Julian Lennon vend des souvenirs des Beatles sous forme de NFT tout en gardant les originaux : l'éclairage d'un expert
Julian Lennon vend aux enchères des souvenirs et effets personnels des Beatles. Ou plus exactement il propose à des acquéreurs d'en devenir les propriétaires virtuels via les NFT, puisqu'il les conserve physiquement. L'occasion de refaire le point avec un spécialiste sur cette technologie des NFT en plein essor.
On n'arrête plus les NFT. Ces jetons non fongibles, c'est à dire des certificats d'authenticité et de propriété d'objets virtuels, font fureur et investissent chaque jour de nouveaux domaines, chamboulant la notion de propriété classique. Julian Lennon a ainsi annoncé lundi 24 janvier la mise aux enchères sous forme de NFT d'une série d’objets de sa collection personnelle relative à son père et aux Beatles, via la maison d’enchères californienne Julien’s Auction, le 7 février. Une vente particulière puisque Julian Lennon, par la grâce des NFT, n'aura pas besoin de se séparer physiquement de ses précieux souvenirs.
La vente comprend la cape noire que John Lennon portait en 1965 dans le film Help! (NFT estimé entre 10 000 et 20 000 dollars) et le manteau afghan qu’il arborait sur le tournage du film Magical Mystery Tour en 1967 (NFT estimé entre 8 000 et 10 000 dollars), ainsi que trois guitares Gibson offertes par John Lennon à son fils (estimées chacune entre 6 000 et 8 000 dollars).
Lot majeur de cette vente : les notes manuscrites de Paul McCartney pour la chanson Hey Jude, succès des Beatles sorti en 1968, qui s’appelait à l’origine Hey Jules, McCartney l’ayant écrite pour réconforter Julian Lennon, âgé de 5 ans lors du divorce entre ses parents Cynthia et John. Le NFT de ce document manuscrit est estimé entre 50 000 et 70 000 dollars. La version NFT de ces notes de Hey Jude se présente comme une animation où les mots s'inscrivent progressivement sur la page. En guise de bonus, Julian Lennon accompagne d’ailleurs chacun des lots d’un enregistrement audio dans lequel il partage ses souvenirs liés à l’objet en question.
Nous avons demandé au spécialiste des NFT Jean Minguet, directeur du département d’économétrie d’Artprice (site leader de l'information sur le marché de l'art), de nous éclairer sur ce marché en pleine expansion et sur cette vente en particulier.
Le marché des NFT évolue très vite. Il semblait jusqu'ici dévolu aux seules œuvres numériques. Ce n'est plus le cas ?
Jean Minguet : Au départ, les NFT ont été une solution pour mettre en vente ce qu’on appelle "l’art tech" c’est à dire des œuvres qui circulaient sur internet et qui échappaient à tout marché. Lorsqu’un créateur voulait partager ses œuvres avec quelqu’un, il en perdait la possession. Les NFT ont permis de créer un certificat qui permette à l’œuvre de circuler mais à quelqu’un d’en avoir la possession. C’est un autre schéma mental que le marché traditionnel, dans le sens où vous êtes propriétaire de quelque chose que vous ne possédez pas physiquement. Mais vous possédez un certificat avec des possibilités futures, notamment dans le metavers. Outre l'art, ce nouveau marché concerne déjà des domaines comme la musique, le cinéma, le sport, les jeux vidéos et la mode.
Est-ce que cette vente a quelque chose de nouveau, existe-t-il des précédents ?
La technologie NFT existe depuis 2017 et celle qui est utilisée aujourd’hui depuis 2018, c’est donc tout récent. En 2021, lors d’une vente aux enchères chez Christie’s, une œuvre numérique de l’artiste Beeple s’est envolée à 69 millions de dollars, ce qui a fait beaucoup de bruit. Cela a ouvert pas mal de portes dont celles des musées, comme celui du Musée des Offices de Florence qui a mis en vente sous forme de NFT plusieurs œuvres dont un Michel Ange. La vente Julian Lennon est une première du genre, mais en NFT il y a souvent des premières fois, d’autant que le but est encore de surprendre et d’innover. Des musiciens ont déjà vendu des NFT, Justin Bieber notamment. En France, Booba a vendu son dernier album sous cette forme.
Mais quel est l’intérêt d’acheter une guitare plusieurs milliers d’euros si on ne peut pas la prendre en mains et en jouer ?
Si vous aviez cette guitare de John Lennon, est-ce que vous en joueriez ? C’est un objet à exposer, pour dire qu’on l’a, pour le regarder. Cette guitare ne sera probablement jamais à vendre, elle va rester dans la famille Lennon et sera finalement donnée à un musée. Le NFT permet à pas mal de gens de mettre en vente des choses qui sont inaccessibles et pour l’acquéreur c’est une façon d’approcher un peu l’acquisition de cette chose. Cela n’a pas de sens à proprement dit aujourd’hui. Mais il y a des perspectives dans le futur.
Les NFT n’ont donc d'intérêt que dans un futur métavers ?
