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Sur Facebook, le délégué du gouvernement chargé de la lutte contre le racisme suscite la colère de militants... antiracistes

Gilles Clavreul accuse des associations de "légitimer l'islamisme" sur le réseau social. Au lendemain des régionales, son message passe mal.

Article rédigé par franceinfo - Pierre d'Almeida
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Sihame Assbague (au centre), lors de la Marche de la dignité, le 31 octobre 2015.  (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

C'est celui qui le dit qui l'est. C'est ce que semble affirmer Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme (Dilcra), dans un message posté sur sa page Facebook, dimanche 13 décembre. 

Sur le réseau social, il dénonce une "offensive antirépublicaine menée par Tariq Ramadan, le Parti des indigènes [de la République] et un certain nombre de collectifs antidémocratiques, racistes et antisémites vendredi soir à Saint-Denis, avec le concours ou la bienveillance de certaines organisations d'extrême gauche et syndicats professionnels". Il accuse certaines associations se réclamant de l'antiracisme de communautarisme, en plus de les tenir responsables de la montée de l'extrême droite.

Sur Twitter, dans la sphère militante antiraciste, des extraits de ce message circulent depuis lundi. Les militants interpellent des journalistes et ont créé un hashtag : #DilcraGate.

Les associations accusées de "légitimer l'islamisme"

Dans son message, Gilles Clavreul fait en fait référence au meeting organisé vendredi 11 décembre, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Tariq Ramadan – entre autres – y participait. Répondant à l'appel de plusieurs associations, et notamment du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), quelques centaines de personnes étaient venues écouter l'islamologue. Mais accusé de sexisme, d'intégrisme et d'antisémitisme, l'intellectuel musulman est contesté. Dernièrement, Ramadan a notamment condamné les attentats de janvier et ceux du 13 novembre, trouvant dans le gouvernement français et la politique qu'il mène à l'étranger des éléments favorables au développement du terrorisme.

Mais d'après la journaliste Widad Ketfi, engagée dans la lutte antiraciste et présente à Saint-Denis, rien de ce qui s'y s'est passé ne pourrait être assimilé à la radicalisation des esprits que Gilles Clavreul dénonce en décrivant une "offensive qui vise uniquement à légitimer l'islamisme, à défendre des prédicateurs fondamentalistes et à piéger la jeunesse des quartiers dans une radicalité sans issue".

"Ce sont des accusations hyper graves"

Sur Twitter, elle est de celles et ceux qui, incrédules, ont confronté l'ancien conseiller de François Hollande. "A aucun moment des propos racistes ou antisémites n’ont été tenus. Le premier sujet, c’était l’intervention de la France en Syrie, le deuxième, l’état d’urgence et l’islamophobie", explique-t-elle, contactée par francetv info. "Il a parlé de 'collectifs antidémocrates, racistes, antisémites', ce sont des accusations hyper graves. Je lui ai demandé de clarifier son accusation."

Sur son compte Twitter, le préfet a réaffirmé sa position, en condamnant un CCIF "qui n'a jamais eu un mot pour les victimes de l'hypercasher" (ce qui a été démenti par le CCIF). Pour Widad Ketfi, "c’est de l’ordre de la diffamation". Sur Twitter, l'activiste investie dans la lutte contre les discriminations et l'islamophobie Sihame Assbague, est aux devants de ce mouvement qui dénonce la hiérarchisation des racismes que semble prôner Gilles Clavreul, et a fait du hashtag #DilcraGate l'un des plus populaires sur Twitter dans la journée de lundi.

Une hiérarchisation des racismes qui dérange

Le clash arrive sur fond de tensions persistantes. Dans un portrait que lui consacrait Libé en avril, Gilles Clavreul, qui "se refuse à employer" le terme d'islamophobie ,affirmait en effet que "tous les racismes sont condamnables, mais le racisme anti-Arabe et anti-Noir n’a pas les mêmes ressorts que l’antisémitisme dans sa violence. Il faut être capable de dire la particularité de l'antisémitisme". Une affirmation choquante pour nombre de militants qui ne se reconnaissent pas dans l'action menée par le gouvernement pour la défense de leurs droits.

Pour Marwan Muhammad, statisticien et ancien porte-parole du CCIF, qui veut "que la réalité islamophobe soit reconnue", la politique antiracisme menée par les gouvernements passés et présents est à l'exact opposé de ce qui devrait être mis en place. "Le travail que Clavreul prétend mener est dans la continuité directe de ce qui a été fait dans les 30 dernières années : confisquer la lutte antiraciste des mains des premiers intéressés. C'est comme si on n'avait que des hommes à la tête d'une organisation contre le sexisme", plaide-t-il. 

Fin octobre, le délégué avait déjà condamné la Marche de la dignité dans un autre message posté sur Facebook. Plusieurs milliers de personnes avaient à cette occasion marché contre le racisme et les violences policières, à l'appel d'un collectif de femmes.

Un timing malvenu

Marwan Muhammad est également à l'origine, "avec Sihame et deux ou trois autres activistes", du hashtag #PasDeJusticePasDeVoix. Le mouvement, lancé à l'occasion des élections régionales, invitait sur Twitter les électeurs à ne pas aller "sauver" le Parti socialiste lors du scrutin, au motif que le gouvernement de Manuel Valls n'était pas à l'abri du racisme. "Le vote des quartiers populaires et des minorités racisées n'est plus automatiquement à gauche. Si on veut qu'ils votent à gauche, il faut les convaincre sur le fond", affirme-t-il. "Quand vous avez un Premier ministre qui stigmatise les Roms, vous n'êtes pas immunisés contre le racisme."

Cette nouvelle confrontation arrive un an après la nomination de Gilles Clavreul au poste de délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, et alors que le gouvernement vient de lancer, le 26 novembre dernier, sa campagne de communication des associations labellisées "Grande cause nationale" contre le racisme et l'antisémitisme.

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