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"Vous refaites mon procès ?" Comment Patrick Dils est revenu au centre des débats lors du procès de Francis Heaulme

Au deuxième jour d'audience, le procès de Francis Heaulme pour le meurtre de deux garçons commis en 1986 près de Metz est devenu celui de Patrick Dils, pourtant acquitté depuis quinze ans dans cette affaire.

Article rédigé par Violaine Jaussent - envoyée spéciale à Metz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Patrick Dils, le 30 août 2016 à Blaye (Gironde). (MAXPPP)

"Qu'est-ce que vous voulez que je vous explique ? On est en train de refaire mon procès ? Ou on est dans une cour d'assises où Francis Heaulme est accusé ?" Patrick Dils s'interroge. Et c'est effectivement la question que tout le monde se pose, mercredi 26 avril, au deuxième jour du procès de Francis Heaulme. Car la cour d'assises de Moselle doit juger le tueur en série pour le meurtre de deux enfants en 1986 à Montigny-lès-Metz. Et non celui qui a été accusé pendant quinze ans dans cette affaire rocambolesque.

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Mais l'audience tourne au quatrième procès pour Patrick Dils, lui qui a été condamné dans ce dossier en 1989, puis en 2001 et enfin acquitté en 2002 au terme d'une requête en révision. Pourtant, en 2017, sa culpabilité fait encore débat.

"Je suis surpris d'être entendu quinze ans après mon acquittement"

"Vous lui faites jurer de dire toute la vérité ?, demande Liliane Glock, l'avocate de Francis Heaulme, au président de la cour d'assises. Il ne peut pas prêter serment." Gabriel Steffanus balaie la remarque. Le visage et le buste de Patrick Dils viennent d'apparaître sur l'écran fixé au-dessus de lui. Cheveux coiffés en brosse, il arbore une mouche rousse. Il était âgé de 16 ans au moment des faits. Il a en trente de plus aujourd'hui, une femme et deux petites filles, mais des traits toujours juvéniles.

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"Je sais pas trop quoi vous dire en fait. Je suis même surpris d’être entendu quinze ans après mon acquittement", commence Patrick Dils.

J’ai un profond respect pour les familles de victimes. Je veux connaître la vérité. Je veux comprendre pourquoi on a ôté la vie à ces enfants qui, comme moi, ne demandaient qu’à vivre, grandir et être heureux.

Patrick Dils

devant la cour d'assises de Moselle

Le président de la cour d'assises l'invite à détailler ce qui s'est passé le jour du double meurtre. Patrick Dils s'exécute, et raconte "son" dimanche 28 septembre 1986. "Je suis revenu de ma maison de campagne dans la Meuse. On est arrivés aux alentours de 18h30 à Montigny-lès-Metz. Désolé si je me trompe dans les horaires, ça fait 30 ans maintenant..., commence-t-il. A un moment donné j’ai dû dire à mes parents que j'allais chercher des timbres dans la benne de Demathieu et Bard. J'ai entendu une femme qui pleurait et un homme qui appelait. J'ai eu peur. Le lendemain matin, lorsque la police a sonné à notre porte pour nous demander si on était au courant de quelque chose, j'ai dit que je n'étais au courant de rien", poursuit-il.

Patrick Dils marque une pause dans le récit pour prendre du recul. Le quadragénaire d'aujourd'hui juge l'adolescent d'il y a trente ans. "Je ne sais pas si j'ai menti ou omis de dire la vérité", concède-t-il. Et ajoute peu après : "Quand on a 16 ans, c’est la période de la vie, où on se cherche, on se construit. En ce qui me concerne, je n'appréciais pas mon physique et ce que je pouvais transmettre aux autres. Donc, si je n'ai rien dit, c'est uniquement pour pas qu'on dise : 'Oh ! Tu as vu le petit Dils, c’est un fouille-poubelle.'"

