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Peut-on voter pour Marine Le Pen quand on est un électeur de Jean-Luc Mélenchon ?

Si la candidate du Front national et celui de la France insoumise portent certaines propositions similaires en apparence, leurs programmes et leurs valeurs sont en fait radicalement opposés.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon débattent lors de la campagne des législatives de 2012. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon se laisseront-ils tenter par Marine Le Pen ? Alors que le leader de la France insoumise n'a donné aucune consigne de vote (en précisant qu'il ne voterait pas Le Pen), la candidate frontiste multiplie les appels du pied en direction des 19,58% d'électeurs mélenchonistes au premier tour de la présidentielle. Et sur les réseaux sociaux circule un tract destiné à convaincre les "insoumis" de voter Marine Le Pen.

Selon les sondages publiés depuis dimanche soir, entre 10 et 20% d'entre eux envisagent de glisser un bulletin FN dans l'urne le 7 mai, une grosse moitié voterait Emmanuel Macron et un tiers s'abstiendrait ou voterait blanc ou nul. Les électeurs mélenchonistes peuvent-ils se retrouver dans le programme du FN ? 

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Oui, parce qu'ils incarnent tous deux le "dégagisme" ambiant

En 2011, un dessin de Plantu dans L'Express avait suscité une vive polémique. On y voyait Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, chacun derrière un pupitre, lisant un même slogan : "Tous pourris !" Deux campagnes présidentielles sont passées par là, mais la caricature pourrait encore être d'actualité.

Rangés aux deux extrémités de l'échiquier, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen partagent le désir de bouleverser le paysage politique français. Tous deux autoproclamés "anti-système", ils s'en prennent depuis plusieurs années aux gouvernants de droite comme de gauche, même si la patronne du FN ne s'en prend plus directement aux "affaires" de ses concurrents, étant elle-même mise en cause.

Quand Marine Le Pen vilipende "l'UMPS", Jean-Luc Mélenchon, lui, se réjouit du "dégagisme" qui a poussé les électeurs de la primaire à gauche à faire chuter Manuel Valls, ou ceux de la primaire à droite à mettre hors jeu Nicolas Sarkozy.

Par ailleurs, relevait le politologue Gaël Brustier sur Slate avant le premier tour, le positionnement de Jean-Luc Mélenchon a sensiblement évolué depuis la dernière élection. Désormais animé d'une stratégie "populiste", il ne serait plus seulement le représentant de la gauche radicale, mais un candidat s'adressant "à 'tous ceux qui ne sont pas là', c’est-à-dire aux abstentionnistes et à ce volant d'électeurs perdus dans le désordre idéologique d’une crise protéiforme". Un créneau qui peut rappeler celui de Marine Le Pen, qui se présente régulièrement comme la "candidate du peuple".

Oui, parce qu'ils ont en apparence des points communs sur l'Europe et l'économie

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont les principaux pourfendeurs de l'Europe de Bruxelles, de la dérégulation financière et de la mainmise supposée de l'Allemagne sur la politique économique menée sur le continent. "Personne n'a jamais tenu tête à Madame Merkel", déplorait le leader de la France insoumise pendant la campagne. En version Marine Le Pen, cela donne : "Nos dirigeants passent leur vie à aller voir Madame Merkel pour obtenir l'onction." Mardi soir, sur TF1, la candidate FN a poussé très loin la tentative de récupération.

Les électeurs de la France insoumise, je les vois mal voter pour la France soumise.

Marine Le Pen

sur TF1

Dans leurs programmes respectifs, les deux responsables politiques disent vouloir redonner à la France sa souveraineté face aux exigences de Bruxelles. Ils proposent tous les deux de renégocier les traités avec nos partenaires européens, après quoi un référendum sur l'appartenance à l'Union européenne serait organisé, à l'image de ce qu'a fait David Cameron au Royaume-Uni. En cas d'échec des négociations, Jean-Luc Mélenchon promet, lui, de sortir unilatéralement des traités.

L'un comme l'autre sont opposés à la directive "travailleurs détachés" – mais avec des objectifs différents : préférence nationale pour Marine Le Pen, harmonisation sociale par le haut pour Jean-Luc Mélenchon – ou à l'indépendance de la Banque centrale européenne, et sont favorables à des mesures protectionnistes pour sauver l'industrie.

