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Cinq questions pour comprendre pourquoi une plainte vise les activités du cimentier français Lafarge en Syrie

Le ministère de l'Economie a saisi la justice sur de possibles infractions commises par Lafarge en faisant fonctionner une usine en Syrie, malgré des interdictions européennes. 

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le logo du groupe Lafarge sur les murs d'une usine le 7 avril 2014 à Paris. (FRANCK FIFE / AFP)

Que faisait Lafarge en Syrie jusqu'en 2014 ? Le géant français du ciment fait l'objet d'une enquête à Paris sur ses activités, alors que le pays était en pleine guerre et qu'une série d'interdictions avaient été édictées par l'Union européenne. Il est visé par une plainte de Bercy. Le dépôt de cette plainte a été confirmé jeudi 19 janvier par le ministère de l'Economie.

La polémique a éclaté le 21 juin 2016, au moment de la publication d'une enquête du Monde. Puis, le 17 novembre, l'équipe de "L'Œil du 20 heures" de France 2 a dévoilé des documents sur le même sujet.

1Que reproche-t-on à Lafarge ?

Lafarge est soupçonné d'avoir conclu des arrangements avec le groupe Etat islamique (EI) pour faire fonctionner la cimenterie de Jalabiya en Syrie. Situé dans le nord du pays, cette cimenterie est un investissement phare du groupe dans la région. Lafarge l'a rachetée en 2007 et l'a mise en route en 2011, avec une capacité de production de 2,6 millions de tonnes de ciment par an. Elle a fonctionné ainsi pendant trois ans, puisque le groupe français n'a quitté la Syrie qu'en septembre 2014, soit trois ans après le début de la guerre civile et l'émergence dans le pays du groupe EI.

2Que révèlent les enquêtes du "Monde" et de France 2 ?

Le Monde s'appuie sur les témoignages d'anciens employés et des courriels internes pour révéler de "troubles arrangements", quand l'EI gagnait du terrain et devenait incontournable dans la zone. 

Selon le quotidien, le groupe français a payé des taxes aux jihadistes pour obtenir que ces derniers laissent passer les matériaux nécessaires au fonctionnement de leur usine. Le journal évoque aussi un laissez-passer estampillé du tampon de l'EI, permettant aux camions de circuler pour approvisionner le site, et laissant supposer le paiement de taxes. 

Pour appuyer ses dires, Le Monde diffuse un extrait de courriel entre un intermédiaire et le PDG de la filiale syrienne de Lafarge, puis un autre message, adressé au directeur sûreté du groupe à Paris.

Cinq mois plus tard, l'équipe de "L'Œil du 20 heures" de France 2 révèle des documents qui attestent que l'entreprise a mis en danger des employés et indirectement financé le groupe jihadiste, en maintenant son usine sur place.
Lafarge aurait aussi fait appel à des fournisseurs locaux, eux-mêmes en affaires avec les jihadistes, pour obtenir le pétrole nécessaire pour faire tourner la cimenterie. Dans un email obtenu par France 2, un intermédiaire en lien avec les fournisseurs demande à être payé.

3Sur quoi porte la plainte du ministère de l'Economie ?

La plainte du ministère de l'Economie porte notamment sur cette interdiction d'acheter du pétrole en Syrie. Elle a été édictée par l'Union européenne en 2012, dans le cadre d'une série de sanctions contre le régime de Bachar Al-Assad. La plainte vise aussi l'interdiction de toute relation avec "les organisations terroristes présentes en Syrie".

Cette plainte, confirmée par Bercy, a été déposée fin septembre. Elle a conduit le parquet de Paris à ouvrir une enquête préliminaire en octobre et à saisir le Service national de douane judiciaire.

Les infractions liées à ces restrictions sont prévues par le code des douanes et peuvent être punies d'une peine allant jusqu'à cinq ans de prison et d'une amende.

4Pourquoi une autre plainte a-t-elle été déposée ?

Il n'y a pas qu'une seule plainte dans cette affaire. De son côté, l'ONG Sherpa, qui défend les victimes de "crimes économiques", a déposé une plainte avec constitution de partie civile en novembre. L'ONG s'appuie sur des témoignages d'anciens employés de l'usine.

Cette plainte pour obtenir l'ouverture d'une enquête menée par un juge d'instruction visait plus largement des faits de financement du terrorisme, complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, mise en danger délibéré d'autrui, exploitation du travail d'autrui et négligence.

"Il est temps que Lafarge réponde judiciairement des faits scandaleux qui lui sont reprochés", a affirmé, jeudi, l'avocate de Sherpa. "Nous attendons la désignation d'un juge d'instruction pour que des investigations liées à son comportement en Syrie et ses liens avec l'EI puissent être diligentées dans les meilleurs délais", a ajouté Marie Dosé.

5Quelle est la version de Lafarge ?

LafargeHolcim, issu de la fusion de Lafarge et du Suisse Holcim en 2015, a réagi en novembre, au moment de la plainte de Sherpa. Le groupe avait souligné que cette usine, un "employeur important dans la région", "avait un rôle vital" pour les Syriens, "car elle leur fournissait les matériaux de construction essentiels à leurs besoins en matière de développement et d'urbanisation". "En Syrie comme ailleurs, la priorité du groupe a toujours été la sécurité de nos collaborateurs et de leurs familles", avait-il ajouté.

Même discours devant la caméra des journalistes de France 2, qui se sont rendus au siège de Lafarge, à Paris. L'un des directeurs de l'entreprise avait alors assuré à France 2 que la sécurité des employés avait toujours été une priorité, et qu'un audit était en cours. Pour Lafarge, négocier avec un groupe terroriste est exclu, avait-il insisté.

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