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Enquête franceinfo Le travail "nébuleux" de Laëtitia Cochet, assistante parlementaire et épouse de député

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13 min
La permanence parlementaire de Philippe Cochet, le 10 février 2017 à Caluire-et-Cuire (Rhône). (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCEINFO)

Philippe Cochet, député-maire Les Républicains de Caluire-et-Cuire, dans le Rhône, emploie sa femme depuis son élection à l'Assemblée nationale en 2002. Mais des zones d'ombre existent sur la réalité de son activité de collaboratrice. Franceinfo a enquêté.

C'est un local avec deux vitres opaques, au rez-de-chaussée d'un immeuble de style art nouveau. Le visage de Philippe Cochet, élu Les Républicains de la 5e circonscription du Rhône depuis 2002 et patron du parti dans le département, s'affiche en grand sur la devanture. On distingue une imprimante posée sur un bureau. De l'extérieur, impossible de voir davantage de la permanence du parlementaire, située à Caluire-et-Cuire. Laëtitia Cochet, la femme du député, affirme y travailler à temps partiel en tant qu'assistante parlementaire de son mari, poste qu'elle dit occuper depuis l'élection de ce dernier à l'Assemblée nationale.

Qu'un député embauche ainsi son épouse comme collaboratrice parlementaire n'est pas illégal. Ce n'est pas non plus un cas isolé : en 2014, au moins 115 députés (sur 577) ont salarié un membre de leur famille, d'après une enquête de MediapartMais en pleine affaire Fillon, cette pratique interroge et ce, quel que soit le parti politique du député. Elle pose d'autant plus question que la présence et le travail effectifs de Laëtitia Cochet à la permanence parlementaire depuis 2002 sont remis en cause par plusieurs témoignages recueillis par franceinfo, lors d'une enquête menée conjointement avec le magazine Lyon Capitale.

"Pour moi, elle était femme de député"

"Je n'ai jamais vu Madame Cochet prendre un ordinateur, utiliser les contacts, écrire des mails ou des courriers à des élus", affirme Maud Guerrini. Ancienne assistante parlementaire, elle a travaillé pour Philippe Cochet à temps plein à partir d'octobre 2003. Ce n'est qu'après son licenciement, deux ans plus tard, que Maud Guerrini a appris que Laëtitia Cochet était également la collaboratrice du député : "Pour moi elle était femme de député, je l'ai toujours connue comme ça."

Elle nous aidait comme tous les militants. Je ne l'ai jamais vue faire quelque travail que ce soit. Elle n'avait pas de mission d'assistante parlementaire, sauf pour le courrier. Elle allait chercher ou apportait le courrier à la boîte postale. Elle seule y allait.

Maud Guerrini

à franceinfo

Maud Guerrini a contesté son licenciement en justice, qui l'a finalement déclaré "dénué de cause réelle et sérieuse" et pour lequel Philippe Cochet a été condamné à lui verser des dommages et intérêts en appel en 2008. Pour autant, l'ancienne assistante parlementaire affirme ne pas être "animée par un esprit de vengeance". "Je n'ai rien de personnel contre eux, assure-t-elle. J'explique et je relate des faits dont j'ai été témoin. [Pendant la durée de mon contrat], Laëtitia Cochet n'a jamais passé de coup de fil. En tout cas pas à la permanence."

Une assistante très peu présente à la permanence

Un militant des Républicains, qui s'y rendait régulièrement à la fin des années 2000, est lui aussi catégorique : "Je ne l'ai jamais vue à la permanence." "Je l'ai vue, oui, mais lors de réunions ou de campagnes politiques. Pas à la permanence", assure de son côté Michèle Vianès, conseillère municipale jusqu'en 2014 de Caluire-et-Cuire, ville dont Philippe Cochet est maire depuis 2008. "C'est vous qui m'apprenez qu'elle était son assistante parlementaire", ajoute l'ancienne élue, démise de ses fonctions d'adjointe en 2009, après une candidature aux élections européennes sous l'étiquette Debout la République.

Plus récemment, fin 2015, un stagiaire resté dix jours décrit le travail de deux assistantes parlementaires, dans son rapport, que franceinfo s'est procuré. Mais il ne mentionne jamais Laëtitia Cochet. "Je n'ai pas eu l'occasion de la rencontrer à la permanence. Je pense qu'elle épaulait Monsieur Cochet à domicile", déclare-t-il.

