Beat Generation, histoire d'un mouvement en sons et en images au Centre Pompidou
La Beat Generation est née juste après la Seconde guerre mondiale, de la rencontre de trois jeunes étudiants et écrivains, Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs, à New York à la Columbia University, en 1944.
"Ca a fait tache d'huile : au début, c'est juste un groupe d'amis qui se rencontrent à New York et petit à petit ça grandit. Il y a de plus en plus de monde, ça devient une sorte de mouvement et de contre-culture. Je pense que ça a été vraiment le berceau des contrecultures contemporaines", raconte le commissaire de l'exposition, Philippe-Alain Michaud. L'exposition va jusqu'en 1969, moment où le mouvement libertaire et spontané de la beat generation va se politiser, avec les grandes manifestations pour les droits civiques. La culture hippie et le psychédélisme remplaceront alors la culture "beat".
Autour du manuscrit de "On the Road"
Le mot "beat" a plusieurs significations. En argot des rues, d'abord, ça veut dire cassé, fauché. Ensuite, le "beat", c'est le tempo du jazz, au moment où le bebop relaie le swing. Et puis, "à ces deux significations, Kerouac en a ajouté une troisième qui est 'béatitude', qui fait référence à l'extase, qu'elle soit chimiquement ou philosophiquement induite. Elle a aussi quelque chose à voir avec un sentiment de fusion avec la nature", explique Philippe-Alain Michaud.L'exposition du Centre Pompidou, conçue comme un voyage, a pour "épine dorsale" le manuscrit de "On the Road" de Jack Kerouac qui raconte trois ans de pérégrinations déjantées à travers les Etats-Unis. Sans interlignes, quasiment sans marge, le manuscrit est un rouleau constitué de feuilles de papier calque collées bout à bout : Kerouac voulait pouvoir écrire son roman sans recharger sa machine à écrire. Il le tape d'une traite, comme il conduirait une voiture. Une pratique rythmique scandée par la frappe et les retours du chariot, inspirée du jazz. Pour le commissaire, "'On the Road', ce n'est pas seulement une description du voyage, c'est aussi sa reproduction".
Quand on entre dans l'exposition, on a donc en face de soi une longue vitrine qui court sur des dizaines de mètres et où le tapuscrit est déroulé, entourée d'écrans suspendus, sur lesquels sont projetés des road movies amateurs tournés dans les années 1940 par des passagers de voitures. L'image de ces paysages qui défilent se reflète sur le manuscrit de Kerouac.
Une exposition visuelle et sonore
Autre œuvre emblématique de la beat generation présente dans l'exposition, "Howl", le poème qu'Allen Ginsberg lit en 1955 à la Six Gallery de San Francisco et qui sera interdit et poursuivi pour obscénité.Avec des magnétophones, des postes de radio, des caméras, des appareils photos, les premières imprimantes, l'exposition insiste sur l'appropriation par la beat generation des moyens techniques de reproduction modernes. Elle montre comment elle les a détournés, avec par exemple "Dial a poem" de John Giorno, qui fait entendre des poèmes dans des téléphones. Car les membres de la beat generation ont beaucoup travaillé sur les sons et l'exposition est autant sonore que visuelle.
"Il faut être attentif à la manière dont les sons se superposent, se répondent, se contredisent et produisent une sorte de tension dans l'espace", explique Philippe-Alain Michaud : "On fait fonctionner tous les médiums ensemble, même de manière contradictoire. Il y a beaucoup d'images en mouvement, beaucoup de sons, beaucoup de choses à lire aussi. Et tous les rapports entre les œuvres changent en permanence."
De New York à San Francisco
Car l'oralité est importante, les "beat" passent leur temps à dire leurs poèmes dans des bars et à les enregistrer, pour "rendre à la poésie sa sonorité". "C'est probablement à ce moment que s'inventent les œuvres sonores qui sont devenues une des tendances lourdes dans la production artistique contemporaine", estime Philippe-Alain Michaud.Les artistes de la Beat Generation se photographient beaucoup entre eux, rendant ainsi compte de l'aspect collectif de leur pratique. Et, nouveau mélange des médiums, Allen Ginsberg transforme ses tirages en pages d'écriture.
Un foisonnement de revues relaie la production des écrivains de la beat generation, de New York à San Francisco. Car comme les héros de Kerouac, ils voyagent. Et l'exposition s'intéresse aux différents lieux où ils ont vécu et créé.
Le Mexique, un lieu mythique pour la beat generation
New York où le jazz s'épanouit, où Fred W. McDarrah photographie les performances littéraires, où le photographe Robert Franck tourne "Pull My Daisy" (1959), un film fondé sur un poème collectif de Jack Kerouac, Allen Ginsberg et Neal Cassady. A cette époque, Robert Franck vient de publier "The Americans", un recueil d'images devenu culte qui raconte un voyage à travers les Etats-Unis, comme un pendant photographique de l'ouvrage de Kerouac.En Californie aussi, le mouvement beat se diffuse à travers des revues, des livres, le jazz fleurit, l'influence d'un certain mysticisme et du bouddhisme zen se font sentir.
Près des Etats-Unis, le Mexique est un lieu important et mythique pour la beat generation : à la fois refuge contre un redouté péril nucléaire, lieu utopique et magique, pays du peyotl. En témoigne le film de Bruce Conner, où il fait un parallèle entre champignon atomique et champignon hallucinogène. Cette section présente aussi les photos du Français Bernard Plossu, qui débarque en 1965 au Mexique où il voyagera deux ans.
Des textes majeurs écrits à Paris
Plus loin, il y a Tanger où séjournent dans les années 1950 les plus grandes figures de la "beat generation", accueillies par Paul Bowles qui s'y est installé avant eux. William Burroughs, Jack Kerouac, Gregory Corso, Allen Ginsberg, Brion Gysin y fument du kif et écoutent de la musique de transe.Enfin, Paris est le lieu où certains textes majeurs de la poésie beat ont été écrits. Entre 1958 et 1963, les artistes se retrouvent dans un petit hôtel de la rue Gît-le-Cœur. Le "Beat Hotel" est évoqué à travers des photos du lieu, de la tenancière Mme Rachou et des copains, la reconstitution de la chambre 25, qui était occupée par Brion Gysin. Il y a imaginé sa "Dreamachine", une lampe de papier percée de fentes qui, quand elle tournait, devait produire des effets hallucinatoires.
C'est à Paris que "Le Festin nu" de William Burroughs a pris sa forme définitive. "Paris a été un laboratoire pour les 'beats' qui y ont développé certains de leurs travaux les plus importants", souligne Rani Singh, commissaire associée de l'exposition. "Gregory Corso y a écrit son poème "Bomb", sur l'armement nucléaire. Allen Ginsberg a écrit 'Kaddish' au café Select et c'est à Paris qu'ils ont inventé les 'cut-ups'".
L'exposition, un grand cut-in de 500 oeuvres
Le cut-up, c'est un découpage des textes et leur réarrangement. Les artistes beat appliquent la même technique aux sons (cut-in).
L'exposition se veut un grand cut-up et un grand cut-in, faits de plus de 500 images, peintures, poèmes lus, chansons, films et documents qui s'entremêlent. Il ne faut pas espérer tout voir et tout entendre mais s'y immerger tranquillement, pour tenter de percevoir l'ambiance dans laquelle cette génération subversive a voulu vivre libre et créer.
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