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"Les jihadistes solitaires se multiplient"

Louis Caprioli, ancien de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et spécialiste des réseaux islamistes, réagit aux derniers rebondissements de l'affaire Mohamed Merah, aux démantèlements de filières islamistes et à ces terroristes qui agissent seuls.

Article rédigé par Nora Bouazzouni
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Umar Farouk Abdulmutallab, un étudiant nigérian de 23 ans qui a tenté de faire sauter un vol Amsterdam-Detroit en 2009, a été formé dans un camp yéménite d'Al-Qaïda. (ABC NEWS / AFP)

Louis Caprioli a été sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire (DST, devenue DCRI) de 1998 à 2004. Spécialiste des réseaux islamistes en Afrique du Nord et en Europe, il est aujourd'hui conseiller spécial chez Geos, société de sécurité privée.

Il réagit aux derniers rebondissements de l'affaire Mohamed Merah, ainsi qu'aux démantèlements de filières islamistes.

FTVi : Le quotidien Nice Matin a révélé lundi 26 mars qu'une trentaine de jeunes de la région niçoise avaient été arrêtés fin 2011 alors qu'ils devaient rejoindre l'Afghanistan. Ils avaient été recrutés par un braqueur devenu prédicateur d'un islam radical. Ces filières démantelées, dont France Soir dresse la liste, sont-elles inquiétantes ?

L.C. : Cela dépend par qui ces gens sont pris en charge sur place, ainsi que de leur niveau de contact là-bas. Soit ils vont simplement étudier dans des madrasa, des écoles coraniques, soit ils ont réellement des contacts au sein de filières comme Al-Qaïda, le Mouvement islamique d'Ouzbékistan ou Tehrik-e-Taliban Pakistan, qui a des moyens considérables et tue des milliers de personnes depuis sa constitution en 2007.

Dans ce dernier cas, ils sont hébergés dans des camps où ils vont suivre une formation religieuse, un endoctrinement permanent, un vrai lavage de cerveau, ainsi qu'un entraînement physique. On va aussi leur apprendre à fabriquer des explosifs, par exemple avec des produits vendus en grande surface, et des systèmes de mise à feu. Ils recevront aussi des formations de surveillance. Mais pour ça, il leur faut des moyens.

A la fin de la semaine s'ouvre à Paris le procès d'Adlène Hicheur. Incarcéré depuis 2009, ce physicien du Centre européen de recherche nucléaire (Cern) est jugé pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", rapporte RTL. Ce genre de procédure préventive va-t-il se généraliser ?

Il y a un vrai paradoxe : d'un côté, les gens ne sont pas d'accord avec le fait qu'on interpelle des gens qui "n'ont rien fait" et de l'autre, ils reprochent aux services de renseignement français de n'avoir pas arrêté quelqu'un comme Mohamed Merah avant son passage à l'acte.

On sait qu'Adlène Hicheur échangeait des courriers électroniques avec un cadre d'Al-Qaïda au Maghreb islamique [et qu'un attentat contre le 27e bataillon de chasseurs alpins de Haute-Savoie était en projet, selon les enquêteurs]. Malgré ce qu'affirme son avocat, les enquêteurs doivent bien avoir vu des choses dans ces e-mails, sinon il ne serait pas jugé.

Mohamed Merah se serait "autoradicalisé", sans être passé par les filières classiques. Ce type de "loup solitaire" peut-il se multiplier ?

Dans le cas de Merah, l'obstacle, c'est qu'il n'était pas en relation permanente avec des filières. Il aurait commis ses attentats seul, mais ses voyages laissent penser qu'il a peut-être eu des contacts sur place, qu'il a peut-être bénéficié d'un soutien logistique.

On sait par ailleurs qu'Olivier Corel, "l'émir blanc", un salafiste français né en Syrie, a reçu chez lui les frères Merah quelques semaines avant les premiers meurtres. En 2007, il a été placé sous contrôle judiciaire et mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", mais a bénéficié d'un non-lieu. Il serait le chef d'une filière d'acheminement de jihadistes de la France vers l'Irak. On lui reproche d'avoir radicalisé de nombreux jeunes partis au Moyen-Orient.

Dans les années 1990-2000, on avait identifié des réseaux de 6 à 10-15 personnes. On pouvait déjouer des attentats, deux à trois par an, quand j'étais à la DST. Mais aujourd'hui, si quelqu'un agit seul, n'a pas d'activité téléphonique ni électronique par exemple, si c'est l'encéphalogramme plat, on ne peut pas le savoir.

Et ces "solitaires" se multiplient : Richard Reid, arrêté fin 2001 pour avoir tenté de faire sauter un vol Paris-Miami avec des chaussures piégées ; Malik Nadal Hasan, qui a tué 13 personnes dans la base militaire de Fort Hood en 2009 ; ou encore Umar Farouk Abdulmutallab, qui a dissimulé des charges dans ses sous-vêtements pour essayer de faire exploser un vol Amsterdam-Detroit fin 2009.

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