A Tel-Aviv, la Ville blanche est un témoignage géant du Bauhaus à ciel ouvert
Le mouvement architectural d'avant-garde a façonné la ville fondée en 1909.
Sous le regard des habitants profitant du week-end en terrasse, ils sont une petite trentaine à déambuler dans les ruelles de Tel-Aviv, nez en l'air, à l'affût des façades blanches et des balcons arrondis caractéristiques du Bauhaus. Cette école de design et d'architecture fondée en 1919 à Weimar, dans l'est de l'Allemagne, par Walter Gropius, fête ses 100 ans. Grande inspiration des architectes modernes du XXe siècle, le Bauhaus continue d'exercer son influence.
A l'époque, la future capitale économique et culturelle d'Israël a fourni un terrain privilégié pour mettre en application le mot d'ordre du mouvement Bauhaus : faire primer la fonction sur la forme et rompre ainsi avec le passé. Nombre des bâtisseurs de Tel-Aviv, fondée en 1909, étaient des architectes juifs qui avaient étudié ou travaillé en Europe et fui le nazisme.
La plus grande concentration d'édifices Bauhaus au monde
Dans les années 1930, alors que la ville se développait à toute allure pour accueillir les flux de migrants juifs, ces architectes novateurs ont construit 4.000 bâtiments aux formes géométriques et aux façades lisses et blanches. Soit la plus grande concentration d'édifices de style Bauhaus au monde.
Sous le soleil de Méditerranée, loin des frimas allemands, ils ont réduit les surfaces en verre et incorporé des balcons pour capter les brises marines. Cette singularité, avec les autres expressions du Mouvement moderne, a contribué au classement de ce quartier qu'on appelle "la Ville blanche" au Patrimoine mondial de l'Unesco.
La cité blanche constitue "un exemple remarquable à grande échelle des idées de planification urbaine de la première partie du XXe siècle", note l'Unesco. C'est aussi la "représentation synthétique de certaines des tendances les plus importantes du Mouvement moderne en architecture", adaptée aux conditions climatiques et aux traditions locales.
Des matériaux nouveaux en architecture
Venus d'Allemagne, d'Autriche, de Suisse ou de Suède, une trentaine de touristes suit une visite proposée par le Centre Bauhaus. Au programme : les réalisations d'architectes qui, à 4.000 km de Weimar, ont recouru aux nouveaux matériaux comme l'acier ou le béton. Point d'orgue de la visite : la splendide place Dizengoff avec sa fontaine et ses cafés entourés de majestueux bâtiments Bauhaus, à l'image de l'immaculé hôtel Cinema.
Micha Gross, psychologue suisse passionné d'architecture, a créé le Centre Bauhaus il y a vingt ans avec sa femme et un ami, dans le but de promouvoir le patrimoine urbain de Tel-Aviv. "A l'époque, cela n'intéressait personne", se souvient-il amusé. Aujourd'hui, il est formel : l'intérêt pour l'urbanisme de la ville a considérablement augmenté, et la fréquentation du Centre a triplé en quelques années.
Tourisme de niche
Mais contrairement aux sites historiques et religieux de Jérusalem, qui attirent chaque année des millions de visiteurs, ce "trésor architectural" - comme le qualifie Micha Gross - n'attire qu'un tourisme de niche. Tel-Aviv reste davantage associée à ses plages et à ses nuits festives.
"Ce n'est pourtant pas qu'une ville balnéaire", estiment Katell Piboules et Yann Becouary, deux touristes français. Cette Parisienne et son ami de Rennes, la quarantaine tous les deux, sont venus passer deux semaines en Israël. Munis d'une carte avec un plan détaillé des édifices Bauhaus, ils arpentent les rues. "Il y a beaucoup de choses à voir en fait ici, lance Katell, surprise. De toute façon, nous ne sommes pas très plage !"
Une détérioration du patrimoine
Tous deux reconnaissent que si certains bâtiments récemment ravalés valent absolument le coup d'oeil, d'autres présentent des façades passablement décrépies. "Entretenir et restaurer ces bâtiments est complexe", justifie Micha Gross. Il faut compter entre huit et dix ans pour rénover un immeuble Bauhaus. Et comme la plupart de ces bâtiments font partie du parc immobilier privé, leur restauration dépend du bon vouloir des propriétaires, qui ne perçoivent aucune aide en ce sens de la mairie.
En 2015, pour préserver le patrimoine de la Ville blanche, la municipalité de Tel-Aviv a créé le White City Center (WCC) en collaboration avec le gouvernement allemand. Ce centre, qui se veut un lieu d'échange et d'apprentissage patrimonial, dispose d'un laboratoire de recherche et organise des activités pour sensibiliser le grand public à l'environnement urbain.
"L'expression physique du sionisme"
Selon Sharon Golan Yaron, architecte et responsable des expositions au WCC, la concentration unique d'édifices Bauhaus n'est pas la seule spécificité de Tel-Aviv. "Des gens vivent dans ces immeubles", précise-t-elle, ce qui n'est pas toujours le cas pour des bâtiments faisant partie du patrimoine.
Mais surtout, pour elle, ce qui transpire de ces murs, c'est l'"utopie". Les bâtisseurs de la ville adhéraient pour la plupart à l'idéal socialiste du mouvement sioniste, et voyaient dans cette cité l'espoir d'une société nouvelle, explique Sharon Golan Yaron, pour qui Tel-Aviv "est l'expression physique du sionisme".
Elle souligne également que d'autres courants ont modelé le visage de Tel-Aviv. "On trouve à Tel-Aviv les cinq points de Le Corbusier", assure-t-elle : les pilotis, les toits-terrasses, les fenêtres-bandeaux, les plans libres et les façades libres. Un témoignage unique des débuts prospères de l'architecture moderne.
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