Sur le plan intérieur, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon plaident pour l'abrogation de la loi El Khomri et pour un soutien accru aux PME. Quant aux retraites, ils se rejoignent pour un retour de l'âge légal de départ à 60 ans, avec 40 années de cotisation pour un taux plein.

Non, parce qu'ils ont deux visions de la société opposées

Sur le plan sociétal, les programmes de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon sont radicalement différents. D'un côté, Marine Le Pen a bâti une bonne partie de son programme autour de la lutte contre l'immigration et d'une tolérance zéro contre l'insécurité, deux notions qu'elle articule d'ailleurs allègrement. Cela se traduit notamment par un moratoire sur l'immigration légale, le durcissement des conditions de naturalisation, la suppression du droit du sol et des doubles-nationalités extra-européennes…

Marine Le Pen veut en outre rétablir les peines planchers, supprimer les aides sociales aux parents de délinquants mineurs, instaurer une peine de prison à perpétuité incompressible, créer 40 000 places de prison, etc.

Au contraire, Jean-Luc Mélenchon voulait "faire progresser l'égalité des droits" en rétablissant la carte de séjour de dix ans comme titre de séjour pour les étrangers, faciliter l'accès à la nationalité française pour les étrangers légaux, et défendre le droit du sol intégral pour les enfants nés en France.

A la différence de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon plaidait pour l'abandon du "tout-sécuritaire", avec une sortie de l'état d'urgence, la supervision des opérations de lutte antiterroriste par le juge judiciaire, le démantèlement des brigades anti-criminalité, l'interdiction des Taser et des Flash-Ball et la mise en place du récépissé de contrôle d'identité pour lutter contre le contrôle au faciès.

Autre divergence, quand Marine Le Pen veut abroger la loi Taubira sur le mariage pour tous et réserver la PMA comme réponse médicale aux problèmes de stérilité, Jean-Luc Mélenchon prônait lui "l'égalité de toutes les familles de tous les enfants et des couples mariés et pacsés", l'ouverture de l'adoption plénière conjointe à tous les couples et le droit à la PMA pour toutes les femmes.

Non, parce que leurs histoires politiques sont incompatibles

Au-delà des points précis de programme, ce sont surtout les parcours politiques des deux leaders qui les différencient, au point de les rendre incompatibles. Tout au long de sa carrière, Jean-Luc Mélenchon n'a cessé de combattre le Front national, avec plus ou moins de succès.

En 1997, il se prononçait ainsi pour l'interdiction du Front national, sur la base d'une loi prévoyant la dissolution de toute association provoquant ou encourageant la discrimination, la haine ou la violence envers un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. "C'est le cas du FN. La loi existe. Il ne s'agit donc pas de faire des lois nouvelles contre Le Pen", expliquait-il dans Libération.

Cinq ans plus tard, après la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon prenait les devants dans une tribune au Monde : "Le vote d'extrême droite doit être réduit au minimum par nos propres forces. (...) J'affirme clairement que tout atermoiement dans les rangs de gauche nous expose au minimum à une nouvelle avancée de l'extrême droite."

En 2012, le leader du Front de gauche était apparu comme le principal adversaire de Marine Le Pen. "Ce qui séparera nos deux courants depuis toujours et pour longtemps, c'est que nous nous sentons les militants de l'égalité humaine par delà toutes les différences. (...) Vous, vous ne servez à rien, depuis 40 ans, qu'à distiller de la haine", lui lançait-il à l'occasion d'un débat très tendu sur le plateau de "Des Paroles et des Actes".

J'ai l'intention de combattre votre infâme parti et votre infâme politique partout où je le pourrai.

Jean-Luc Mélenchon

à "Des Paroles et des Actes"

Une promesse tenue puisqu'il s'était par la suite présenté contre elle aux législatives dans sa circonscription d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), sans succès.

L'attitude de Jean-Luc Mélenchon, qui n'appelle cette fois pas à voter pour Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, a donc de quoi déconcerter, y compris dans ses propres rangs. Mais elle s'inscrit aussi dans une inflexion notable de son discours entamée en 2015 : il n'avait alors pas appelé au front républicain lors des élections départementales et régionales. "La dimension du combat contre le Front national a complètement changé, expliquait-il alors dans Les InrockuptiblesOn s’adapte au fur et à mesure." Il vient d'en donner une nouvelle preuve.

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