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Nouvelle purge en Turquie : le pouvoir est dans une "fuite en avant" depuis un an

Depuis la tentative de coup d'Etat l'année dernière, le pouvoir turc "est dans une fuite en avant" estime Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques, et spécialiste de la Turquie.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une manifestation contre les purges en turquie à Ankara, le 23 mai 2017. (ADEM ALTAN / AFP)

La Turquie commémore samedi 15 juillet la tentative de coup d'Etat raté des 15 et 16 juillet 2016. A l'heure exacte des frappes des putschistes contre le Parlement, le président Recep Tayyip Erdogan prononcera un discours.

Dans la journée de vendredi, plus de 7 000 soldats, policiers et membres de ministères ont été limogés. Ankara traque inlassablement les sympathisants du prédicateur Fethullah Gülen, qu'Ankara désigne comme le cerveau du coup d'Etat avorté. Depuis un an, 50 000 personnes ont été arrêtées, plus de 100 000 limogées.

Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques, et spécialiste de la Turquie, a estimé samedi sur franceinfo qu'"il y a incontestablement une forme de peur" aujourd'hui dans le pays, "parce que le pouvoir est dans une fuite en avant depuis maintenant un an". 

franceinfo : Comment décrivez-vous l'atmosphère en Turquie ? Les gens ont-ils peur ?

Didier Billion : Il y a une forme de peur incontestablement. On le voit chez les journalistes encore en liberté qui hésitent à s'exprimer, on le voit dans les ONG, dans tous les secteurs de la société il y a une sorte d'angoisse, de méfiance. Parce que le pouvoir est dans une fuite en avant depuis maintenant un an. Les arrestations se poursuivent, un an plus tard. Il ne s'agit plus d'arrêter ceux qui auraient pu être liés au coup d'Etat, mais ceux qui osent critiquer le pouvoir en place.

Néanmoins il y a deux éléments qui donnent espoir sur l'avenir de la Turquie à moyen terme. Tout d'abord le référendum au mois d'avril. Il a été gagné par le pouvoir, mais a une très courte majorité et tout le monde considère qu'il y a eu fraude électorale. Ce qui signifie que, malgré tous les moyens de propagande qui ont été utilisés par le pouvoir, il y a presque la moitié de la société turque qui résiste, qui résiste confusément, individuellement. Et puis ces derniers jours il y a eu cette "marche pour la justice" organisée par le principal parti d'opposition, le parti Républicain du peuple, qui a traité des centaines de milliers de marcheurs entre Ankara et Istanbul. Je ne dis pas qu'on est à un tournant de la situation politique, ce serait aller un peu vite en besogne. Mais au-delà de cette répression terrible qui secoue certains secteurs de la société, ces mêmes secteurs résistent. La société n'a pas été détruite, et c'est ça qui est très important.

Le président turc redoute-il un nouveau coup d'Etat ?

Il est dans une situation de polarisation de la société. Il veut cliver. Entre les croyants et les laïcs, les Kurdes et les Turcs, les sunnites et les alévis. C'est ce qui permet à monsieur Erdogan de rester au pouvoir. En tout cas c'est ce qu'il pense. Cela révèle comme une faiblesse d'Erdogan. Beaucoup le présente comme le "tout puissant", ce qui est en partie vrai avec le contenu de la réforme constitutionnelle du 16 avril dernier, qui renforce considérablement ses pouvoirs. En même temps je pense qu'il a une faiblesse. Parce que son électorat ne pourra pas accepter indéfiniment ces répressions qui frappent non seulement ceux qui ont participé au coup d'Etat, mais aussi des hommes et des femmes qui sont en prison, qui attendent leur procès, sans que nous sachions vraiment pourquoi ils sont en prison.

Ce coup d'Etat raté est commémoré ce samedi en Turquie. Le pouvoir turc veut-il en faire un symbole ?

Oui, très clairement. Quand vous allez dans les grandes villes de Turquie depuis un an, vous avez des drapeaux partout, d'énormes affiches, d'énormes calicots qui ornent les rues ou les principales artères, en commémoration des "martyrs", de la lutte victorieuse contre les putschistes. Il y a tout un narratif utilisé par le pouvoir, avec en point d'orgue le premier anniversaire de ce coup d'Etat. En outre, je considère qu'il y a eu un véritable coup d'Etat. Donc pour ma part, je pense qu'il faut soutenir le pouvoir légal en dépit de toutes les critiques qu'on peut lui adresser.

Didier Billion : "il y a incontestablement une forme de peur"

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