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L'hégémonie de l'Etat islamique peut-elle durer ?

Les jihadistes poursuivent leur avancée fulgurante en Irak et en Syrie. Mais ils ont connu plusieurs revers militaires ces deux dernières semaines.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une image téléchargée, le 14 juin 2014, sur le site jihadiste Welayat Salahuddin, montre des combattants de l'Etat islamique qui paradent en voiture dans la province irakienne de Salaheddine. (WELAYAT SALAHUDDIN / AFP)

Les jours de l'Etat islamique (EI) sont-ils comptés ? Le groupe terroriste, qui a affirmé avoir exécuté le journaliste américain James Foley mardi 19 août, a subi plusieurs revers militaires dans le nord de l'Irak ces dernières semaines. La contre-offensive kurde, appuyée par les bombardements américains, ralentit la progression des jihadistes, qui semblait, jusqu'ici, presque impossible à endiguer.

Le groupe terroriste reste toutefois en position de force, contrôlant de larges pans de l'Irak et de la Syrie, alors que le nombre de ses combattants ne cesse d'augmenter. L'hégémonie de l'Etat islamique va-t-elle vraiment durer ?

Oui, les jihadistes contrôlent un territoire impressionnant

Deux mois ont suffi à l'EI pour prendre le contrôle de près d'un quart de l'Irak. Les combattants islamistes se sont notamment emparés de plusieurs grandes villes, comme Mossoul et Falloujah. Les jihadistes tentent de poursuivre leur offensive dans le nord et l'ouest du pays afin de mettre la main sur les infrastructures stratégiques et les puits de pétrole de la région, tout en établissant un califat ininterrompu entre l'Irak et la Syrie.

Le groupe islamiste a, dans le même temps, poursuivi son avancée de l'autre côté de la frontière, prenant le contrôle d'une dizaine de villes à proximité d'Alep, dans le nord de la Syrie. L'EI progressait lundi 18 août vers les bastions rebelles d'Azaz et de Marea, qui font l'objet de violents combats selon le Monde. Les jihadistes sont aussi solidement ancrés dans la province de Raqqa, dans le nord-est du pays.

Oui, l'EI est le groupe terroriste le plus riche au monde

Les jihadistes ont touché le gros lot en prenant Mossoul, au début du mois de juin. Le pillage de la banque centrale de la ville leur a rapporté plus de 300 millions d'euros, en faisant d'EI l'organisation terroriste la plus riche au monde devant Al-Qaïda, selon l'International Business Times (en anglais). L'EI disposerait désormais d'un butin de près de 2 milliards d'euros.

Le groupe islamiste a, dans un premier temps, été financé par des donations de plusieurs pays du Golfe, notamment le Qatar et l'Arabie Saoudite, lorsqu'il a rejoint la rébellion syrienne, rapporte La Croix. Ces aides ont apparemment cessé une fois que l'EI est entré en conflit ouvert avec les autres mouvements rebelles. Mais des donateurs privés difficiles à identifier ont pris le relais. Ce financement ne représenterait toutefois que 5% des revenus des jihadistes, affirme La Croix.

Le marché noir du pétrole irakien constituerait, en revanche, une importante manne financière pour l'EI, selon CNN (en anglais) : jusqu'à 2 millions de dollars (1,5 million d'euros) par jour. Le groupe islamiste exporterait illégalement du pétrole non-raffiné à bas prix en Iran, en Syrie, en Jordanie et en Turquie. "Cela pourrait leur rapporter 730 millions de dollars (550 millions d'euros) par an, explique Luay al-Khatteeb, spécialiste de l'économie irakienne, à la chaîne américaine. De quoi financer leur opération au-delà de l'Irak." Les jihadistes puiseraient aussi leurs ressources dans le trafic de drogue, les rançons, le blanchiment d'argent et l'extorsion auprès de commerces locaux. Des méthodes "plus habituelles chez les organisations mafieuses que chez les révolutionnaires jihadistes", selon CNN (en anglais). 

Oui, sa campagne de communication et de recrutement est efficace

Les sympathisants de l'EI en Europe ne se cachent pas. Des drapeaux noirs avec des inscriptions en arabe, ressemblant à ceux de l'organisation terroriste, ont été accrochés dans un quartier de l'est de Londres, rapportait le Guardian (en anglais) le 7 août. Quelques jours plus tard, des tracts appelant à rejoindre les combattants jihadistes ont été distribués dans la rue la plus commerçante de la capitale britannique, Oxford Street. 

