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Pourquoi les poignées de main entre les chefs d'Etat ne sont pas si anodines que cela

Donald Trump a semblé tester Emmanuel Macron avec son habituelle poignée de main aux allures de bras de fer, jeudi 25 mai, à Bruxelles.

Article rédigé par franceinfo
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La poignée de mains entre Donald Trump et Emmanuel Macron a été scrutée par les journalistes du monde entier. (MANDEL NGAN / AFP)

En une de la presse française et internationale vendredi 26 mai, la poignée de main entre Donald Trump et Emmanuel Macron, réalisée la veille à Bruxelles, donne lieu à toutes les analyses. Il a ceux qui la diffusent au ralenti. Ceux qui préfèrent le gros plan. Ceux qui tentent d'y déceler des informations sur la politique étrangère du chef d'Etat américain ou encore ceux qui la décrivent, à l'instar du New York Times, comme une scène vibrante à la limite du roman Harlequin ("Mâchoires serrées, visage alternant entre sourires et grimaces, ils se sont serré la main jusqu'à ce que les jointures de monsieur Trump pâlissent. Il a essayé de retirer sa main, mais monsieur Macron a agrippé sa main encore plus fort et a continué à la serrer. Finalement, la seconde fois, Donald Trump s'est retiré et Emmanuel Macron l'a laissé partir."

Bref, tous estiment que le signal envoyé par les deux présidents à travers ce geste symbolique est loin d'être anodin. 

Parce qu'il est question de diplomatie 

Au-delà des gestes et des apparences, les poignées de main sont un exercice diplomatique lourd de sens. "L'origine de la poignée de main, après tout, vient de la nécessité de montrer que nous venons en paix, que nous n'avons pas d'arme dans la main et que nous souhaitons nous lier avec un autre humain dans une rencontre mutuelle de nos paumes", rappelle un universitaire américain dans les pages du Guardian (article en anglais). "L'équivalent de la poignée de main dans le monde des gouvernants, c'est la diplomatie", poursuit-il, ajoutant que les commentateurs cherchent désormais à "lire la politique étrangère de Donald Trump dans l'étrange manière dont il serre les mains des leaders étrangers". 

Sa poignée de main de 19 secondes avec le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, avait ainsi été très remarquée. Quelques jours plus tard, le Canadien Justin Trudeau avait habilement négocié la poignée de main du président américain, alors qu'en mars, ce dernier avait en revanche surpris en refusant de serrer la main à la chancelière allemande, Angela Merkel.

Jeudi, Emmanuel Macron et Donald Trump devaient surtout évoquer l'accord de Paris sur le climat, duquel l'Américain souhaite se désengager. Sur ce point, le chef d'Etat français avait un message à faire passer à son homologue : pas de "décision précipitée". Or comment se montrer ferme dans les discussions ? En commençant par une solide poignée de main. 

Parce qu'Emmanuel Macron devait faire ses preuves 

L'étrange poignée de main de Donald Trump, habitué à tirer vers lui brusquement son interlocuteur, a bien été documentée par la presse depuis l'investiture du président américain. Ici, c'est donc davantage l'attitude d'Emmanuel Macron qui a suscité la curiosité. Et pour cause, en rencontrant Donald Trump, le président français fraîchement élu a fait ses premiers pas sur la scène diplomatique mondiale. Un "baptême du feu diplomatique", a même commenté Le Figaro. 

Or, il a "gagné" ce "bras de fer", ont estimé les commentateurs. Pour un éditorialiste des Echos, "l’intention du jeune président français est évidente, il veut restaurer la fonction, très vite montrer que les problèmes du monde ne l’intimident pas". Pour le Télégramme, "Macron incarne avec élégance la résistance de l’Europe au populisme et à la brutalité de Trump". Une interprétation qui a ses limites :  il "faudra plus de temps pour savoir si la diplomatie française met un terme au tournant atlantiste initié par Nicolas Sarkozy afin d’en revenir à la conception gaullo-mitterrandienne", relativise le quotidien, cité dans la revue de presse de RFI. 

Parce que c'est important pour Trump (et sa vision de la virilité)

Alors que les poignées de main molles sont généralement très mal perçues (et c'est un psychologue américain, spécialiste de la question qui le dit au Washington Post), Trump "sait que ces images seront montrées partout dans le monde et que cela donnera l'impression que c'est lui qui prend les décisions", avait analysé The Independent (article en anglais). "Le fait de tapoter la main, comme celui de toucher l'épaule ou le dos, est un signal de domination. Ces gestes sont asymétriques dans le sens où, si notre patron peut nous taper dans le dos, nous ne pouvons pas en faire autant avec lui. Ce n'est pas la symétrie d'une poignée de main marquant la coopération."

"On ignore si c'est conscient ou non, (...) il veut montrer qu'il a une poignée de main ferme", avait analysé le Washington Post (en anglais), après l'épisode Shinzo Abe. De la même façon, Donald Trump n'avait pas supporté, pendant la campagne, que des comédiens raillent la taille de ses mains, y voyant une attaque contre sa virilité. D'ailleurs, les médias n'ont pas manqué de qualifier cette poignée de main avec Emmanuel Macron de "virile". Pour Bloomberg, ce style de salutation est clairement "mû par la testostérone", tandis que l'Est Républicain, cité par RFI, note que "l’aimable Emmanuel a maintenu la pression 'comme un vrai bonhomme'." Une vision de la politique qui ne manque pas faire lever les yeux au ciel Theresa May et Angela Merkel. Cette dernière n'avait d'ailleurs pas eu droit à la fameuse poignée de main de Donald Trump.  

Parce qu'une poignée de main n'est pas sans conséquence

Tournée en dérision, la poignée de main de Donald Trump est-il un geste contreproductif, qui tend à décrédibiliser le chef de l'Etat ? En matière de politique, une poignée de main démesurément ferme peut être lourde de conséquences. Ainsi, le site news.com.au rappelle qu'en Australie, l'élection fédérale de 2004 s'est jouée sur une poignée de main devenue historique. A l'époque, le candidat Mark Latham avait brutalement salué le Premier ministre, John Howard, lui aussi candidat à sa réélection, la veille de l'élection. Ce geste plutôt violent (dans la vidéo ci-dessous –mais attention, cela va très vite) avait été très mal perçu par les Australiens, lesquels avaient estimé qu'il confirmait l'immaturité politique du leader de l'opposition.

Le broyeur de main, Mark Latham, avait plus tard expliqué qu'il avait agi pour se venger du Premier ministre, qu'il accuse d'avoir écrasé la main de son épouse lors d'une rencontre précédente. Une question d'honneur, en somme. 

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