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Cancer du sein : "Le test génétique, je l'ai fait pour ma fille"

Angelina Jolie a subi une ablation des seins après avoir appris qu'elle était porteuse d'un gène prédisposant au cancer. En France aussi, les patients qui ont un risque héréditaire de développer certains cancers peuvent bénéficier d'une analyse génétique. Reportage à l'hôpital de Montpellier. 

Article rédigé par Marion Solletty
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Une femme passe une mammographie à l'hôpital des Diaconesses, à Paris, le 28 mai 2009. (AMELIE BENOIST / BSIP)

Antoinette, la soixantaine, sort de son sac à main une feuille de papier soigneusement pliée en quatre. Elle y a inscrit les noms des membres de sa famille, et toutes les informations qu’elle possède sur leurs antécédents médicaux. Sa grand-mère, son père, son oncle et ses deux sœurs ont tous développé un cancer du poumon. Antoinette aussi : elle vit depuis 2009 avec un seul poumon.

Les cancérologues qui la suivent soupçonnent un facteur héréditaire : ils l’ont envoyée voir le professeur Pascal Pujol, qui travaille au sein de l’unité d’oncogénétique du CHU Arnaud-de-Villeneuve, à Montpellier (Hérault). Objectif : identifier, grâce à un test génétique, une éventuelle mutation génétique ayant favorisé l’apparition du cancer.

C'est ce qu'a fait Angelina Jolie : l'actrice, dont la mère est décédée à 56 ans d'un cancer du sein, a annoncé lundi 13 mai qu'elle était porteuse du gène BRCA-1, rendue responsable de cancers précoces du sein et de l’ovaire. Et qu'elle avait subi, de manière préventive, une ablation des deux seins. 

A Montpellier, la première consultation commence toujours par le même rituel : stylo à la main, le généticien reconstitue avec son patient son arbre généalogique. Un rond pour les femmes, un carré pour les hommes. Ceux qui ont développé un cancer sont hachurés de gris.

Confirmer l'hérédité familiale par la science

Monique en est à l'étape suivante. Pour elle, c'est le jour des résultats. Cette quinquagénaire aux cheveux blonds cendrés, sourire toujours aux lèvres malgré un corps malmené par de multiples opérations, a connu deux cancers du sein. Sa sœur et ses deux cousines ont également été atteintes.

Dans ce contexte, le résultat ne la surprend pas : comme Angelina Jolie, Monique est porteuse d’une mutation du gène BRCA-1. Les chiffres varient selon les études, mais la probabilité de développer un cancer du sein avant l’âge de 70 ans est estimée à au moins 60% pour les femmes porteuses de cette mutation, et à 30% pour le cancer de l’ovaire.

Le professeur Pascal Pujol, généticien à l'unité d'oncogénétique du CHRU Arnaud-de-Villeneuve, à Montpellier (Hérault), le 19 février 2013.  (MARION SOLLETTY / FRANCETV INFO)

A peine quelques secondes de silence, un sourire figé sur son visage malicieux, traduisent l’émoi provoqué par l’annonce. Monique pense déjà à la suite. "Qu’en est-il de mes proches ?" Le professeur Pujol recommande un test pour sa sœur, mais la quinquagénaire secoue la tête. "On m’avait donné un papier à lui remettre, elle a refusé de le remplir. Elle ne veut pas savoir."

Une analyse ciblée et très encadrée

C’est pourtant un des premiers intérêts du dispositif : encourager un dépistage ciblé auprès des proches du patient susceptibles de porter le gène, et permettre un traitement aussi précoce que possible le cas échéant. "Je l'ai fait pour elle, pour qu'elle se fasse suivre au cas où", opine Jeanne, 58 ans, elle aussi touchée par un cancer du sein, en montrant du pouce sa fille, une grande brune à l'allure discrète venue avec elle à la consultation. 

Depuis le début des années 2000, la génétique a connu des progrès tels qu'il est désormais possible d’analyser les facteurs de risque liés au patrimoine génétique d’un individu pour des centaines de pathologies. Une véritable industrie s’est développée dans certains pays : la société américaine 23andMe propose ainsi, depuis décembre 2012, une analyse génétique à large spectre pour moins de 100 dollars (75 euros). 

Rien de tout cela en France : le diagnostic génétique est strictement encadré. Le Code civil stipule que "l'étude génétique des caractéristiques d'une personne ne peut être entreprise qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique", et seulement, précise le Code de la santé publique, par "des praticiens agréés à cet effet par l'Agence de la biomédecine".

Marie-Christine Lecq, technicienne de laboratoire, vérifie la qualité d'un échantillon d'ADN à l'aide d'un spectrophotomètre, le 19 février 2013. (MARION SOLLETTY / FRANCETV INFO)

En outre, en France, le diagnostic génétique n’est pratiqué que ciblé. Tout séquençage du génome au sens large, ne correspondant pas à l’objectif thérapeutique recherché, est proscrit.

