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Sexe, basket et Corée du Nord : l'incroyable destin de Dennis Rodman

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le basketteur Dennis Rodman, le 4 mai 1996.  (BETH A. KEISER / AP / SIPA)

Vous avez entendu parler de ses voyages à répétition dans la patrie de Kim Jong-un. Vous saviez peut-être qu'il a été un immense basketteur dans les années 1990. Mais le reste est encore plus croustillant. 

"Il était une fois un taureau baptisé Dennis. Les autres taureaux ne l'aimaient pas trop, à cause de ses cheveux aux couleurs de l'arc-en-ciel, de ses anneaux dans le nez, et du fait que parfois il s'habillait en vache pour tromper les fermiers." Ainsi commence... le livre pour enfants écrit par Dennis Rodman, l'excentrique basketteur américain, cinq fois champion de NBA. Un personnage qui a cumulé les coupes de cheveux improbables, les conquêtes, les avanies, les projets, les gueules de bois, les reconversions étranges et qui se retrouve, mercredi 8 janvier, à chanter au sanglant dictateur nord-coréen, Kim Jong-un, Happy birthday to you, comme Marilyn Monroe devant Kennedy. 

Madonna, Carmen Electra... et Bill Clinton

"Je suis un grand fan de Dennis Rodman." Ce n'est pas Kim Jong-un qui prononce cette phrase, mais le président américain Bill Clinton en 1997. A l'époque, le basketteur est au faîte de sa gloire sportive. Il enchaîne les titres avec la plus grande équipe de tous les temps, les Chicago Bulls, où officie également Michael Jordan. Son job n'est pas de marquer des points – même en bonne position sous le panier, il cherche plutôt la passe pour un partenaire – mais de prendre des rebonds. Sous les paniers, il n'a pas d'égal et devient une pièce maîtresse de l'équipe. Les Bulls ont pourtant longuement hésité à l'embaucher et ont consulté un psychologue pour savoir s'il ne détruirait pas l'harmonie de l'équipe. Sur ESPN (article en anglais), Jerry Reinsdorf, le propriétaire de l'équipe, se souvient de la réponse de l'homme de l'art : "La meilleure façon de contrôler Dennis, c'est de ne pas s'occuper de ce qu'il fait hors du terrain." 

Michael Jordan (à gauche) et Dennis Rodman lors d'un match des Chicago Bulls contre les Washington Capitals, le 17 octobre 1995.  (JONATHAN DANIEL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Hors du terrain, Rodman est déjà une star. Ses cheveux décolorés, tous les mois d'une couleur différente, ses couvertures de magazine en tenue légère, son premier mariage qui a duré 83 jours, son second mariage de cinq mois avec la bimbo d'Alerte à Malibu Carmen Electra, et sa première autobiographie où il raconte son aventure ultra-médiatisée avec Madonna, au début des années 1990. Faut-il préciser que le livre devient en quelques semaines un best-seller ? Il y raconte aussi sa tentative de suicide, en 1993. Au lieu de passer à l'acte, il s'endort au volant de son camion, sur le parking de la salle des Detroit Pistons, son équipe de l'époque, révolver en main. "Ce jour-là, j'ai tué le Dennis Rodman qui essayait de se conformer à l'image que les gens voulaient qu'il ait", écrit-il dans son livre. Livre qu'il dédicacera déguisé en mariée, en arrivant en calèche dans une librairie new-yorkaise.

"Je sais que je vais m'écraser"

"Pendant toute sa vie adulte, Rodman a oscillé entre l'enfant sage et l'adolescent auto-destructeur", résume le New York Times (article en anglais), dans un portrait de l'ex-basketteur en 2003. Une fois retiré des parquets de NBA, c'est l'adolescent auto-destructeur qui prend le dessus. Il ne parvient pas à percer au cinéma, malgré deux premiers rôles : dans Simon Sez : sauvetage explosif, un nanar improbable où figure Filip des 2Be3 et Emma Sjöberg, connu pour avoir incarné la blonde explosive Petra dans la saga Taxi ; et dans Double Team, où il partage la vedette avec Jean-Claude Van Damme.



