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"On me répétait qu'il fallait avaler des couleuvres" : d'anciens ministres issus de la société civile racontent les difficultés qu'ils ont rencontrées

Article rédigé par Vincent Matalon, Margaux Duguet - Geoffrey Lopes
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Alain Calmat, Jean-François Lamour, Dominique Versini et Azouz Begag, quatre anciens ministres issus de la société civile. (MAXPPP / AFP)

Le gouvernement d'Edouard Philippe est composé pour moitié de ministres qui ne viennent pas forcément du sérail.

Nicolas Hulot à la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne aux Transports, Jean-Michel Blanquer à l'Education, Laura Flessel aux Sports... C'était une promesse d'Emmanuel Macron : dans le gouvernement d'Edouard Philippe nommé mercredi 17 mai, onze des vingt-deux ministres sont issus de la société civile. La proportion de ces personnalités jamais élues ou passées par des cabinets ministériels est inédite dans un gouvernement.

Mais par le passé, d'autres représentants de la société civile se sont déjà retrouvés propulsés sous les ors de la République, forcés d'apprendre sur le tas les us et coutumes d'un monde qui n'était pas le leur. Franceinfo a demandé à quatre anciens ministres issus de la société civile de raconter les difficultés auxquelles ils ont dû faire face.

Apprendre les codes : "C'est ce qui a été le plus difficile"

Elle était dans "une réunion de terrain" lorsque sa secrétaire lui a annoncé que le Premier ministre cherchait à la joindre. Nous sommes en mai 2002, et Dominique Versini, alors directrice générale du Samu social de Paris, a une demi-heure pour décider ou non de plonger dans le grand bain de la politique. Jean-Pierre Raffarin, fraîchement nommé Premier ministre de Jacques Chirac, lui propose le poste de secrétaire d'Etat chargée de la Lutte contre la précarité et l'exclusion. "Je lui ai demandé en quoi ça consistait, il me l'a détaillé et j'ai dit OK", se souvient-elle.

Si elle décrit ce monde nouveau comme "passionnant", les débuts sont pourtant difficiles. "Il y a beaucoup de pièges. C'est un monde très complexe", juge celle qui est aujourd'hui adjointe à la mairie de Paris en charge des Familles, des Personnes âgées et de la Solidarité. Ce "monde complexe", c'est d'abord celui des politiques chevronnés : des gens "qui se connaissent depuis longtemps" et qui "chassent en bande"

Vous ne comprenez pas tous les enjeux, c'est ce qui a été le plus difficile, car vous n'êtes pas du sérail.

Dominique Versini

à franceinfo

Son ex-collègue au gouvernement ne peut qu'acquiescer. Jean-François Lamour, ancien champion olympique au sabre, nommé ministre des Sports dans les gouvernements Raffarin et De Villepin entre 2002 et 2007, se souvient des "codes qui n'en sont pas", de "la dureté de la vie politique" et de ces règles du jeu qui n'existent pas vraiment : "Trahissez allégrement votre compagnon de route lorsque c'est nécessaire." "C'est un milieu très rude. Ça demande un effort de tous les instants, y compris en prenant sur la vie privée..."

En juillet 1984, l'ancien patineur artistique – champion du monde en 1965 – Alain Calmat a déjà quitté le monde sportif. Il est alors chirurgien, et se trouve en pleine intervention lorsqu’il est demandé en "urgence". "C’est Laurent Fabius, le Premier ministre, qui me demande si je veux être son ministre des Sports", raconte-t-il à franceinfo, encore tout étonné. Laurent Fabius lui laisse une heure pour se décider. Alain Calmat fait le choix de saisir "cette opportunité intéressante".

S'il garde une bonne expérience de ses deux ans passés au gouvernement – il a continué la politique après et est devenu député –, Alain Calmat déplore lui aussi la la logique partisane un peu absurde de notre système politique. "Ça relève de la posture politique et ça m’a déçu", soupire l'ancien ministre.

Je me suis rendu compte que la césure était artificielle. Il y avait beaucoup de gens de l’opposition qui étaient d’accord avec moi mais au moment du vote, ils votaient contre.

Alain Calmat

à franceinfo

Apprivoiser les journalistes : "Il faut s'en faire des alliés pour légitimer son action"

"Je me suis rendu compte de l'importance du relais que constituent les journalistes : ils sont absolument essentiels quand vous êtes au gouvernement !" Ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances du gouvernement Villepin de 2005 à 2007, Azouz Begag – jusque-là écrivain et chercheur au CNRS – raconte avoir dû apprendre sur le tas à se faire connaître des médias.

Ce sont les journalistes qui vont relayer ou non ce que vous faites. Si personne n'est au courant de votre action, les Français croiront que vous ne faites rien.

Azouz Begag

à franceinfo

"Nicolas Sarkozy, qui était ministre de l'Intérieur, l'avait parfaitement compris, ajoute l'ancien ministre. Avec sa gouaille et une certaine insolence, il avait une armada de journalistes qui le suivait en permanence. Cela a contribué à sa notoriété, et au final à son élection à l'Elysée."

Négocier son budget : "Bercy voulait raboter mon portefeuille de plusieurs millions"

"Heureusement que l’administration existe pour assurer la continuité du fonctionnement du pays !", assure l'ancienne secrétaire d'Etat, Dominique Versini. Mais elle tempère immédiatement : "Si vous voulez changer quelque chose, c’est vraiment difficile." Jean-François Lamour, ancien ministre des Sports, a lui bien saisi cette complexité :

Le plus dur restait pour moi de convaincre le ministère des Finances. J’essayais d’augmenter mon budget tandis que Bercy me le rabotait de plusieurs millions...

Jean-François Lamour

à franceinfo

"Heureusement, la solidité de mes relations avec Jacques Chirac m’a beaucoup aidé, et m’a favorisé dans les moments de tensions avec Bercy, se souvient encore le double champion olympique d'escrime. Il faut avoir un minimum de connaissances des rouages de la vie politique pour faire un bon ministre. Cela me paraît important pour contrôler les mécaniques interministérielles et des positions parfois difficiles à tenir."

Subir la discipline gouvernementale : "On me répétait qu'il fallait avaler des couleuvres"

Pour Azouz Begag, la plus grande difficulté de son passage au gouvernement était de devoir cohabiter avec un Nicolas Sarkozy dont il ne partageait pas "la sémantique guerrière au sujet des banlieues". "Nettoyer les cités au Karcher, 'casser' les jeunes plutôt que les éduquer... Pour moi, qui militait depuis 20 ans pour faire rentrer les banlieues dans le champ politique, c'était inacceptable !" se souvient l'ancien ministre.

J'étais face à un terrible dilemme : rester droit dans mes bottes ou plier face à Nicolas Sarkozy. Je n'en dormais plus !"

Azouz Begag

à franceinfo

"On me répétait qu'il fallait avaler des couleuvres", continue Azouz Begag. "Mais je me suis souvenu que Dominique de Villepin m'avait dit que dans la vie, on était plus longtemps ancien ministre que ministre en exercice. J'ai continué à ouvrir ma gueule, et je ne le regrette pas aujourd'hui."

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