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"Nous aussi, on est français" : sur une plage de Nice, la colère des femmes musulmanes

Sur la plage de Carras, à Nice (Alpes-Maritimes), plusieurs femmes ont été priées de quitter la plage alors qu'elles portaient de simples voiles. France info s'est rendu sur place.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Envoyé spécial à Nice (Alpes-Maritimes)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Fatima, Karima, Ouafae et Smahane, le 24 août 2016 sur la plage de Carras, à Nice (Alpes-Maritimes). (THOMAS BAIETTO / FRANCE INFO)

Pour son dernier jour de vacances, Siam, 31 ans, aurait bien aimé se baigner. Mais, sur la plage de Carras, à Nice (Alpes-Maritimes), cette touriste algérienne reste assise sur sa serviette pendant que son mari et ses deux petites filles enfilent leurs maillots de bain et brassards oranges. Les protestations de Meriem, 6 ans, et Fatima, 4 ans, n'y feront rien. "Je leur ai dit que je ne voulais pas aller dans l'eau avec elles", glisse la jeune femme.

La réalité est un peu différente, en ce mercredi 24 août. Siam porte le voile et a pour habitude de se couvrir pour faire trempette. "Les maîtres-nageurs m'ont dit que je n'avais pas le droit de me baigner, explique-t-elle. Si je rentre dans l'eau, j'ai une pénalité." La faute à l'arrêté "anti-burkini" pris par le maire de Nice, qui interdit la baignade à "toute personne n'ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d'hygiène et de sécurité des baignades".

"On est là pour faire appliquer les règles"

Perchés sur leur chaise, à quelques mètres de là, les maîtres-nageurs, gardiens du lieu, confirment. "On est là pour faire appliquer les règles, nous explique-t-on. On les prévient avant qu'elles n'ont pas le droit d'être dans l'eau. Si elles le font, on appelle la hiérarchie, qui prévient la police municipale." Ils n'en diront pas plus, tout comme les deux policiers croisés un peu plus tard le long de la plage. Siam, elle, ne comprend pas. "Ce n'est pas risqué de se baigner en maillot hijab. Je ne sais pas pourquoi on l'interdit", glisse-t-elle, tout en se demandant si l'attentat du 14 juillet n'y est pas pour quelque chose. Son mari, un entrepreneur de 36 ans, s'interroge.

Votre devise, c'est liberté, égalité, fraternité. Pourquoi le hijab est interdit ? L'an prochain, on ira peut-être plutôt en Espagne. C'est libre là-bas.

Fethi, un touriste algérien

à france info

En fait, le couple a plutôt de la chance. "Hier, on lui aurait demandé de quitter la plage", nous confie une touriste parisienne, qui préfère rester anonyme, quelques serviettes plus loin. Cette jeune femme de 29 ans, de confession musulmane, est bien placée pour le savoir. C'est elle qui a filmé les deux vidéos qui ont attisé la polémique déclenchée par les arrêtés. Tournée lundi 22 août, la première montre une jeune fille voilée et en tunique sortir de l'eau, sous le regard de policiers municipaux. 

Notre témoin voit les policiers lui remettre un "papier rose". "Elle était en pleurs, elle m'a dit qu'elle avait eu une amende. Sa copine, qui portait un T-shirt et un short, en a eu une aussi. Elle m'a même dit qu'ils avaient traité son ami de 'sale femme voilée'", raconte-t-elle. La seconde vidéo a été tournée au même endroit, le lendemain, mardi 23 août. On y voit un policier municipal à côté d'une femme voilée, qui ne se baigne pas. "C'est pour éviter les problèmes qu'il y a eu en Corse, où les gens se sont fait caillasser. Jusqu'au 15 septembre, on n'a pas le droit de mettre une appartenance religieuse", explique le policier, manifestement un peu gêné, en lui demandant de quitter les lieux.

"Vous croyez que les femmes viennent se baigner avec des bombes sous leurs vêtements ?"

La femme obtempère. "Elle m'a dit 'je vis à Nice depuis 20 ans, c'est la première fois que je suis confrontée' à ça", poursuit notre témoin, impressionnée par le sang-froid de cette dame. "Moi, je ne sais pas comment réagir", nous confie celle qui a porté le foulard pendant cinq ans, avant de le retirer cet été, principalement "par choix personnel" mais également à cause du contexte actuel. "Je pense que nous serons de moins en moins acceptés en France. Quelques années en arrière, on ne se posait pas ce genre de question. C'est grave d'en arriver là, se désole-t-elle, avant de lâcher : Vous croyez que les femmes viennent nager avec leurs enfants et une bombe sous leurs vêtements ?"

L'arrêté "anti-burkini" affiché sur la plage de Carras, le 24 août 2016 à Nice (Alpes-Maritimes). (THOMAS BAIETTO / FRANCE INFO)

Une inquiétude que partage Feiza Ben Mohamed, porte-parole de la fédération des musulmans du sud, qui craint que ses coreligionnaires ne servent de "paillasson électoral" en 2017. C'est elle qui a diffusé sur Twitter les vidéos tournées par notre touriste parisienne. "Il ne faut pas blâmer les policiers municipaux, ils font le sale boulot mais ne sont pas responsables du contexte politique, précise-t-elle. Nice ne se relèvera pas des attentats comme Paris, qui est plus cosmopolite. Ici, depuis [l'attentat du] 14 juillet, la parole raciste est libérée, et maintenant, les politiques banalisent l'islamophobie avec ce genre d'arrêté."

"Il faut que quelqu'un leur dise stop"

Sur Twitter, elle n'hésite pas à parler de "gestapo" et d'"apartheid". "On en est là. Je ne pense pas qu'on finira dans des fours, mais les Allemands ont commencé par interdire certains lieux aux Juifs. C'est bien joli d'aller en sortie scolaire à Auschwitz, mais il faut en tirer les leçons", développe la jeune femme, qui ne porte pas de voile. Son association soutient la démarche du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui conteste les arrêtés devant la justice. Le Conseil d'Etat doit d'ailleurs se pencher sur ce dossier jeudi 25 août.

Il faut que quelqu'un leur dise stop. Qu'est-ce qu'il reste de notre devise 'liberté, égalité, fraternité' ? Les virgules ?

Feiza Ben Mohamed, porte-parole de la Fédération des musulmans du Sud

à france info

Sur la plage de Carras, tout le monde n'a pas encore eu affaire à la police municipale. Niçoises et mères de famille, Smahane, Fatima, Karima et Ouafae viennent sur ces galets tous les étés. Deux d'entre elles portent le voile, mais elles n'ont pas eu d'amende, sans doute parce qu'elles ne sont pas encore baignées. Malgré tout, cette polémique les fatiguent. "Qu'ils nous laissent tranquille. On est des Français nous aussi, on est contre le terrorisme et on a perdu des gens le 14 juillet", peste Fatimaen estimant que "Monsieur Valls devrait plutôt s'occuper du chômage que du foulard".

Smahane estime que ces arrêtés ne sont qu'un prétexte. "Pour eux, le problème, ce n'est pas le foulard, ce sont les musulmans", lâche-t-elle. Depuis le 14 juillet, elle s'est faite invectiver à deux reprises dans le bus. "On m'a dit que je n'étais pas chez moi ici, alors que j'y ai vécu toute ma vie", raconte-t-elle. Elle ne porte pourtant pas de voile.

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