La lente descente aux enfers ne fait que commencer. Au début des années 2000, il fait parler de lui à la rubrique des faits divers. Il pilote, sous l'emprise de drogues, son bateau – sobrement baptisé Sexual Chocolate. Il se blesse en tentant une acrobatie sur une moto qu'on venait de lui prêter, à 7 heures du matin après une nuit de beuverie. "Comme d'habitude, Dennis n'a blessé que sa personne", minimise son porte-parole. Il envisage de changer son nom en "The Orgasm", idée rapidement abandonnée. Rien que pour l'année 2003, il reçoit à cinquante reprises la visite de la police pour tapage nocturne, relève le Guardian (article en anglais). Encore une provocation ? Il met en vente sa maison de Las Vegas l'année suivante, arguant que "les voisins font trop de bruit"
 
Dennis Rodman est même secouru par une fan qui paye la moitié de son plein d'essence alors qu'il participe à un rallye de charité au volant de sa Lamborghini. "Je sais que je vais m'écraser. Je n'aurai plus d'argent. Plus personne ne s'intéressera à moi. Mais, au fond de mon cœur, je saurai que j'aurais vécu la vie que j'ai voulue", confie-t-il dans un portrait pour la chaîne américaine ESPN.

59 000 dollars pour 15 minutes sur le parquet

Pour continuer à organiser des fêtes fastueuses, il cachetonne. Pour une apparition à un match du championnat finlandais, par exemple. Grâce à lui, l'affluence de l'épreuve est battue ce jour-là. Pour 59 000 dollars, Rodman doit contractuellement jouer au moins 15 minutes. Totalement hors de forme, ayant fait la fête jusqu'à 5 heures du matin la veille, il parvient à marquer 17 points, raconte Sports Illustrated (article en anglais). Une apparition dans l'émission de téléréalité "Big Brother", où on le voit fumer comme un pompier, ne l'empêche pas de décrocher une pige aussitôt après dans un club anglais. Suivent une deuxième émission de téléréalité, Celebrity Rehab, sur son alcoolisme, puis un job de coach d'opérette d'une équipe de starlettes topless dans un cabaret...

Les pensions alimentaires et les condamnations en justice s'accumulent. A 50 ans, Rodman est officiellement ruiné. L'argent lui brûle les doigts : pour chaque apparition à un événement, il demande 20 000 à 40 000 dollars. Une convention de zombies ? Rodman y va. Une inauguration de casino ? Rodman est libre. Faire la promotion d'une suite hyper-luxueuse qui coûte 50 000 dollars la nuit ? Rodman est partant. "Je déteste ce genre de shows, confie pourtant l'ex-basketteur à Sports Illustrated (en anglais). Les promoteurs abusent du fait que je suis toujours vivant." 

La "diplomatie du basket" comme bouée de sauvetage

Le retour de flamme intervient en février 2013, quand la chaîne HBO et le magazine Vice l'emmènent, moyennant un gros chèque et flanqué des Harlem Globe Trotters, en Corée du Nord, où les dirigeants sont dingues de NBA depuis plusieurs générations. Manifestement peu briefé sur la géopolitique du coin, Rodman demande, sur Twitter, "s'il va rencontrer là-bas le type qui a fait Gangnam Style." Psy, vexé, lui répond "je suis du SUD, mec !" et le buzz est lancé.
 
Lors de son retour en Corée du Nord, Rodman se lie avec le dirigeant du pays, Kim Jong-un, dont il devient le grand ami, au point d'être le premier à révéler que le dictateur a une fille.
 
Il se grime aussi en homme-sandwich. Le bookmaker Paddy Power finance le voyage et lui octroie un joli cachet, une marque de pistaches le sollicite pour un spot improbable et il profite de l'intérêt qu'il suscite pour glisser une allusion... à sa marque de vodka. "Tout le monde sait que le président Obama boit de la bière. Mais il doit bien s'enfiler un petit cocktail de temps en temps, non ? J'aimerais tant le voir avec Kim Jong-un, autour d'un verre de Bad Ass Vodka." Deux caisses de ladite vodka ont été bues lors du banquet concluant la visite de Dennis Rodman dans le pays, fin décembre. L'autre chose qu'on sait de ce repas est que Rodman a repris, a capella et un rien imbibé, la chanson My Way
Dennis Rodman présente les photos de sa rencontre avec Kim Jong-un, le 7 septembre 2013 à l'aéroport de Pékin.  (KIM HYUNG HOON / REUTERS)
 
La "diplomatie du basket" est née. Elle est mal vue par la Maison Blanche et raillée par la quasi-totalité des spécialistes en géopolitique, sauf par l'ancien chef analyste de la CIA dans la région, relève le Union Tribune of San Diego (article en anglais). Elle n'empêche pas Kim Jong-un de menacer régulièrement les Etats-Unis de bombardement nucléaire, mais Rodman n'en a cure.
 
Le 7 janvier 2014, le basketteur est à nouveau au centre de l'attention, pour quelques jours encore, puisqu'il est de retour à Pyongyang pour fêter l'anniversaire de Kim Jong-un. "C'est mon ami et je l'aime", commente Dennis Rodman avant son départ. Et dire que rien de tout cela ne serait arrivé si Michael Jordan, le premier choix des Nord-Coréens, avait accepté leur invitation. 
 

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