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Numérique à l'école : en Côte-d'Or, un dispositif vitrine déconnecté de la réalité

Article rédigé par Camille Caldini - De notre envoyée spéciale,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des élèves de maternelle produisent un livre numérique sur les tablettes prêtées par l'Education nationale, à Puligny-Montrachet (Côte-d'Or), le 14 avril 2015. (CAMILLE CALDINI /FRANCETV INFO)

L'Education nationale a investi dans des tablettes numériques prêtées à quelques enseignants du département. Mais l'expérimentation peine encore à convaincre. Reportage à l'occasion de la présentation des résultats de la Concertation nationale sur le numérique à l'école jeudi 7 mai.

La matinée d'Edith Esposito ressemble à un marathon. Dans l'école maternelle de Puligny-Montrachet (Côte-d'Or), un village de 380 habitants, elle est l'unique institutrice, au milieu de 25 élèves. Elle glisse de table en table, se penche vers un petit garçon lui-même penché sur une tablette, écoute, explique, se redresse, rejoint une fillette qui l'appelle… Edith ne s'assied que lorsque, tablette sur les genoux, elle projette sur un écran de guingois, un court-métrage déniché sur le site de la chaîne belge RTBF.

"Ce n'est pas toujours comme ça, mais nous voulions vous montrer un peu tout ce que nous faisons avec les petits et les grands", explique Sandrine Maret, animatrice Tice (pour Technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement) à francetv info. Elle aussi est professeure des écoles, "mais à mission spécifique". Dans la circonscription de Beaune, elle forme et accompagne les enseignants qui souhaitent intégrer le numérique dans leur pédagogie.

Une vitrine pour inciter les collectivités à investir

L'emploi du temps habituel a été chamboulé pour ma visite. Le conseiller pédagogique et le délégué académique au numérique qui m'escortent tiennent à me montrer une vitrine, celle du projet d'école numérique du rectorat de Côte-d'Or. Ils suivent des yeux Bertille et ses petits camarades, qui emportent soigneusement leurs tablettes vers une autre pièce.

"Nous espérons que l'expérimentation poussera les communes à investir dans du matériel, explique le délégué, Guillaume Lion, en observant le petit manège. L'Education nationale n'a pas vocation à équiper tout le monde. C'est aux collectivités que revient cette responsabilité, alors il faut leur en montrer l'intérêt." Pour lancer la machine, l'Education nationale a investi dans trois jeux d'équipement pour le département, prêtés pour cinq à sept semaines aux enseignants qui soumettent un projet pédagogique numérique.

Edith Esposito, par exemple, a proposé la production d'un livre numérique par ses élèves, âgés de 3 à 5 ans. "J'étais tout simplement très curieuse de voir ce que je pourrais faire avec des tablettes entre les mains des petits", justifie-t-elle. S'il est "un peu trop tôt pour en tirer un bilan pédagogique", l'enseignante constate déjà que l'outil suscite l'engouement des enfants.

Une expérimentation limitée car coûteuse

Sur une année scolaire, les trois "classes mobiles" vont servir à une douzaine d'établissements, sur les quelque 600 écoles primaires que compte le département. Pour le conseiller pédagogique Stéphane Bujadoux, "il est difficile de lancer en une seule fois une expérimentation de plus grande ampleur, car le matériel coûte cher". Il estime à "peut-être 6 000 euros" le lot prêté à l'école de Puligny-Montrachet, lot  qui comprend "six tablettes pour les élèves, trois tablettes pour les encadrants – l'instit, l'animatrice et un conseiller pédagogique – un vidéoprojecteur, une caméra de table et un système AppleTV pour relier la tablette au projecteur", détaille le conseiller pédagogique. En plus, un ordinateur sert de serveur local.

"Il va falloir en vendre, des gâteaux, à la kermesse, pour équiper tout le monde !", ironise, sous couvert d'anonymat, Marc*, un autre enseignant rencontré à Dijon, à cinquante kilomètres de là. "Je ne vois pas comment la Ville va gérer ces dépenses, quand on sait que la papeterie d'une école de 100 élèves, pour un an, coûte déjà 4 000 euros", renchérit une directrice d'école interrogée par francetv info, sceptique elle aussi.

Des équipements "peu ou pas utilisés"

La question matérielle freine de nombreux enseignants, parfois réticents à s'emparer d'outils numériques. "Dans la plupart des établissements, il y a une salle informatique avec une douzaine d'ordinateurs, qui servent peu, quand ils sont en état, ou qui ne fonctionnent pas du tout", résume Cyril*, animateur Tice dans une autre circonscription du département. Il assure "passer presque plus de temps à faire de la maintenance logicielle qu'à travailler avec les collègues et les élèves".

La Ville de Dijon a bien investi dans des tableaux blancs interactifs (TBI) flambant neufs, environ un par école. "Mais en général, il n'y a qu'un enseignant qui l'utilise, parce que l'équipe trouve ça compliqué à déplacer et à installer. Alors le TBI, conçu pour être mobile, devient fixe, raconte encore Cyril. Et encore, beaucoup s'en servent seulement comme vidéoprojecteur !"

La formation des enseignants, "inadaptée" et "insuffisante"

La responsabilité de ce démarrage chaotique est partagée entre enseignants dubitatifs et élus empressés de montrer aux électeurs les investissements dans le numérique à l'école, selon lui. Cyril pointe également du doigt "les communes qui dépensent des milliers d'euros dans du matériel qui n'est pas adapté à l'usage des enseignants". Un avis que partage Sandrine Maret, l'animatrice rencontrée à Puligny-Montrachet. "Nous sommes capables de les conseiller, mais encore faut-il que les collectivités nous consultent", déplore-t-elle. "C'est sûr que sans l'humain, les outils ne sont rien", acquiesce Guillaume Lion.

"Mais même les moyens humains sont limités, et les collègues ne sont pas formés", dénonce Jérôme*, un autre animateur. En Côte-d'Or, il n'y a qu'un formateur Tice par circonscription (10 circonscriptions dans le département), qui peut être amené à intervenir dans une dizaine d'établissements ou plus. "Il y a un vrai problème de formation continue dans l'Education nationale", selon lui. Une opinion partagée par la Cour des comptes, qui dénonce un système "inadapté" et "insuffisant", dans un rapport publié mardi 14 avril et cité par Le Monde.

* Les prénoms ont été modifiés

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