Photos choc publiées sur le compte Twitter du groupe terroriste (aujourd'hui supprimé), vidéos de propagande diffusées sur les réseaux sociaux... La campagne de communication de l'EI est bien rodée. Les jihadistes ont même disposé un temps d'une application mobile, désormais suspendue, pour envoyer des messages à leur vaste réseau, rappelle le Huffington Post. 

Cette propagande a permis au groupe islamiste de recruter 6 000 jihadistes en juillet, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Plus de 1 000 nouveaux combattants sont des étrangers, venus d'Europe, d'Asie ou d'autres pays du Golfe via la Turquie"Le nombre de combattants de l'EI a dépassé les 50 000 en Syrie, dont plus de 20 000 sont non-Syriens", affirme le directeur de l'OSDH. Plus marginal, Atlantico évoque le cas de dizaines de jeunes Occidentales recrutées sur les réseaux sociaux pour se marier et fonder une famille avec les jihadistes

Non, la résistance s'organise sur le terrain

La progression des jihadistes dans le nord de l'Irak est freinée depuis plusieurs semaines par les combattants kurdes, qui constituent le dernier rempart fiable contre l'EI. Les peshmergas, alliés traditionnels des Etats-Unis, contrôlent la région autonome du Kurdistan, qui a accueilli plusieurs dizaines de milliers de réfugiés depuis le début du conflit. Malgré des dissensions historiques avec Bagdad, ils travaillent à présent avec le gouvernement irakien pour contrer la vaste offensive jihadiste. "La collaboration entre les forces irakiennes et kurdes atteint [désormais] des niveaux sans précédent", a estimé une porte-parole de la diplomatie américaine.

Une collaboration qui pourrait s'étendre à la communauté sunnite de l'ouest du pays. Les chefs de plusieurs tribus sunnites ont annoncé, vendredi 15 août, être prêts à travailler avec Bagdad pour lutter contre la progression de l'EI, rapporte la BBC (en anglais). Cette déclaration intervient un jour après l'éviction du Premier ministre chiite Nouri Al-Maliki, détesté des sunnites, qui a ouvert la voie à une coopération renouvelée avec le gouvernement irakien. Les membres de plus de 25 tribus ont déjà pris les armes contre l'EI, dans la province d'Al-Anbar.

Non, les Occidentaux soutiennent la contre-offensive

Les Etats-Unis ont mené près de 70 frappes aériennes contre les positions de l'EI dans le nord de l'Irak, depuis le 8 août. Ces bombardements ont visé les abords du barrage de Mossoul, le plus important du pays, qui a été repris par les peshmergas dimanche 17 août. Les frappes américaines avaient précédemment permis aux Yézidis, une minorité assiégée par les jihadistes dans les monts Sinjar, de fuir vers le Kurdistan irakien.

En parallèle de l'offensive aérienne américaine, la communauté internationale a intensifié le soutien humanitaire et logistique apporté aux peshmergas. La France a livré une première cargaison d'armes aux combattants kurdes, qui seront assistés par des formateurs militaires français, dimanche 17 août. Les autres membres de l'Union européenne se sont, eux aussi, prononcés en faveur de l'armement des peshmergas, alors que le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution pour lutter contre le financement de l'EI, vendredi 15 août. Devant les parlementaires français, le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, a souhaité que tous les pays de la région moyen-orientale, y compris l'Iran, ainsi que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, participent à une action commune contre le groupe terroriste. Les Etats-Unis et l'Europe se refusent, en revanche, à une intervention directe sur le terrain.

Non, Bachar Al-Assad ne détourne plus le regard

Bachar Al-Assad a longtemps ignoré l'avancée de l'EI, allant parfois jusqu'à faciliter sa progression pour lutter contre les rebelles, explique The Independent (en anglais). Mais lorsque les jihadistes ont menacé sa dernière base aérienne dans l'est du pays, dimanche 17 août, l'armée syrienne a changé de stratégie. "Le régime a mené 14 raids sur la ville de Raqqa et 11 sur la ville de Tabqa (...), tuant au moins 31 jihadistes et blessant des dizaines d'entre eux", a indiqué l'OSDH, cité par France 24.

Ces bombardements, qui touchent l'EI "là où il est le plus puissant" selon l'ONG, sont les plus intenses depuis le début du conflit syrien. Un revers militaire en Syrie déstabiliserait les jihadistes, qui font déjà face à une contre-offensive sur le front irakien.

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