"Avant cet automne, on rencontrait Laëtitia Cochet très occasionnellement à la permanence, lorsqu'elle passait prendre ou déposer quelque chose. Depuis, [et après le licenciement d'une autre assistante parlementaire], on la voit bien plus souvent", complète une personne de l'entourage de Philippe Cochet. L'un de ses anciens collaborateurs parlementaires, Cyrille Dalmont, a refusé de répondre à nos questions, dénonçant une "cabale" contre les politiques. Mais une ancienne employée raconte : "Pendant mes heures de travail, je n'avais affaire à elle qu'occasionnellement, pour la logistique."

De temps en temps, elle garait sa voiture dans la cour et venait dire bonjour. Mais elle ne s'est jamais assise à un bureau pour travailler.

Une ancienne employée

à franceinfo

Car selon nos informations, seuls deux bureaux étaient installés dans la permanence ces dernières années. Deux bureaux pour deux collaboratrices parlementaires. Mais où travaillait la troisième, Laëtitia Cochet ? "Quelqu'un qui est venu régulièrement à la permanence me connaît", rétorque-t-elle. Elle assure qu'elle peut travailler depuis chez elle, sans "bureau particulier". "Je m'organise comme je veux : je ne pointe pas. Je n'ai pas de poste de travail fixe et je ne suis pas toute la journée devant un ordinateur", ajoute-t-elle.

Laëtitia Cochet n'est pas non plus à l'Assemblée nationale, elle et son mari le disent clairement. Aucun de ses collaborateurs parlementaires n'y a travaillé, car le député préfère disposer d'une équipe en circonscription, nous précise-t-il, lors d'un rendez-vous à l'Assemblée, mardi 14 février. Sollicité après ce rendez-vous pour plus de détails, il n'a pas retourné nos appels. 

"Je ne me suis jamais considérée comme une assistante parlementaire"

Dans la dernière déclaration (PDF) de Philippe Cochet pour la Haute autorité de la transparence à la vie publique (HATVP), remplie en janvier 2014, quatre noms de collaborateurs parlementaires apparaissent : Françoise Benoît, Laëtitia Cochet, Eva Doressamy et Marc Thénard. Mais ce dernier est, renseignement pris, son chauffeur, employé à la fois dans le cadre des fonctions de député de Philippe Cochet et de son mandat de maire.

Capture d'écran de la déclaration d'intérêts de Philippe Cochet. (HAUTE AUTORITE POUR LA TRANSPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE)

La liste est différente quand on consulte les archives du site internet de Philippe Cochet, partiellement accessibles. Entre 2006 et 2014 au moins, la page "contact" mentionne les "collaborateurs" du député. Sans que le nom de Laëtitia Cochet n'y figure.

Une archive du site internet de Philippe Cochet, datée du 30 mars 2009 et consultée le 18 février 2017. (PHILIPPECOCHET.COM / WEBARCHIVE)

Idem entre 2008 et 2016. Au cours de cette période, les noms de Françoise Benoît et Eva Doressamy, ses deux assistantes parlementaires de l'époque, apparaissent aussi dans les éditions annuelles du Trombinoscope, un annuaire politique de référence, remplies à partir des données transmises par les députés et leurs équipes. Auparavant, aucun nom n'est mentionné. Et celui de Laëtitia Cochet, là encore, n'apparaît jamais.

La fiche de Philippe Cochet dans l'édition de 2012-2013 du Trombinoscope. (TROMBINOSCOPE)
"Je dois avoir le Trombinoscope une fois tous les quatre ans, je n'en sais strictement rien. Je ne sais pas si des mises à jour sont faites régulièrement", a déclaré Philippe Cochet à nos confrères de Lyon Capitale"Je n'ai pas mis mon nom car je ne me suis jamais considérée comme une assistante parlementaire", justifie sa femme. Elle affirme avoir rempli elle-même la fiche que la rédaction de Trombinoscope envoie aux députés.

Je ne suis pas une collaboratrice classique. Je suis comme la femme du boulanger ou la femme du boucher. Car nous avons une proximité que les autres n'ont pas. Et une complémentarité : lui c'est moi et moi c'est lui.

