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Non, le Mali n'est pas sorti de la tourmente

L'élection présidentielle réussie, le pays était considéré comme sorti d'affaire. Peut-être un peu trop vite.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des rebelles du MNLA montent la garde devant un bâtiment officiel à Kidal (nord du Mali), le 26 juillet 2013. (REBECCA BLACKWELL / AP / SIPA)

Kidal, Tombouctou, Kati. Trois villes symboles des dix-huit mois de troubles rencontrés par le Mali. La première est le bastion des rebelles touareg, la seconde abritait les mausolées détruits par les islamistes et c'est de la garnison de Kati qu'est parti le coup d'Etat contre Amadou Toumani Touré, président depuis 2002, précipitant la chute du nord du pays en mars-avril 2012.

Cette époque semblait révolue. Cet été, l'élection présidentielle à marche forcée a eu un heureux dénouement : l'humble reconnaissance par le vaincu de la victoire écrasante de son adversaire, Ibrahim Boubacar Keïta (avec 77,61% des voix). "IBK" pouvait maintenant s'employer à la réconciliation nationale. François Hollande n'avait-il pas clamé "victoire" ? Pourtant, quelques semaines après l'investiture du nouveau président, la violence a resurgi subitement dans ces trois villes maliennes. 

Les jihadistes ne sont pas tous partis

Elle a d'abord frappé Tombouctou. La ville, classée au patrimoine mondial de l'humanité, est frappée par un attentat suicide. Samedi 28 septembre, des kamikazes lancent leur véhicule sur un camp de l'armée. Deux civils et les quatre assaillants sont tués. Six soldats sont blessés. La ville n'avait plus été endeuillée par un attentat suicide depuis six mois. L'attaque a été revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

"Tombouctou était le fief d'Aqmi. Ils ont encore des sympathisants, même s'ils ont pu changer de 'look' et retourner au village", explique le politologue Michel Galy. Il souligne d'ailleurs que Tombouctou n'est pas seule concernée : "A Gao, les jihadistes combattants ont une base sociale, ainsi que dans les villages environnants. Ce n'est pas parce que les Français ont vaincu dans l'Adrar des Ifoghas [bastion jihadiste à l'extrême nord du Mali] que tous sont partis. La violence est endémique." Aqmi vient d'ailleurs d'annoncer la nomination de nouveaux dirigeants, après la mort de son chef, Abou Zeid, en février. Michel Galy s'inquiète de la possibilité d'une "guerre nomade" dans plusieurs pays de la région, avec la résurgence d'Aqmi et le soutien d'autres groupes jihadistes, comme Boko Haram.

Les Touareg s'estiment floués

Le lendemain de l'attentat, dimanche, c'est plus au nord, à Kidal, que claquent des coups de feu. Ibrahim Boubacar Keïta vient alors d'entamer un déplacement en France. Pendant deux jours, des rebelles touareg laïques et l'armée malienne s'accrochent à plusieurs reprises. L'ouverture d'une banque gardée par des troupes régulières aurait suscité la colère du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), qui avait déclaré l'indépendance du Nord-Mali après le coup d'Etat. Pour les rebelles, c'est "un symbole du retour de l'Etat malien dont ils ne veulent pas",estime un membre local de l'ONU. Les Casques bleus interviennent. Désormais, ce sont eux qui gardent la banque.

Des troupes touareg fidèles à l'armée malienne, lors de la visite d'un responsable de la Défense, le 27 juillet 2013, à Kidal, dans l'extrême-nord du pays. (REBECCA BLACKWELL / AP / SIPA)

Oumar Keïta, chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et proche du nouveau président, estime que "le MNLA n'est pas dans la réconciliation. Comme ils ont compris qu'IBK est en phase avec Hollande, ils jouent la surenchère, comme toujours, et cherchent à provoquer l'armée." Selon lui, "ils ne sont intéressés que par l'autonomie [du nord du Mali], mais, comme le président l'a dit, il est prêt à tout, sauf à l'autonomie".

En juin, un accord au forceps a été signé à Ouagadougou (Burkina Faso). Il a permis d'organiser au dernier moment l'élection présidentielle. Les rebelles ont accepté de renoncer à l'indépendance, mais des négociations doivent se tenir sur l'avenir du Nord-Mali. Or, "IBK" n'a de cesse de marteler qu'il exclut toute autonomie. Une fermeté qui a conduit le MNLA et les autres mouvements touareg à suspendre leur participation aux "structures de mise en œuvre" de l'accord. "Le MNLA n'a pas renoncé à l'indépendance", analyse Michel Galy. Pour lui, "Kidal est une poudrière" où se côtoient aujourd'hui quatre forces : l'armée nationale malienne, la Minusma de l'ONU, la force Serval et les groupes rebelles touareg.

Les militaires veulent leur part du gâteau

Loin des préoccupations des jihadistes ou des rebelles du MNLA, des militaires maliens ajoutent encore à la confusion. Lundi 30 septembre, dans la garnison de Kati, à 15 km de Bamako, quelques dizaines de soldats tirent en l'air et prennent un homme en otage pendant plusieurs heures. Ce proche du général Amadou Sanogo, leur ancien mentor, est blessé par balle au pied. Or, c'est de Kati qu'était parti, en mars 2012, le coup d'Etat mené par Amadou Sanogo, alors capitaine et depuis promu général quatre étoiles. 

Selon Oumar Keïta, "les militaires veulent leur part du gâteau". Il semble qu'il y ait eu "un deal entre Sanogo et ses militaires. Il ne l'a pas respecté." Ainsi, la nomination du capitaine au rang de général, quelques jours avant l'investiture du nouveau président, aurait fait des envieux. "Ce sont des soldats qui ont fait le coup d'Etat avec lui. Ils estiment que si Sanogo a accepté le grade de général, ils doivent avoir leur promotion aussi."

Dans un communiqué commun après leur rencontre, François Hollande et Ibrahim Boubacar Keïta estiment que "la menace terroriste a subi un coup d'arrêt avec l'intervention franco-africaine", mais ils reconnaissent qu'elle peut encore "chercher à se reconstituer". Juste après son entrevue avec le président français, "IBK" a dû rentrer à Bamako, écourtant de deux jours sa visite en France.

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