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Les mystérieuses vidéos de l'avocate du père de Merah peuvent-elles être prises au sérieux ?

Zahia Mokhtari était attendue à Paris jeudi pour remettre à la justice les deux vidéos qui auraient été filmées par le tueur au scooter. Elle a finalement décidé de les "mettre de côté pour le moment".

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'avocate du père de Mohamed Merah, Zahia Mokhtari, à Alger (Algérie), le 29 mars 2012.  (FAROUK BATICHE / AFP)

Elle aurait en sa possession des "pièces à conviction", dont des vidéos, mais ne veut "pour le moment" pas toutes les remettre au parquet. Zahia Mokhtari, l’avocate algérienne du père de Mohamed Merah, était attendue à Paris jeudi 12 juillet. "Je vais mettre les vidéos de côté pour le moment et les remettrai en temps opportun. Nous avons suffisamment d'éléments dans le dossier et nous en remettrons de nouveaux à la justice française", a déclaré Me Zahia Mokhtari.

Ces deux vidéos auraient été filmées par le tueur au scooter pendant l’assaut du Raid à Toulouse. Celles-ci seraient en "totale contradiction" avec les extraits audio des conversations entre Mohamed Merah et les policiers diffusés par TF1 et authentifiés par la justice.

L'avocate se dit ainsi "étonnée par le timing choisi" pour la diffusion de ces enregistrements, quelques jours avant son arrivée en France. Pour Zahia Mokhtari, "des personnes dans l’ombre s’agitent". Que contiendraient ces mystérieuses vidéos ? Pourquoi la justice française s’y intéresse-t-elle, bien qu’elles soient sujettes à caution ? FTVI démêle l’imbroglio.

• Que sont censées montrer ces deux vidéos ?

D'une durée de vingt minutes chacune, elles prouvent, selon Zahia Mokhtari, que Mohamed Merah "a été manipulé et utilisé dans ces opérations par les services français et a ensuite été liquidé pour que la vérité ne voie pas le jour". Leur transcription a été publiée mi-juin par le quotidien algérien Echourouk et traduite par plusieurs médias français, dont Mediapart, qui en publie l’intégralité.

Mohamed Merah y parle avec un certain Zouheïr : "Comment veux-tu m'aider alors que c'est toi qui as tout préparé Capitaine Jossaïr. Je sais que tu ne t'appelles pas Zouheïr comme tu me le faisais croire. Tu es un traître. Tu as trahi ta religion et les tiens." Plus tard : "C'est haram [péché] ce que t'as fait Zouheïr. Tu m'as envoyé en Irak, au Pakistan, en Syrie pour aider les musulmans, et à la fin je m'aperçois que tu es un criminel et officier des services secrets. Je ne pensais pas que tu étais comme ça."

Le tueur au scooter clame son innocence. "Je n'ai rien fait. Pourquoi voulez-me tuer ? Je suis innocent. Je suis innocent." Selon cette transcription, Mohamed Merah se filme régulièrement en train de pleurer, de parler et de réciter des versets du Coran. Il est vêtu d'une sorte de djellaba et saigne de l’épaule gauche. Le tout est régulièrement ponctué de bruits de tirs.

• Pourquoi sont-elles sujettes à caution ?

Hormis Zahia Mokhtari, personne ne dit avoir vu ces vidéos, pas même sa consœur française, Isabelle Coutant-Peyre, elle aussi avocate du père de Mohamed Merah. A tel point que la justice doute de leur existence. La personnalité controversée de Me Mokhtari n'arrange rien. Selon Le Figaro, l'avocate est très peu connue à Alger et jugée proche d'anciens membres du GIA (Groupe islamique armé). 

Autre doute de taille : "D’où viennent ces prétendues vidéos, par quelles voies ont-elles été obtenues et qui aurait fourni Mohamed Merah] un téléphone portable pour se filmer ?" s’interrogent des sources policières. Selon l'enquête, "Merah n’avait ni téléphone portable, ni ordinateur, ni appareil photo" ou caméra dans son appartement au moment de l’assaut. Il communiquait avec le Raid au moyen d’un talkie-walkie"Des personnes au cœur de l'évènement, et qui voulaient que la vérité éclate, m'ont remis ces vidéos", a assuré Zahia Mokhtari.

En outre, "l’esprit des propos retranscrits [à partir des vidéos] est en totale contradiction avec tout ce que Mohamed Merah a pu exprimer, soulignait dans Libération un chef d’enquête. Il n’a jamais pleuré. Il n’y a jamais eu de Zouheïr. Il n’a jamais dit 'je suis innocent'. Il a répété : 'C’est moi qui les ai tués et je voulais en tuer plus encore'." Une version confirmée par les extraits diffusés par TF1 et d’autres médias, dont Libération et Le Monde (article réservé aux abonnés). Des extraits qui tendent également à prouver que Merah s’est joué des services de renseignement et non l’inverse. Une hypothèse reste envisagée : devinant qu’il allait être repéré, Mohamed Merah aurait réalisé lui-même ce montage, avant de l’envoyer à sa famille.

• Pourquoi la justice s’y intéresse-t-elle quand même ?

Dans une affaire aussi sensible, de telles allégations méritent d’être vérifiées. Le parquet a ainsi immédiatement demandé à l’avocate algérienne de lui communiquer ces vidéos. Leur contenu, si elles existent bel et bien, sera comparé avec les transcriptions des enregistrements actuellement en possession de la justice.

Au total, quatre heures et demie de communication entre Mohamed Merah et les policiers ont été versées au dossier d’instruction, sur trente-deux heures de siège. Selon Marie-Laure Ingouf, avocate d’Atim Ibn-Ziaten, frère du premier militaire assassiné par le tueur, les extraits diffusés par TF1 ne reflètent pas intégralement la tonalité de l’échange. On y entend un Mohamed Merah "extrêmement sûr de lui, et un agent qui a l'air d’un bras cassé, un magnifique fusible", dit-elle en faisant référence à l'officier de la DCRI à Toulouse qui avait reçu Merah en novembre 2011.

Dans le reste des 150 pages de retranscription, le jeune Toulousain apparaît, selon l’avocate, "beaucoup moins sûr de lui et très vexé que la DCRI soit remontée jusqu’à lui. A l’inverse, on est face à un négociateur arrogant." Marie-Laure Ingouf et son confrère Jean Tamalet ont porté plainte contre la chaîne pour violation du secret de l’instruction et se réjouissent de l’arrivée de Zahia Mokhtari en France. "S'il y a un dossier dans lequel le pragmatisme doit prévaloir jusqu’au bout, c’est bien celui-ci. Il faut pouvoir fermer au fur et à mesure toutes les portes", insiste l'avocate, qui espère pouvoir visionner ces fameuses vidéos. Avec un seul objectif : "Obtenir la vérité pour les familles des victimes."

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