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Numérique à l'école : à Paris, une classe connectée grâce au système D

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un élève de CM2 rédige un haïku sur un smartphone, à l'école élémentaire B de l'avenue d'Ivry, à Paris, le 9 avril 2015. (CAMILLE CALDINI / FRANCETV INFO)

Le ministère de l’Education veut généraliser l’usage d’internet et des appareils mobiles dans les écoles et les collèges. Professeur des écoles à Paris, Alexandre Acou n’a pas attendu "que les tablettes tombent du ciel" pour emmener ses élèves avec lui dans l'ère numérique.

Au deuxième étage de l’école élémentaire B, dans le 13e arrondissement de Paris, la première porte du couloir, à gauche, est entrouverte. L’instituteur se faufile entre les petits bureaux. Trente élèves travaillent individuellement, dans un calme relatif. Deux smartphones, un peu usés, sont posés sur un bureau. Trois mètres plus loin, deux ordinateurs sont allumés. Une manche de tee-shirt rouge s’élève au-dessus des têtes. Sur l'écran, une fenêtre ouverte sur le compte Twitter @Classe_Acou. Sophie attend que le maître vienne relire son tweet.

"C’est peut-être embêtant pour vous, il n’y a pas grand-chose à voir ici", sourit Alexandre Acou. En effet. Au premier coup d'œil, sa classe ressemble à n’importe quelle classe de CM2. C’est pourtant l’une des quelque 200 "twittclasses" inscrites et actives sur Twitter. Co-auteur du livre Internet à l’école, lancez-vous !, l'enseignant n'a pas attendu la mise en œuvre du plan gouvernemental pour le numérique à l'école pour intégrer le réseau social dans les apprentissages de ses élèves.

"Ecrire, écrire, écrire"

L'école n'a ni tablette, ni ordinateur portable, mais Alexandre Acou s'en accommode. Pour lui, le matériel n'est presque plus un problème. Ce qui compte, "c'est de trouver l'outil adapté à l'usage, pas l'inverse". Il a donc choisi de simples smartphones et Twitter, pour inciter les enfants à "écrire, écrire, écrire". En ce moment, ses CM2 participent par exemple à un concours de haïkus, des poèmes très brefs qui viennent du Japon. "La publication en ligne, c’est la possibilité d’être lu par quelqu’un d’autre que leur instituteur, c’est encourageant", constate-t-il. En outre, "la limite de 140 caractères par tweet est rassurante pour ceux qui sont en difficulté. C’est moins de pression qu’une rédaction de 10 lignes". Chaque élève publie ses courts poèmes, avec le hashtag #twithaïku et sa signature. Avant publication, l’enseignant relit le texte, corrige les fautes, et donne son feu vert.

D'une main encore hésitante, Méline tape son texte, en jetant de brefs coups d’œil à son cahier de brouillon, avant de poser le téléphone sur sa table pour descendre en récréation.

Son tweet n'est pas publié tout de suite, car le téléphone n’est pas connecté au wifi. La Ville de Paris l'interdit dans toutes les écoles, suivant un principe de précaution sanitaire. C’est Alexandre Acou qui, en rentrant chez lui, relit et publie les tweets que les élèves ont enregistrés dans l’appareil au cours de la journée. Un système D, qui permet à l’enseignant d'initier ses élèves à internet, en dépit des rigidités de l'Education nationale. Sans compter que si les profs peuvent emprunter du matériel auprès du ministère, les délais d’attente en découragent plus d’un.

"Faisons avec ce que nous avons"

"Au lieu d'attendre que les tablettes tombent du ciel, faisons avec ce que nous avons", insiste Alexandre Acou, pour inciter ses collègues à se lancer. L'instit' a ainsi profité de travaux dans l’école pour récupérer deux vieux ordinateurs de l’ancienne salle informatique, à l'étage au-dessus. Avec un boîtier branché sur une prise électrique, il accède aussi à la connexion internet, sans attendre le raccordement de chaque classe. Les smartphones sur lesquels les élèves tweetent sont ceux que lui-même et son épouse n’utilisent plus.

