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Comment des faux sites d'information profitent de la peur d'Ebola en France

De Roubaix à Oyonnax, de Blois à Nantes, de fausses alertes au virus Ebola se propagent en ligne. Derrière ces rumeurs rapidement démenties, on retrouve le même site : Actualités.co.
Article rédigé par Judith Chetrit
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (© Maxppp)

Sur Actualités.co, on retrouve des fausses brèves intitulées "Cas d'Ebola sur Blois : la ville peut être en quarantaine ", "ALERTE : le virus Ebola se répand à Paris " ou "Cas confirmé d'Ebola à Mons ... La ville en quarantaine? ". Ces fausses informations sont des blagues écrites par des internautes. C'est indiqué clairement en page d'accueil : "Crée ta propre blague ".

Cependant, ces fausses infos sont ambiguës. Elles sont rédigées comme des articles qui se partagent jusqu'à 10.000 fois sur Facebook. Ici, nous ne sommes pas dans l'information satirique, type le Gorafi où l'humour est utilisé pour démontrer quelque chose. Les articles sont très brefs : quelques lignes et avec souvent à la fin de cette brève, une parenthèse qui source l'information comme provenant d'un média officiel. Par exemple, l'article sur deux marins originaires de Concarneau dans le Finistère contaminés par Ebola se finit par "source France Info ". C'est évidemment faux. Juste en dessous, cette photo de chat qui indique "tu y as vraiment cru ?"

  (Quelques secondes après avoir cliqué sur une brève, un chaton apparaît avec la mention "Tu y as vraiment cru ?" © Capture d'écran Actualites.co)
Conséquence : Les hôpitaux, les mairies, la presse locale, reçoivent des coups de fil de personnes alarmées et doivent rapidement démentir. Par exemple, Nathacha Monhoven, journaliste à la Nouvelle République à Blois, alertée par cette rumeur se diffusant sur les réseaux sociaux, raconte à France Info que des lecteurs contactaient le quotidien régional persuadés qu"on leur cachait quelque chose ". Une fois l'information infirmée, le journal et la mairie de Blois ont désiré mettre fin à toute confusion en répondant personnellement avec lien vers un article aux internautes qui relayaient la rumeur ou s'interrogeaient sur la véracité de l'information.

Après quelques jours, on remarque que certaines blagues n'existent plus (mais on peut les retrouver grâce à l'URL restante). Explication ? "La news a été supprimée et ne semblait pas correspondre à l'esprit du site".

 

  (La brève sur un cas Ebola à Blois a disparu du site © Capture d'écran Actualités.co)

Derrière Actualités.co, Actualités.com

Derrière Actualités.co, qui comporte également une version anglophone et espagnole, on retrouve un même homme - Nicolas Gouriou - , une même société - Mediavibes qui capitalise plus d'une soixantaine de noms de domaine. Parmi eux, de nombreux sites parodiques (FlashInfo.org, Lescargot.fr) ou de jeux en ligne (JeuxGratuits.com ou JeuxFlash.com). La particularité d'Actualités.co, c'est qu'il renvoit vers un site "jumeau" ou "antonyme " selon Nicolas Gouriou, Actualités.com. En cliquant sur l'information qui nous intéresse, une fenêtre s'affiche rapidement après avoir été incité à partager le contenu sur Facebook.

 

  ("Tu veux la vérité ?! Actualites.com" © Capture d'écran Actualités.co)
"Une fois que les internautes sont sur leur site, ils veulent les conserver, voire les réorienter vers des sites partenaires. Cela fait sens en matière de trafic lié à la publicité d'avoir un site de fausses informations qui est relié à un site d'agrégation. C'est une manière de dire "Vous vous êtes fait avoir, mais voici les vraies informations ", explique Craig Silverman, un journaliste membre du Tow Center for Digital Journalism de l'université américaine Columbia qui a récemment créé le site Emergent.info analysant le cycle de vie des rumeurs en ligne.

Actualités.com est, lui, un site qui agrège des contenus de médias crédibles. Un jeu de pistes qui a un avantage : qui dit fausses informations virales, dit trafic, dit publicité. Nicolas Gouriou se réjouit par mail du succès d'Actualité.co, lancé ce mois de juillet (le nom de domaine a été créé en 2010). Pour lui, ce site "est un lieu de liberté d'expression pour le plus grand nombre (...) C'est en quelque sorte une nouvelle forme de média "Do It Yourself" (à faire soi-même, ndlr) . S'il affirme qu'une quasi-totalité des contenus sont produits par les internautes, "il nous arrive aussi d'utiliser le site pour nous amuser, on en a bien le droit non? ".

La peur, facteur de partage sur les réseaux sociaux

Pourquoi un contenu clairement présenté comme faux se partage aussi rapidement ? Pourquoi les gens y croient ? Selon Craig Silverman, il y a une explication : la peur. "Les gens ont peur car ils ont des incertitudes sur Ebola. Est-ce que le virus atteindra mon pays? Est-ce que je cours un risque ? Le fait que les gens soient à la fois friands d'informations sur le sujet tout en étant effrayés augmente la probabilité du contenu à être trouvé puis partagé. Ce qui arrive souvent avec ces sites de fausses informations, c'est qu'ils écrivent des articles vraiment alarmants qui alimentent ainsi la peur, le partage de ces articles et ainsi de suite ".

Craig Silverman, par exemple, estime que tout son site actuellement pourrait être consacré aux fausses rumeurs sur Ebola, a fortiori depuis qu'un premier cas a été confirmé aux Etats-Unis il y a quelques semaines. Les Etats-Unis ont été pris d'une "Ebolanoïa" progressive, comme le relate quotidiennement un journaliste de Wired sur son Tumblr documenté, Germ Girl.

L'algorithme de Facebook ne différencie pas les informations des canulars

En France, Hoaxbuster, le site qui analyse les canulars trouvés sur le web, se refuse lui de revenir sur toutes les rumeurs concernant le virus qui a fait près de 4.900 morts. "On essaye de ne pas faire chambre d'écho aux rumeurs dont on sait qu'elles ne vont pas durer sur le temps et qu'elles ne vont pas être transmises un grand nombre de fois. Aux Etats-Unis, sur notre équivalent Snopes.com, il y a une rumeur sur 2 sur Ebola parmi les 50 dernières rumeurs ", explique "Nichoax", un bénévole. "Les rumeurs sur Ebola sont en général plus faciles à confirmer ou à démentir. Les autorités, notamment en matière de santé, sont plus enclines à donner rapidement des réponses car ils savent que si l'information n'est pas donnée, les rumeurs se répandent encore plus vite ", ajoute Craig Silverman.

Facebook est un vecteur puissant de diffusion de ces fausses informations. Nicolas Gouriou s'en félicite : "Facebook a prouvé toute sa puissance de feu. Dès la mise en ligne du site, au moment du mondial de foot, les premiers posts se sont propagés comme une traînée de poudre ". Sur votre page d'accueil, l'algorithme du réseau social ne différencie toujours pas les informations des canulars. Autre élément troublant, le réseau social a récemment ajouté un module "Trending" qui remonte sans que vous le sachiez les contenus les plus viraux en ce moment.

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