"Je vais endosser le costume du parfait coupable"

Et puis, Patrick Dils revient sur le moment où il a craqué. D'une voix claire, ponctuée de quelques "heu !", il raconte ce moment, qui, ironie du sort, a eu lieu il y presque trente ans jour pour jour. Le 29 avril 1987, Patrick Dils passe aux aveux après 30 heures d'interrogatoire. "Je vais endosser le costume du parfait coupable", estime-t-il aujourd'hui.

J'étais un fruit très mûr, il n'y avait qu'à presser dessus pour obtenir le jus qu'on voulait.

Patrick Dils

devant la cour d'assises de Moselle

De ce "fruit", il en ressort une description terrible du double meurtre. "Quand je frappais la tête des enfants, ça faisait comme le bruit d’un melon qu'on écrase." C'est François-Louis Coste, avocat général pendant le procès à l'issue duquel Patrick Dils a été acquitté, qui rappelle ce détail livré par l'adolescent en 1987. "Quand j'ai lu ça, je suis allé prendre l'air pendant dix minutes. La nuit qui a suivi, je n'ai pas pu dormir. Je n'avais rien lu d'aussi abominable", confesse le magistrat à la retraite. Et puis, il a pris du recul. 

Toutes les précisions de Patrick Dils donnent l'impression que seul l'auteur peut dire ça. Il y en a tellement que ça devient la preuve que c'est l'imagination. 

François-Louis Coste, ancien avocat général

devant la cour d'assises de Moselle

Les débats de Lyon l'ont aidé. Il s'en souvient encore et pendant plus d'une heure, mercredi, s'emploie, point par point, à démonter le dossier d'accusation de l'époque. Il rappelle aux jurés que ces aveux obtenus d'un adolescent de 16 ans ne valent pas preuve ultime. Surtout dans un dossier où trois personnes ont affirmé avoir tué les garçons. Et en arrive à cette conclusion : "Dils n’a pas été condamné pour avoir commis le crime. Il a été condamné pour avoir fait le récit du crime."

"Ce chemin, n'importe qui aurait pu le prendre"

Mais pourquoi, alors, donner autant de détails sur la mort des enfants ? Dès lors qu'il a été acquitté, Patrick Dils n'a plus à se justifier. Néanmoins, il explique à la cour d'assises de Metz : "On m'a dit : 'Ecoute garçon, ce n’est pas grave. Un accident, ça arrive, tu vas pouvoir rentrer chez toi.' Je ne sais pas si je peux dire le petit con que j'étais, mais l'enfant que j'étais, y a cru naïvement." Le moment marque le début d'une descente aux enfers pour l'adolescent. "A partir de là, je suis entré dans le rouleau compresseur de la justice", déclare Patrick Dils.

L'explication ne suffit pas à Dominique Rondu, l'avocat de Ginette Beckrich. La grand-mère d'Alexandre, l'un des deux enfants assassinés, se demandait encore en 2014 "pourquoi Patrick Dils a avoué des choses aussi graves s’il ne les a pas commises". Trois ans plus tard, elle est absente. Mais son conseil lit les aveux de Patrick Dils. Et lui pose la question.

"Contrairement à Francis Heaulme, vous avez fait des aveux précis, circonstanciés (...). Est-ce que vous pouvez comprendre que ces aveux ont laissé des traces chez les familles de victimes et qu'elles puissent encore aujourd'hui avoir des doutes ?
- Je peux comprendre le chagrin des victimes et leur douleur. Mais comme je l'ai dit, je cherche aussi la vérité."

Docile, Patrick Dils veut encore et toujours bien faire. Il reconnaît que les aveux sont "troublants". "Mais il faut se souvenir de mon âge et ne pas oublier par là où je suis passé. Trente heures d'interrogatoire, il faut imaginer ce que c'est. Ce chemin n'importe qui aurait pu le prendre", insiste-t-il.