"Pour une recherche génétique comme aux Etats-Unis, on aurait dit non"

La différence n'a pas échappé à Lucie, 42 ans, venue avec Enzo, son fils de 3 ans et demi, voir le docteur Pujol. Le petit garçon, espiègle sous son bonnet de coton multicolore, n’a pas peur des blouses blanches : il les côtoie depuis un an et l’annonce de son diagnostic. Enzo souffre d’une tumeur au cerveau très agressive, qui pourrait être liée à un facteur génétique.

Ses parents étaient d’abord hésitants. "J’avais fait quelques recherches sur internet. On a imaginé une recherche génétique comme elle se pratique aux Etats-Unis, listant toutes les maladies qu’on peut avoir... Là, on aurait été plutôt négatif", explique Lucie. "Avec une maladie comme celle d’Enzo, on essaie de se dire qu’on va vivre sans penser à tout ce qui pourrait nous tomber dessus", dit-elle en souriant doucement, le regard tourné vers son fils.

Les parents d'Enzo ont franchi le pas en pensant à leurs deux autres enfants, âgés de 13 et 11 ans. Son fils de 11 ans, en particulier, s'est inquiété de savoir s'il pourrait développer la même maladie. A priori, il est hors de danger : ce type de tumeurs se déclare très jeune.

Une infirmière effectue un prélèvement sanguin pour Enzo, atteint d'une tumeur au cerveau, ici sur les genoux de sa mère, le 19 février 2013. (MARION SOLLETTY / FRANCETV INFO)

En recevant cette patiente, le professeur Pujol avait une autre idée en tête : lui proposer, si elle et son mari souhaitaient avoir d’autres enfants et au cas où le facteur génétique soit avéré, une fécondation in vitro avec diagnostic préimplantatoire (DPI). Ce procédé permet de sélectionner des embryons non porteurs de la mutation, épargnant ainsi l’enfant à naître. Autorisé seulement sur avis d’une commission et dans le cas de "maladies rares et incurables au moment du diagnostic", il aurait pu être proposé dans ce cas. A 42 ans, Lucie ne veut pas d’autres enfants, mais elle songe déjà à l’avenir d'Enzo. "Si il sort vainqueur de ce combat, il faudra peut-être y songer [pour lui et sa future compagne]..."

Savoir pour prévenir, mais aussi mieux traiter

L’identification d'un facteur génétique n'est pas seulement utile pour les descendants du patient : elle influe aussi sur sa prise en charge médicale. "Dans le cas du cancer du sein et de l’ovaire, l’identification d’un terrain génétique va nous orienter vers un traitement plus radical", explique Pascal Pujol.

En l'occurrence, les cancérologues recommandent systématiquement l’ablation des ovaires à titre préventif pour les femmes porteuses de la mutation âgées de 40 ans. Car si le cancer de l'ovaire est moins fréquent que celui du sein, il est difficile à dépister et très agressif. Le risque est trop grand. 

Le cancérologue de Monique l’avait prévenue. "C’est pour ça que j’ai un peu tardé à venir à la consultation, glisse-t-elle. Je savais qu’on risquait de devoir m’enlever les ovaires." La décision n’est pas toujours facile à prendre, mais la plupart des patientes décident de franchir le pas.

Un "statut" difficile à porter

Certaines évoquent même spontanément la mastectomie (ablation d’un ou des deux seins), toujours à titre préventif, quand elle n’a pas déjà été effectuée. C’est le cas de Véronique, traitée pour un cancer du sein et encore sous le coup de l’émotion après la découverte, deux jours auparavant, d’une nouvelle lésion. "Ça fait ressurgir ce que j’ai vécu. J’en ai marre !" tempête cette quadragénaire à l’allure soignée et au caractère visiblement bien trempé.

Christine, 58 ans et deux cancers du sein, elle aussi porteuse d'une mutation du gène BRCA-1, a choisi "sans hésiter" de se faire enlever ses ovaires après le test.

Christine à la consultation du professeur Pascal Pujol, le 19 février 2013. (MARION SOLLETTY / FRANCETV INFO)

Mais l'annonce des résultats a été un moment difficile. "Je savais déjà que j’étais concernée, mais savoir que j’ai ce gène, ce 'statut', ça me dérange beaucoup plus", explique cette mère de famille, aux lèvres fines soulignées d'un rouge à lèvres nacré. "Mon anxiété, c’est de savoir ce qu’il en sera pour mes enfants..." s'inquiète-t-elle. Ses deux filles, âgées d'une trentaine d'années et ayant elles-mêmes chacune une fille, attendent le résultat du test. "Que se passera-t-il si l’une de mes filles est porteuse et l’autre pas ? C’est un sujet qui devient presque tabou dans la famille."  

Les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat des patients.

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