Oui. Mais je vais revenir au monde de l’art qui est notre domaine chez Artprice. Quand de grands collectionneurs achètent des œuvres aux enchères, des œuvres à plusieurs millions, puis ne les prêtent jamais et finissent par les donner à un musée, je ne vois pas très bien le sens d’avoir cette œuvre, à part pour faire un montage financier. L’intérêt c’est quand même le prestige de les posséder ou de les donner à des musées, comme celui du MET qui écrit en petit au bas de chaque œuvre le nom du donateur. C’est une forme de philanthropisme. Aujourd’hui les NFT c’est plutôt un jeu, de voir qui achète et qui se construit dans ce métavers.
Les prix estimés de la vente de Julian Lennon vous paraissent-ils raisonnables ?
Pour moi oui. C’est très personnel, mais à mon sens, tant que ça reste à cinq chiffres ça va. Quand ça atteint des millions ça devient très violent. Que quelqu’un d’un peu fortuné qui adore Lennon soit capable de mettre 40 000 dollars dans une guitare NFT, je trouve ça beaucoup, mais je peux le concevoir. Après, un million ça devient fou. Pourquoi pas dix millions ou 100 millions ?
La plupart des transactions de NFT se font actuellement de manière directe du vendeur au collectionneur, via des plateformes dédiées. Pour quelle raison Julian Lennon passe-t-il par une maison d’enchères ?
Parce que le marché des NFT a ses propres codes, un peu cryptés. C’est vraiment une esthétique particulière et aujourd’hui il reste difficile d’attirer les acheteurs classiques. Les maisons d’enchères traditionnelles vont être un bon moyen de les toucher. D’autant que les enchères conviennent bien aux NFT. On ne va pas passer par une galerie avec un prix fixe, on va plutôt être dans une sorte de jungle avec qui sera prêt à mettre le plus. C'est un peu le problème du côté disruptif : ce marché n'a pas vraiment de règles. N’importe qui peut créer un NFT et c’est à l’acquéreur de s’assurer qu’il ne se fait pas avoir, d'autant que dans cet univers tout le monde évolue sous pseudonyme. Là, vous aviez un prix de départ de 1 000 dollars pour Hey Jude, et j’ai regardé on est déjà à 47 000 donc ce sont des prix un peu hauts pour faire mousser le marché.
La notion de propriété classique est totalement chamboulée avec les NFT mais Julian Lennon a quand même trouvé bon d’accompagner ses NFT d’un petit plus (les enregistrements audio). Pourquoi ?
Beaucoup de gens aujourd’hui, peu au fait des NFT, sont encore sceptiques. Pour les attirer, on peut essayer de trouver des ponts entre le monde matériel et le monde virtuel. C’est sans doute ce qu’a voulu faire Julian Lennon. De grands galeristes américains essayent de lier dans les NFT, via ce qu’on appelle les "smart contracts" (les "contrats intelligents"), quelque chose de physique, de tangible, qui peut aussi être par exemple une visite d’atelier. Parce que si vous êtes uniquement dans l’abstraction vous risquez de décevoir l’acheteur classique. C’est un achat instantané qui est mis directement dans votre "wallet", votre portefeuille électronique. Alors si vous ne pouvez pas voir l’œuvre, si vous ne pouvez rien en faire à part la revendre, ça a quelque chose d’un peu décevant.
Ce marché parait uniquement spéculatif.
Oui, c'est doublement spéculatif. C’est spéculatif en termes financiers mais c’est aussi un univers en train de se développer, donc demain ça vaudra sans doute beaucoup, et posséder des NFT pourrait devenir un vrai vecteur de reconnaissance sociale. Là où entre en jeu une forme de foi, c’est la question de savoir si ça va prendre ou si ça ne va pas prendre. Moi je pense que ça va prendre parce qu’il y a trop de faisceaux d’indices qui montrent que ce monde est en train de se consolider, mais c’est vrai qu’il reste encore le poids physique. On peut se dire que Julian Lennon profite juste de cette nouvelle technologie pour mettre en vente quelque chose dont il n’avait pas envie de se séparer. Il ne prend aucun risque. En ce moment les NFT peuvent apparaître comme la manière la plus simple de renflouer les caisses. Néanmoins, je remarque que le Michel Ange mis en vente par le Musée des Offices de Florence sous forme de NFT a finalement été adjugé aux enchères 144 000 euros. Ok, c’est pas mal. Mais pour un Michel Ange, c’est rien du tout. Peut-être qu’un jour, si le NFT devient important, ils s’en mordront les doigts d’avoir vendu cette œuvre 144 000 euros alors qu’elle en valait peut-être des millions !
La vente aux enchères Lennon Connection se déroule le 7 février à partir de 19h, heure française, chez Julien's Auction. Les acquéreurs peuvent enchérir en ligne dès à présent. Une partie du produit de la vente ira à la fondation White Feather et sera consacrée à la capture du CO2 atmosphérique pour freiner le réchauffement climatique.
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