"Du grand n'importe quoi"

Dans la salle d'audience, l'atmosphère devient pesante. L'air est moite. Un malaise s'installe. Tous les regards fixent l'écran accroché au fond de la salle d'audience. Des yeux braqués sur le visage de Patrick Dils, sur son pull bleu marine agrémenté de rayures. On a oublié l'accusé, dans son box. La tête légèrement penchée, Francis Heaulme écoute. Il met sa main devant sa bouche pour cacher un bâillement. Puis, à nouveau, se fige, comme une statue de cire.

Patrick Dils, lui, commence à perdre patience. "Vous refaites mon procès ?", s'indigne-t-il. Mais il n'explose pas, ne se met pas en colère. "Ahurissant, hallucinant, commente-t-il, sa main sur son menton. Je ne sais plus quoi répondre, ça devient du grand n'importe quoi", lâche-t-il peu après. Un seul geste trahit son agacement. Il tape du poing sur la table, en disant : "Je ne sortais pas de la banlieue, je n’étais pas révolté, je ne pouvais pas dire : 'Maintenant, ça suffit laissez-moi rentrer chez moi'." Comme il l'a rappelé lui-même, c'est quelqu'un d'"introverti".

Peu importe pour Patrice Buisson, défenseur de Jean-Claude Beining, père du petit Cyril. Lui non plus n'est pas tendre avec le témoin. "Vous avez fait perdre beaucoup de temps à la justice", commence-t-il. L'avocat rappelle qu'il ne défend son client que depuis 2001, et le procès de Reims, le deuxième pour Patrick Dils. "Je m'attendais à l'époque à vous voir clamer votre innocence."

Ça veut dire quoi clamer son innocence pour vous, maître ? Ça veut dire hurler ? C'est pas mon tempérament.

Patrick Dils

devant la cour d'assises de Moselle

L'avocat insiste. Face à Francis Heaulme, il aurait pu manifester une autre réaction. "Ce n'est pas moi qui vais dire : 'Francis Heaulme est coupable.' C'est à la justice de faire son travail", réplique Patrick Dils.

"JE-NE-SUIS-PAS-MONTÉ-SUR-CE-TALUS"

La parole est à la défense, qui voit avec le doute jeté sur Patrick Dils par les parties civiles l'occasion de s'engouffrer dans la brèche. Liliane Glock attaque la première : sur le plan des lieux du crime précis réalisé par Patrick Dils, sur les pierres utilisées pour tuer les enfants, qu'il a désignées... "J'avais une chance sur deux", explique-t-il. Un autre conseil de Francis Heaulme, Alexandre Bouthier, prend le relais. Mais c'est leur confrère Stéphane Giuranna qui porte l'estocade. L'avocat insiste : Patrick Dils est-il oui ou non monté sur le talus de la SNCF où les corps des enfants ont été découverts ? "Je vous le dis pour la quatrième fois : je ne suis pas monté sur ce talus." Cinq minutes plus tard : "Vous confirmez que vous n'êtes pas monté sur ce talus ? - Je vous le redis : JE-NE-SUIS-PAS-MONTÉ-SUR-CE-TALUS."

L'avocat demande à Patrick Dils de revenir "en chair et en os" d'ici à la fin du procès. "Je suis là !" s'agace-t-il. "C'est quand même vos aveux qui nous ont emmenés dans cette situation. Est-ce que vous ne devez pas ça aux familles !", ose encore Alexandre Bouthier. "Je ne peux pas me déplacer comme ça... Il faut que je demande à mon avocat, parce que là ça devient n'importe quoi", répond Patrick Dils qui garde sa colère rentrée. "Vous êtes témoin, c'est quand on est accusé qu'on a un avocat", rétorque le conseil de Francis Heaulme. La connexion est coupée, l'audition de Patrick Dils s'achève. Le président de la cour d'assises peut passer à l'interrogatoire de CV de l'accusé : Francis Heaulme.

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