Contrairement à d’autres, l'académie de Paris ne propose pas d'environnement numérique de travail (ENT), c'est-à-dire de portail web protégé, destiné aux élèves, aux profs et aux parents. "Ne pas avoir d'ENT pose problème quand un élève est malade et qu'il doit récupérer les leçons et les devoirs." Alors, le maître utilise Evernote, une application numérique qui lui permet de partager avec les élèves des documents en ligne : devoirs, leçons, vidéos… L’académie n’a proposé que 15 adresses e-mail pour toute l’école. Pour sa classe de 30 élèves, Alexandre a donc bidouillé, encore, pour qu’ils aient tous accès à une boîte mail, sur laquelle il leur envoie des petits exercices en forme de défis, que chacun relève à son rythme.

"Je n’ai pas l’intention d’en faire une armée de community managers !, plaisante l’enseignant. A vrai dire, je n'ai pas le choix ! Tout ce que l'on fait entre dans les compétences requises à la sortie du CM2." Des savoirs auxquels certains enseignants consacrent, chaque semaine, une plage "informatique" dédiée, inscrite dans l’emploi du temps. Alexandre Acou, lui, privilégie une utilisation au quotidien. "Ici, il n’y a pas une matière 'Twitter' dans le planning. Les enfants s’approprient internet en apprenant la géographie, l’histoire, les sciences, les langues…"

"Dans six mois, ils auront tous un Facebook"

Les sorties pédagogiques, par exemple, sont racontées en photos légendées, sur le compte Instagram de la classe. Les élèves échangent des dictées avec d’autres classes, sur Twitter, et reçoivent des "twoutils", c’est-à-dire un corrigé, accompagné de la règle de grammaire, d’orthographe ou de conjugaison adéquate. Bientôt, la géométrie fera peut-être à son tour l’objet d’un exercice de devinette sur Twitter. Pas question pour autant de calquer le rythme de l’enseignement sur la frénésie du réseau social. Pour le moment, les élèves découvrent les consignes et s’entraînent sur leurs ardoises, deux par deux.

Une élève de CM2 tape un poème dans l'application Twitter d'un smartphone, en classe, à Paris, le 9 avril 2015. (CAMILLE CALDINI / FRANCETV INFO)

"Je dois leur apprendre un usage responsable d’internet, explique Alexandre Acou. Dans moins de six mois, ils entrent au collège, et la plupart d’entre eux auront de toute façon un compte Facebook. J’espère qu’ils respecteront encore les quelques règles apprises ici." Sur une charte rédigée et signée par la classe, affichée au-dessus d’un ordinateur, on peut lire notamment : "ne pas faire de fautes d’orthographe, ne pas publier de données personnelles, publier des photos avec autorisation, ne s’abonner qu’à des classes francophones…" L’enseignant est conscient que les élèves ne bénéficient pas tous de la même façon de cette pédagogie numérique. "Les plus demandeurs sont déjà les meilleurs élèves, c’est certain", concède-t-il.

"Peut-être que j'aurai tout de même provoqué une étincelle chez les autres", espère-t-il. Lui-même ne s'est intéressé qu'en 2011 à Twitter, et il a créé son compte en même temps que celui de sa classe. "Pas besoin d’être un geek", selon l’instit, qui désormais discute, débat, partage des ressources, avec de nombreux enseignants. "Au-delà de l’usage en classe, j’y ai trouvé une salle des maîtres géante." Une ouverture sur le monde extérieur qui, selon lui, apporte aussi beaucoup à ses CM2.

Malgré cette envie de partager, un fourmillement d'idées et un système D bien rodé, Alexandre Acou bute encore sur certains obstacles, parfois frustrants. Faute de lunettes protectrices, les CM2 de @Classe_Acou n’ont par exemple pas pu voir l’éclipse solaire du 20 mars. Les vidéos mises en ligne par le CNRS, que l’enseignant avait repérées et signalées à ses collègues, n’étaient pas accessibles depuis l’école, bien que Dailymotion soit la plateforme privilégiée par le ministère de l'Education. Et il attend depuis plusieurs mois que la Ville de Paris installe des stores, pour pouvoir utiliser un vidéoprojecteur tout neuf. "Je vais finir par les poser moi-même !", s'impatiente le professeur des écoles.

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