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"C'est étrange, je ne comprends rien !" : réactions mitigées au projet artistique et énigmatique DAU à Paris

Publié
Temps de lecture : 7min
Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France

Les visiteurs du projet artistique DAU, dans plusieurs sites parisiens, en ressortent plus ou moins convaincus, entre curiosité et déception.

C'est un projet qui a déjà beaucoup fait parler de lui, avant même son ouverture : énigmatique, réparti sur plusieurs lieux parisiens (théâtre de la Ville et théâtre du Châtelet, le centre Pompidou est aussi associé), qui mêle cinéma, exposition immersive, performances, concerts, le tout dans l'ambiance soviétique des années 40, 50 et 60...difficile de qualifier ce qu'est le projet DAU.

Une épicerie avec des produits de l'époque soviétique est proposée aux visiteurs. (NOEMIE BONNIN / RADIO FRANCE)

"Le plus marquant, c'est que ça ne ressemble à rien d'autre que ce qu'on n'ait vu ailleurs", résume Rémi. Avec son ami, il vient pour la seconde fois, car à leur première visite un seul des deux théâtres était ouvert. "Il se passe plein de choses. La dernière fois, on était resté jusqu'à tard, on avait vraiment apprécié les différentes ambiances. Mais ce n'est pas aussi déroutant ou dérangeant qu'on s'y attendait. C'est surtout un espace de liberté, pour aller voir ce qu'on veut, où on veut."

La zone de visite est effectivement très grande : on erre dans les deux théâtres en travaux - ce qui rajoute indéniablement un aspect énigmatique - entre salles de cinéma, cabines de discussion en tête à tête avec des rabbins, prêtres, imam ou pope, appartements communautaires de l'époque soviétiques reconstitués, bars où l'on peut notamment déguster de la vodka dans une tasse en fer blanc, ou manger un morceau.

Plusieurs bars proposent boissons et nourritures traditionnelles. (NOEMIE BONNIN / RADIO FRANCE)

Julia et son ami empilent justement leur assiette, ils terminent un un bortsch (potage traditionnel slave, préparé à base de betterave), après deux heures et demi déjà de visite. "On ne peut pas tout faire, on n'a pas assez de temps, mais c'est très intéressant. On vient de voir un film sur le recrutement du KGB. Il dure quatre heures, donc on n'a pas tout vu", se réjouit cette femme israélienne, venue quelques jours à Paris.

Vous vous sentez dans une expérience totale, c'est ça qui est bien.

Julia

à franceinfo

Lui aussi, est plutôt enthousiaste : Laurent vient de s'entretenir trois quarts d'heure avec un prêtre russe. "On a parlé du capitalisme, du communisme, il m'a raconté que son père avait été emprisonné. On a parlé de l'intelligence artificielle, des pêchés, d'énormément de sujets, c'était un véritable échange. C'était très enrichissant, un très bon moment." Ce Parisien a choisi la formule totale, avec un "visa" (l'équivalent du ticket d'entrée) permanent, acheté 150 euros (les autres possibilités sont un visa de six heures à 35 euros ou de 24 heures à 75 euros). Laurent est plus satisfait que la veille, où il était "très difficile de rentrer dans les salles de cinéma, c'était un peu décevant. Là je suis venu plus tôt, les activités sont plus faciles. Il l y a encore un petit peu de flou, de manque d'organisation, mais le concept est vraiment très très intéressant."

Des entretiens privés sont possibles avec des prêtres, imams, rabbins ou popes. (NOEMIE BONNIN / RADIO FRANCE)

Ce flou dans l'organisation, c'est le principal reproche de visiteurs moins conquis. "Je ne comprends rien !" s'emporte par exemple Valérie, dans les lieux depuis quatre heures. "J'avoue que c'est un peu obscure, j'ai un peu de mal à faire une vraie immersion. Les films sont assez abscons, dans l'appartement communautaire, il y a des choses qui me paraissent un peu caricaturales. C'est étrange, je suis un peu déstabilisée par le concept, je n'accroche pas vraiment, non."

