Cet article date de plus de douze ans.

La mort de Georges la tortue était-elle inéluctable ?

L'espèce à laquelle appartenait l'animal a disparu avec lui. Il reste encore neuf espèces de tortues géantes des Galapagos, soit environ 20 000 individus. Faut-il s'inquiéter de leur sort ou laisser faire le temps ? 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Georges le solitaire, une tortue centenaire des Galapagos (Equateur), est mort le 24 juin 2012. Il était le dernier représentant de l'espèce Geochelone nigra abingdoni. (RODRIGO BUENDIA / AFP)

Le corps de "Georges le solitaire" a été retrouvé inanimé dimanche 24 juin par un soigneur. A 100 ans et des poussières, cet illustre habitant des îles Galapagos est mort comme il a vécu : seul, et malgré tout pas si vieux que ça, alors que les individus de son espèce peuvent atteindre les deux siècles. Sauf que son espèce n'existe plus. Georges était une tortue géante Geochelone nigra abingdoni. Un nom rayé de l'aventure terrestre pour l'éternité. Dans l'attente d'une autopsie qui permettra de découvrir les causes exactes de la mort de ce pauvre reptile, FTVi s'est demandé pourquoi Georges et les siens nous ont quittés si tôt. 

• La victime : qui était Georges ? 

La carrière de Georges avait commencé comme une bonne surprise. Sur l'île de Pinta, l'une des plus petites que compte l'archipel des Galapagos, un scientifique venu étudier des escargots a trébuché sur une carapace, un beau jour de 1972. Il découvre alors qu'il s'agit d'un membre isolé d'une espèce de tortues géantes que l'humanité croyait déjà éteinte : Geochelone nigra abingdoni, donc, l'une des dix sous-espèces de tortues géantes occupant ces îles équatoriennes.

En quelques années, l'animal, baptisé "El solitario Jorge" et transféré sur l'île de Santa Cruz, est devenu une attraction pour les quelque 180 000 personnes qui visitent chaque année l'archipel. Les tortues géantes y sont des mascottes. Sa faune et sa flore attirent de nombreux touristes, prestigieux parfois, comme Brad Pitt et Angelina Jolie en début d'année, rappelle The Guardian dans la nécrologie qu'il consacre à ce symbole de la conservation animale (article en anglais)"La créature la plus rare de la planète", confirme la BBC.

Son CV brillant et ses connaissances haut placées n'ont pu changer le destin de Georges. Les opérations menées dès 1993 pour l'accoupler avec des cousines des îles voisines ont échoué les unes après les autres. En 2007, le site Futura-environnement lance un appel au secours : "Il faut sauver la tortue géante Georges", écrit-il, plein d'espoir. Mais Georges est mort vieux garçon sur son île de Santa Cruz. "Il a fini son cycle de vie", a simplement indiqué le directeur du parc national des Galapagos, Edwin Naula. Fin de l'histoire. 

• Mort naturelle ou meurtre à petit feu ? 

La mort ne fait-elle pas partie de la vie ? Les espèces incapables de s'adapter aux évolutions de leur environnement finissent par disparaître, remplacées par d'autres, mieux équipées, a prouvé Charles Darwin. "Toute espèce a une durée de vie limitée qui est de l’ordre de 5 à 10 millions d’années", expliquent Renan Aufray et Manuelle Rovillé, chercheurs au CNRS et auteurs d'études sur les crises d'extinction. "La diversité trouve son équilibre dans le mouvement. Des espèces disparaissent, d'autres apparaissent", abonde Florian Kirchner, chargé du programme "espèces" à l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Rien qu'en 2011, 18 000 nouvelles espèces ont été identifiées et 8 à 30 millions d'entre elles resteraient à découvrir, explique Le Monde.fr. 

Mais cette sélection naturelle n'explique pas à elle seule l'extinction de Georges et sa famille. L'empreinte de l'homme a précipité leur disparition. "Le problème aujourd'hui, c'est que le taux d'extinction est de 100 à 1 000 fois supérieur à ce qu'il était pendant les ères géologiques passées", souligne Florian Kirchner. En étudiant les couches géologiques, les scientifiques ont identifié des ères marquées par des disparitions massives d'espèces. "L'idée que nous soyons à l'aube d'une sixième crise d'extinction fait désormais consensus dans la communauté scientifique", assure-t-il, précisant que "la dernière d'entre elles a emporté les dinosaures il y a 65 millions d'années".

"Et à la différence des crises précédentes, qui avaient toutes une origine cataclysmique, poursuit Florian Kirchner, celle-ci est liée à l'activité humaine." Il détaille : "Des éléments extérieurs, non naturels, comme la surpêche et la déforestation ou encore l'introduction d'autres animaux, font que des espèces peuvent disparaître très rapidement alors qu'elles étaient tout à fait adaptées jusque-là à leur environnement." Et le spécialiste de citer le cas du dodo, jadis occupant de l'île Maurice, ou celui de la tortue de Bourbon, autrefois présente sur l'île de la Réunion. "Avec l'homme, l'arrivée des rats et des chats qui se sont nourris des œufs a perturbé l'écosystème", explique-t-il.

• D'autres espèces dans le couloir de la mort ? 

Du moustique à l'ours brun, toutes les espèces peuvent se trouver menacées. "Les amphibiens sont le plus largement concernés, explique Florian Kirchner. 41% d'entre eux sont menacés. Pour les oiseaux, on passe à 13%, et à environ 25% pour les mammifères. Cela vaut pour tous les types d'espèces, même si l'impact émotionnel est plus important lorsque l'on parle de pandas, pour des raisons culturelles."

D'autant plus que, si elle crée de nouvelles espèces, la nature "ne recrée pas ce qu'elle a fini par faire disparaître (…). Chaque espèce est le fruit de millions d'années d'évolution. Elles disposent de gènes uniques." Surtout, la perte d'une espèce peut entraîner une réaction en cascade au sein d'un écosystème. "Si une plante est pollinisée par un insecte particulier, la disparition de ce dernier va causer la disparition de la plante. Et si cette plante nourrit de façon exclusive une variété de papillons, celle-ci disparaîtra également", expose le chercheur. 

• Qui mettre sous protection rapprochée ? 

Ainsi, la priorité peut revenir aux espèces les plus susceptibles de causer une réaction en chaîne du fait de leur disparition. D'autres trouveront leur salut dans l'originalité de leur code génétique. Ainsi, "perdre l'ornithorynque serait terrible, juge Florian Kirchner, ce mammifère ayant été le seul à juger bon de pondre des œufs et de se doter d'un bec, de poils et de palmes. 

Enfin, la lutte pour la préservation des espèces présente d'autres intérêts à court terme. Traiter le cancer qui décime aujourd'hui les diables de Tasmanie pourrait par exemple aider à la recherche appliquée aux êtres humains. Parce qu'avec ou sans arche de Noé, humains et animaux sont toujours dans le même bateau. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.