Laëtitia Cochet

à franceinfo

De la difficulté de définir le rôle d'assistant

Interrogé sur les témoignages recueillis par franceinfo, le député tient un discours quasi similaire à celui de son épouse. "Auparavant, j'étais à la tête d'une entreprise et on travaillait déjà ensemble. Si je devenais astronaute ou scaphandrier, ce serait pareil", indique Philippe Cochet. L'argumentaire est rodé : le député-maire le dégaine depuis la publication de sa déclaration d'intérêts. "Si demain j'ouvrais une boulangerie, je peux vous assurer que l'on travaillerait ensemble !" lançait-il en 2014 à un journaliste du Progrès"Si demain je deviens cordonnier ou astronaute, on travaillera ensemble", répondait-il à L'Express en 2015. "C'est naturel et connu de tout le monde", insiste Philippe Cochet.

Mais si Laëtitia Cochet n'est pas une "collaboratrice classique", comme elle l'affirme, alors que fait-elle de ses journées ? "Elle commence très tôt et finit très tard, affirme son époux. Elle a un rôle très polyvalent. Il n'y a pas de fiche de poste arrêtée." "Je dirais que je suis la petite main", résume Laëtitia Cochet.

Collaboratrice, cela ne veut pas dire grand-chose.

Laëtitia Cochet

à franceinfo

Il est vrai que le rôle d'assistant parlementaire n'est pas clairement défini. "Leur contribution à l'activité du député est variable, allant de simples tâches matérielles à des contributions plus élaborées (discours, amendements)", indique simplement l'Assemblée nationale sur son siteComment, alors, quantifier la réalité du travail effectué ? La question se pose pour Penelope Fillon, soupçonnée d'avoir occupé un emploi fictif. Pas besoin de la poser à Philippe Cochet à propos de sa femme : il la devance.

Ce n'est pas un travail fictif.

Philippe Cochet

à franceinfo

"Quand c'est public, elle vient se montrer"

Philippe Cochet est un homme de terrain, tous ceux qui l'ont côtoyé le reconnaissent. Il aime se déplacer dans sa circonscription. Souvent avec sa femme. "Quand c'est public, elle vient se montrer", résume une personne de l'entourage du député. "Chaque fois qu'il y avait une manifestation, elle faisait les courses. Elle assistait son mari dans les représentations", témoigne Maud Guerrini.

Le militant que nous avons interrogé lui prête aussi ce rôle exclusif de représentation avant 2016. "Est-ce que sa femme bossait pour lui ? Je ne sais pas. Cela a toujours été nébuleux. J'ai vu son épouse aux événements. Quand il y avait des réunions de militants, des vœux, des sortes de garden-partys pendant l'été, des repas au restaurant... Elle était là. C'était elle qui faisait les courses, qui installait les nappes, les tables, les gobelets."

Je l'ai vue pour les petits fours.

Un militant des Républicains du Rhône

à franceinfo

"Quand ils la voyaient s'activer pour l'organisation, beaucoup d'élus disaient : 'Qu'est-ce qu'elle est gentille sa femme d'aider comme ça !' raconte Michèle Vianès. Je pense qu'ils ignoraient qu'elle était sa collaboratrice parlementaire." "Je l'ai vue lors des commémorations du 8-Mai, du 14-Juillet, abonde Gilles Durel, conseiller municipal d'opposition à Caluire-et-Cuire. Je ne considère pas que c'est un travail parlementaire." Idem pour la personne de l'entourage du député que nous avons interrogée.

Est-ce que venir aux vœux ou à une manifestation organisée en période de campagne, c'est un travail ? Comment peut-on qualifier ce genre de participation ? Je n'appelle pas ça du travail effectif, qui mérite un salaire.

Une personne de l'entourage de Philippe Cochet

à franceinfo

"Elle est multi-tâches"

De fait, ce travail ressemble davantage à celui d'un militant impliqué dans la vie politique. Peu importe, le député assume. "Elle réserve le restaurant pour les réunions de la circonscription, elle commande les vins, installe les chaises, porte des affaires dans les salles... Elle est multi-tâches", décrit Philippe Cochet.

Ainsi, le couple dit ne pas faire la différence entre les moments où Laëtitia Cochet est présente en tant que collaboratrice parlementaire, et ceux où elle est à ses côtés comme épouse. "La vie politique ne s'arrête jamais, comme la médecine pour un médecin de campagne", compare-t-il. "Je suis là 24 heures sur 24, 7 jours sur 7", renchérit-elle. Agacée, elle finit par lâcher une formule qui sonne comme un mélange des genres.