C'est un sujet qui m'intéresse, mais là, j'ai l'impression de ne rien saisir, je ne comprends rien à la signalétique. J'ai l'impression qu'on m'a donné tous les rushes d'un film sans faire le montage.

Valérie

à franceinfo

Il arrive effectivement souvent de croiser des visiteurs perdus. "Vous avez vu des choses, vous ? C'est où en fait les choses ?" questionne un couple. "L'organisation n'est pas encore au point, il y a pas mal de trucs qui ne sont pas encore tout à fait bien réglés. Certains locaux sont fermés", explique Verner, qui en est quand même...à sa 10e heure sur place. "Après, ce qui est sympa, c'est qu'il y a beaucoup de choses à voir, beaucoup de films, de mises en situation, même si c'est assez dur à rentrer dedans parce que tout est en russe et le système de traduction n'est pas exceptionnel. Mais sinon, l'expérience en elle-même est intéressante."

Le parcours à l'intérieur des deux théâtres est libre, avec de nombreuses salles. (NOEMIE BONNIN / RADIO FRANCE)

En revanche, Verner est déçu par un aspect mis en avant par les organisateurs : la personnalisation du parcours. Au moment de l'achat du visa, il faut répondre à un questionnaire très précis et déroutant, sur l'amour (à plusieurs ou perdu à jamais), les relations (déséquilibrées ou répréhensibles), l'enfance (traumatisante ou culpabilisante). Avec, à la clé nous promet-on, des expériences différentes selon les réponses. "Franchement, je ne l'ai pas du tout sentie. Quand on arrive ici, on ne voit pas du tout le rapport."

DAU, il faut plus le prendre comme une expérience que comme l'exposition de l'année.

Verner

à franceinfo

Autre "must" du projet, l'entretien avec un (vrai) chaman. "Elle a passé ses doigts tout au long de mon avant-bras et au fur et à mesure elle disait des choses sur ma vie professionnelle, puis sur la vie amoureuse", relate Émilie. "Elle était assez vague, mais à la fois ce qu'elle disait était assez juste. Si ça pouvait se transposer à n'importe quelle personne, je ne sais pas, mais c'était marrant de la voir palper ma peau, c'était une expérience assez sympa dans l'ensemble. C'était très court, j'aurais bien aimé plus discuter avec elle, pour comprendre un peu plus dans le contexte soviétique ce que le chamanisme représentait pour les Russes."

La reconstitution d'un appartement communautaire, où des personnes vivent jour et nuit. (NOEMIE BONNIN / RADIO FRANCE)

Si cette expérience a donc assez plu à la jeune femme, le reste du projet lui semble, là aussi, assez brouillé : "C'était très déstabilisant au début. D'habitude quand je vais voir une expo, je n'aime pas lire à l'avance, mais là j'aurais dû, parce que je n'avais pas compris le concept de ces gens internés pendant trois ans qui revivaient les années soviétiques". Le projet est effectivement basé sur une expérience filmée de 400 personnes, qui ont vécu en vase clos pendant trois ans, en reproduisant la vie quotidienne de l'Institut de physique que Lev Landau, prix Nobel russe, avait dirigé en URSS.

"Je m'attendais à ce qu'il y ait beaucoup plus d'expositions fixes qui replongent vraiment dans les années soviétiques et il n'y en a pas tant que ça ou alors ce sont des salles tellement conceptuelles qu'on se pose beaucoup de questions. Si on vient, il faut se dire qu'on y passe six heures et se forcer presque à regarder les films jusqu'au bout pour comprendre, parce que sinon c'est vraiment hermétique", estime Émilie. "Le monde moderne a un emploi du temps serré, tout le monde cherche à gagner du temps, mais DAU suit un rythme différent. Ici, le participant attend l'inconnu et l'impromptu", assument les organisateurs.

Le projet DAU, qui a attiré 14 000 spectateurs sur les deux premières semaines, est ouvert jusqu'au 17 février, avant de partir pour Londres.

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