Camille Moreau-Nélaton, la céramiste qui a séduit l'exposition universelle de 1878, à découvrir à Rouen
Ses décors de plantes et d'animaux sur céramique japonisants avaient séduit de nombreux acheteurs à l'exposition universelle de 1878. Ils sont à découvrir au musée de la Céramique de Rouen (jusqu'au 11 novembre 2020)
Dans le cadre de la saison Normandie impressionniste, le joli Musée de la céramique de Rouen expose Camille Moreau-Nélaton (1840-1897), une céramiste qui a développé de très beaux décors aux couleurs vives et aux motifs japonisants à la fin du XIXe siècle. A deux pas du musée des Beaux-Arts où est présentée la collection impressionniste de François Depeaux, on découvre l'oeuvre restée quasi confidentielle d'une femme qui a su élever son art au-dessus de le pratique amateur que lui réservait sa condition d'épouse bourgeoise.
"Cinq ou six pièces de Camille Moreau-Nélaton ont été présentées dans des expositions depuis les années 1950 mais la plupart de ses pièces sont conservées par les descendants et sont totalement inconnues. Une vingtaine seulement sont dans les collections publiques", raconte Alexandra Bosc, commissaire de l'exposition du musée de la Céramique de Rouen.
Et pourtant son œuvre est très bien identifiée car son fils, Etienne Moreau-Nélaton, intellectuel, artiste et collectionneur (il est l'auteur d'une des plus importantes donations d'oeuvres impressionnistes à l'Etat), a réalisé un catalogue complet et précis de l'oeuvre de Camille Moreau-Nélaton après sa mort. Soit environ 250 pièces.
Destinée à pratiquer en amateur
"Pour nous elle est très moderne dans le sens où c'est une femme de la haute bourgeoisie, destinée à pratiquer en amateur, pour s'occuper, mais elle a eu la chance d'être mariée à un homme qui avait lui-même des goûts artistiques et qui l'a encouragée", explique la commissaire.
Camille Moreau-Nélaton (1840-1897) est la fille d'Auguste Nélaton, chirurgien de Napoléon III et homme du monde. Elle se marie avec Adolphe Moreau, membre du conseil d'Etat, aquarelliste amateur.
Elle-même a une petite formation de peintre, et puis elle a un coup de foudre pour le fameux service Rousseau de Felix Braquemond inspiré des estampes japonaises, alors que l'art nippon commence à séduire l'Europe. Elle le découvre à l'exposition universelle de 1867 et décide de réaliser son propre service en collaboration avec sa sœur et son mari. Ils achètent une centaine de pièces de faïence blanche sur lesquelles ils peignent des décors, tous différents, avec des émaux, avant de les faire recuire.
Dans l'épaisseur de la barbotine
Enthousiasmée, Camille Moreau-Nélaton se perfectionne chez le céramiste Théodore Deck : elle apprend le décor d'émaux polychromes sur faïence fine. Mais c'est le décor à la barbotine qu'elle apprend ensuite chez Laurent Bouvier, qui sera sa spécialité.
"La barbotine est une pâte argileuse, réalisée avec la même terre que celle dont est faite la forme, plus ou moins délayée et colorée avec des oxydes métalliques", explique Alexandra Bosc. Elle est appliquée après une première cuisson (le biscuit), puis la pièce est recuite et ensuite glaçurée. "La spécificité de Camille Moreau-Nélaton, c'est qu'elle joue sur des surépaisseurs, faisant une couche de barbotine plus ou moins épaisse qu'elle recreuse, c'est un travail très fin."
Et un travail très long que lui permet sa situation de femme bourgeoise qui n'a pas besoin de gagner sa vie. Elle produit entre dix et vingt pièces par an, réalisant ses décors chez elle ou sur ses lieux de vacances. Elle fait des pièces uniques, même s'il peut lui arriver d'en recommencer une après un accident de cuisson. Collectionneuse d'album d'estampes japonaises, elle s'inspire des motifs de fleurs, de fruits, d'animaux, les reproduisant parfois à l'identique. Les iris, fleurs de cerisiers, feuilles de cornouillers, carpes et oiseaux de ses décors aux couleurs chaudes sont très séduisants.
D'autres pièces inspirées de l'art du passé sont moins réussies et reflètent les goûts conservateurs du couple Moreau, qui n'aime pas du tout l'impressionnisme, contrairement à leur fils Etienne. Elle réalisera pourtant à la fin de sa vie quelques décors urbains contemporains avec vue sur les toits de Paris et sur des cheminées d'usines assez surprenantes.
Le succès à l'exposition universelle de 1878
Il est fort possible que la présence de Camille Moreau-Nélaton à l'exposition universelle de 1878 ait été favorisée par la position et l'influence de son mari. Toujours est-il que quand elle y expose une trentaine de plats et de vases, elle a un franc succès auprès des collectionneurs, français et étrangers, qui emportent quasiment toutes ses pièces. Elle est remarquée par l'influent directeur du musée de Limoges Adrien Dubouché qui en acquiert quatre dont un magnifique plat décoré de carpes et de pêchers en fleurs. Il dira que "Mme Moreau est un amateur que nous proclamons une grande artiste".
Jusque-là, ses pièces étaient destinées à son entourage familial et amical. L'exposition universelle la rend visible et lui fait vendre au-delà du cercle des proches, jusqu'à Londres où elle est représentée par un magasin. Mais affectée par la mort de son mari en 1882 et par des problèmes de santé, elle produit moins. Au début des années 1890, elle est toujours exposée, au salon des Arts de la femme et à l'exposition universelle de Chicago, avant sa mort tragique dans l'incendie du Bazar de la Charité, en 1897.
Camille Moreau-Nélaton, une femme céramiste au temps des impressionnistes
Musée de la céramique
1, rue Faucon, Rouen
Tous les jours sauf mardi et le 11 novembre, 14h-18h
Jusqu'au 15 novembre
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