Je suis plus l'assistante de Philippe Cochet mon mari que l'assistante de Philippe Cochet le député.

Laëtitia Cochet

à franceinfo

Quid de la contribution à l'exercice du mandat parlementaire, censé constituer une part du travail de collaborateur d'un député ? "L'une de mes assistantes parlementaires est juriste de formation. Elle est plus qualifiée sur ces sujets. C'est elle qui s'occupe du travail législatif", répond Philippe Cochet. Et d'ajouter, comme pour devancer une autre question : "Je ne suis pas quelqu'un qui légifère beaucoup, parce que j'ai choisi les affaires internationales." Il est effectivement membre de la commission des Affaires étrangères, pour laquelle il a notamment rendu un rapport sur la Côte-d'Ivoire, mercredi 15 février. A ce propos, il glisse : "D'ailleurs, ma femme a réorganisé mes notes."

"Profession : mère de famille"

De manière générale, Laëtitia Cochet dit "s'occuper de la gestion des fichiers, des relations locales" et des "contacts presse". "Enfin plutôt de la revue de presse", reprend-elle. "Quand je travaillais, je contactais la presse, je faisais les communiqués et je gérais la base de données avec les contacts, assure Maud Guerrini. Mais elle s'en est peut-être occupée après mon départ." Sauf qu'entre 2007 et aujourd'hui, deux journalistes locaux nous ont dit n'avoir jamais eu affaire à elle en tant qu'assistante parlementaire. En revanche, l'un d'eux a été en contact avec Eva Doressamy, notamment pour l'actualité parlementaire du député.

Parmi les tâches qui reviennent à Laëtitia Cochet, il y a aussi la gestion du compte Facebook du député. La quinquagénaire ne le précise pas initialement, mais son mari le rappelle : "Elle l'a toujours piloté." "C'est vrai, il ne connaît même pas le mot de passe", dit-elle en riant. A l'entendre, on comprend qu'elle maîtrise les réseaux sociaux. Que penser alors de la mention "mère de famille" en face de la case "profession" sur son profil sur le site Copains d'avant ? Aucune mention de son travail de collaboratrice parlementaire n'apparaît sur ce profil public.

Capture d'écran du profil public de Laëtitia Cochet sur Copains d'avant. (COPAINS D'AVANT)

J'ai mis 'mère de famille' car c'est ma vocation première.

Laëtitia Cochet

à franceinfo

"Je ne voyais pas l'intérêt de mentionner collaboratrice parlementaire, justifie-t-elle aussi. Tout le monde n'a pas besoin de savoir que je suis femme d'un député. Dans la circonscription d'accord, mais pour mes amies d'enfance, pas besoin." Le député est pourtant une personnalité publique, qui plus est président de la fédération du parti Les Républicains, donc bien connu dans la région. "Oui bon je ne sais pas, vous me posez une colle, voilà", concède finalement Laëtitia Cochet.

Pas de précisions sur le salaire

"Il y a la question de la réalité de la prestation et ensuite la rémunération de cette prestation", souligne enfin un membre de l'entourage de Philippe Cochet. Or, difficile de savoir précisément combien gagne Laëtitia Cochet. Cette dernière accepte seulement de dire que sa rémunération est "raisonnable" et "correspond à une partie de l'enveloppe de Philippe Cochet".

Cette enveloppe est la même pour chaque député : elle s'élève à 9 561 euros par mois, pour rétribuer jusqu'à cinq collaborateurs. Pour les proches, la rémunération ne doit pas dépasser la moitié, soit 4 780 euros. "J'ai une spécificité : je n'utilise pas toute l'enveloppe de mon crédit collaborateur et je reverse donc à l'Assemblée nationale de l'argent", a déclaré Philippe Cochet à Lyon Capitale le 25 janvier. Ni lui-même, ni sa femme ne souhaitent en dire davantage. "Je ne rentrerai pas là-dedans. C'est personnel."

Toutefois, Laëtitia Cochet affirme que si la loi changeait et qu'embaucher un proche comme collaborateur parlementaire était interdit, comme c'est le cas au Parlement européen, elle continuerait à titre bénévole. "Je ne vais quand même pas lui dire du jour au lendemain : 'ton discours, tu ne peux pas le relire tout seul ?'" En attendant, elle insiste : "Tout travail mérite salaire." Mais comment définir ce travail ? La question se pose dans un système encore englué dans l'opacité.

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