"Chorégraphies suspendues", des artistes vietnamiens font face à l'Histoire
L'image que nous nous faisons du Vietnam correspond-elle à la réalité du Pays? Existe-il un Vietnam sur lequel ne pèse pas, ou ne pèse plus, l'horreur des guerres et du collectivisme ? C'est en partie pour répondre à ces questions que sept artistes et un collectif se sont unis afin de proposer cette exposition. Les commissaires sont Zoe Butt, la présidente et directrice artistique de San Art à Ho-Chi-Minh Ville (l'ancienne Saïgon) et Jean-Marc Prévost, le directeur du Carré d'Art, le musée d'art contemporain de Nîmes.
Reportage : Pascale Barbes/V. Banabera/A. Melun
Le Vietnam occupe une place à part dans l'imaginaire français. Ce pays qui figure depuis les années 90 parmi les destinations préférées des touristes de l'Hexagone, fut la Perle de l'Empire avant de devenir le théâtre de la première grande guerre de décolonisation dite "d'Indochine", celui du grand conflit "chaud" de la guerre froide et enfin l'un des pays du Sud-est asiatique à traverser la fin du XXe siècle sous le joug communiste. Sentiments mêlés
Relégué à l'arrière-plan dans le souvenir national par la guerre d'Algérie, le conflit indochinois reste pourtant l'illustration de la perte d'influence de la France dans le monde en même temps que du combat des peuples colonisés pour leur indépendance. L'exposition de Nîmes exprime bien ces sentiments mélangés. Dés que l'on touche au Vietnam, à sa géographie et à son histoire, tout devient compliqué. L'Indochine, ce n'était pas que le Vietnam. Le Vietnam, ce furent deux pays. Les Vietnamiens victorieux, les communistes du nord, infligèrent à ceux du sud un régime qui, sous prétexte d'indépendance, les assujetissait à l'Union Soviétique.
Pays toujours officiellement communiste
Les artistes qui exposent sous le titre tragiquement poétique de "Chorégraphies suspendues" utilisent les images symboles de l'histoire de leur pays. Les deux navires échoués sur des milliers de photographies retournées rappellent les odyssées souvent mortelles des boat-people, réfugiés du Sud-Vietnam fuyant par centaines sur n'importe quel esquif le nouveau régime communiste. Ils laissaient derrière eux tout ce qui avait composé leur vie et leur histoire. La tête de Lénine, dorée comme les espoirs promis, enchaînée comme les libertés piétinées... Les silhouettes d'hommes et de femmes, sans visage, sans pieds ni mains, illustrent un système qui nie l'individu et ses aspirations. Ces oeuvres, très sudistes quand on connaît un peu le pays, ne pourraient sans doute pas être exposées telles quelles au Vietnam. Bien que désormais très ouvert sur le monde, appliquant une économie fort peu collectiviste, le pays révère toujours officiellement son leader historique, Ho-Chi-Minh, et s'inscrit dans la liste des pays qui se réclament du communisme. Conflit fondateur
Aujourd'hui, l'énorme majorité des Vietnamiens est née après la guerre contre les Etats-Unis. Pourtant, et cette exposition l'illustre, ce conflit fondateur du Vietnam contemporain pèse toujours sur l'inconscient collectif. Le communisme soviétique étant tombé, celui du Vietnam n'existe plus que dans la théorie et la ligne gouvernementale. On peut alors se poser la question : les Nord-Vietnamiens victorieux étaient-ils des communistes ou des partisans de la seule valeur qui traverse les siècles vietnamiens : l'indépendance (doc lap, mot omniprésent dans la péninsule) ? Qu'ont bien pu ressentir les Vietnamiens sortis de trente années de guerre pour tomber dans l'oppression bureaucratique quotidienne ? Les images suscitées par les oeuvres exposées à Nîmes permettent, sinon d'y répondre, au moins de les prolonger en ressentant l'intensité de la souffrance et du martyr de ce peuple. "Chorégraphies suspendues"
Oeuvres des artistes Lena Bùi, Tiffany Chung, Ɖinh Q Lê, Jun Nguyễn-Hatsushiba, Nguyễn Huy An, Nguyễn Thái Tuấn, Nguyễn Trinh Thi et The Propeller Group
Le Carré d'Art Musée d'Art Contemporain
30000 Nîmes
Jusqu'au 27 avril 2014
Manifestation organisée dans le cadre de l'année France Vietnam
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