartement de son mari à Rio de Janeiro quand il travaille au Brésil dans les années 1960. Ses longs bahuts peuvent être en acier noir et en bois en 1960 à Paris, en bois laqué blanc et aux portes cannées en 1977 pour l'appartement du collectionneur Maurice Jardot.

Charlotte Perriand, "Table basse-manifeste pour Jean-Richard Bloch", 1937, Sur le plateau, deux gravures de Pablo Picasso extraites de la série "Songe et Mensonge de Franco", 1937, et deux dessins de Fernand Léger, "Tire-bouchon" et "Fragment de vitrage", 1933 (© Adagp, Paris, 2019 © Charlotte Perriand/AChP © Succession Picasso 2019)

Une artiste engagée

Charlotte Perriand était engagée socialement et politiquement. Membre de l'AEAR (Association des écrivains et artistes révolutionnaires) à partir de 1932, elle soutient les républicains espagnols contre le franquisme au moment de la Guerre d'Espagne. Elle s'engage socialement contre le mal-logement, s'interroge sur un urbanisme plus favorable aux pauvres : une préoccupation qu'elle exprime dans une fresque-photomontage géante, baptisée La Grande misère de Paris, exposée au Salon des arts ménagers en 1936, l'année du Front populaire.

Plus largement Charlotte Perriand disait travailler "pour l'homme", pour son confort, pour l'harmonie de sa vie. Elle travaillait en particulier pour les femmes, pour leur rendre la vie quotidienne plus facile. A Marseille avec Le Corbusier, elle invente la cuisine intégrée, elle imagine des meubles passe-plats.

Une humanité louée par le célèbre architecte américain Frank Gehry, qui souligne aussi la "maîtrise absolue de l'espace et de la composition" d'une artiste qui, pour lui, "savait ce qu'était la sculpture au sens le plus noble du terme, celui de la relation entre les objets dans le monde".

Le monde nouveau de Charlotte Perriand
Fondation Louis Vuitton
8, avenue Mahatma Gandhi, 75116 Paris (Bois de Boulogne
voir horaires sur le site
Tarifs : 16 € /10 € / 5 €
Du 2 octobre 2019 au 24 février 2020

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