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Cocaïne volée au 36 quai des Orfèvres : "Le '36' vit une crise, mais il a vécu bien pire"

Malgré l'onde de choc suscitée par le vol de plus de 50 kg de cocaïne au siège de la police parisienne et la garde à vue d'un policier de la brigade des stups, un spécialiste de l'histoire de la police explique à francetv info que l'institution en a vu d'autres.

Article rédigé par Vincent Daniel - propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Devant l'entrée du 36, quai des Orfèvres, à Paris, le 31 juillet 2014. (PIERRE ANDRIEU / AFP)

Ne pas laisser s'étendre le soupçon sur l'ensemble du "36". Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a demandé à l'IGPN (la police des polices), lundi 4 août, un audit de la brigade des stupéfiants après l'affaire du vol présumé de plus de 52 kg de cocaïne placés sous scellés au siège de la police judiciaire parisienne. En garde à vue prolongée, le policier des stups soupçonné d'avoir volé la cocaïne au 36 quai des Orfèvres continue de nier. 

Cette affaire est un coup de tonnerre pour l'institution policière, dont la réputation a déjà été ternie cette année. En avril, deux policiers accusés par une touriste canadienne de viol au sein même du siège légendaire et centenaire de la police judiciaire (PJ) parisienne ont été mis en examen pour viol en réunion. Ces affaires signent-elles la fin du 36 quai des Orfèvres ? Pas si sûr, car l'institution en a vu d'autres, comme l'explique Matthieu Frachon à francetv info. Ancien journaliste, spécialiste de l'histoire de la police, il a notamment écrit 36 quai des Orfèvres, des hommes, un mythe (Ed. du Rocher).

Francetv info : Cette affaire écorne l'image de la police judiciaire et du mythique 36 quai des Orfèvres... 

Matthieu Frachon : Il faut d'abord se montrer prudent. A ce stade de l'enquête, un policier est en garde à vue. Tant que l'enquête n'est pas terminée, il est très difficile d'en tirer des conclusions. Après, bien entendu, cette affaire est grave. Cinquante-deux kilos de cocaïne, ce n'est pas une boîte à gratter qui a disparu du bureau du directeur... Et en même temps, c'est un épiphénomène, si l'on prend du recul. 

Manifestement, ce vol ne peut avoir été commis que par un policier. Reste maintenant à savoir s'il a bénéficié de complices. Ou bien s'il y a eu négligence dans l'accès à la salle des scellés, puisque seuls quelques fonctionnaires sont autorisés à garder les clés... Il est donc normal qu'on parle beaucoup de cette affaire car il s'agit de policiers. Ils doivent être exemplaires. Mais cela ne doit pas masquer la façon dont les policiers travaillent et cela ne permet pas de généraliser en disant "tous pourris". 
 
Pour autant, le "36" fêtait l'année dernière ses 100 ans en grande pompe, avec des soirées et une exposition. En 2014, deux policiers de la PJ parisienne ont déjà été mis en examen pour "viol en réunion"... 
 
Certes, le "36" vit une crise, mais il a vécu bien pire. Je pense à la crise qui a suivi la fusillade de la rue du Docteur-Blanche en 1986 avec le Gang des postiches. Quand, à la suite d'une enquête interne, on s'est rendu compte qu'il y avait quasiment un groupe de braqueurs policiers qui étaient répartis entre la brigade de répression du banditisme et l'antigang. Il y a aussi eu les boulettes et les bavures. En 1975, plusieurs innocents ont été flingués "par erreur" par des gens de l'antigang.
 
Cela me semble donc d'une autre dimension si l'on prend du recul. Le "36" en a vu d'autres. Mais là, on est dans le "chaud", le moment où l'affaire éclate, donc l'ampleur prise par sa révélation est normale. Le recul viendra après.  

Les policiers que je rencontre, notamment des policiers qui ont travaillé à l'antigang dans une période où ils étaient sous le feu des projecteurs, me disent qu'ils ont l'habitude d'être encensés un jour et descendus en flammes le lendemain. Et dans les années 70, les descentes en flammes étaient beaucoup plus violentes. Certains journalistes n'hésitaient pas à traiter des policiers d'assassins. C'est le lot de toute institution policière, quelle qu'elle soit.

Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a réclamé un audit de la brigade des stupéfiants du 36 quai des Orfèvres. Que peut-on en attendre ? 

L'audit devra répondre à des questions posées par cette affaire, notamment sur la sécurité de la salle des scellés et son accès. Il y aura des sanctions. A de rares exceptions près, l'institution policière n'est pas très tendre avec ses brebis galeuses. Il y a cette notion d'exemplarité. 

Par ailleurs, les locaux du "36" sont obsolètes, ils ne sont absolument pas adaptés à un travail de police moderne et au service de police judiciaire qui traite le plus grand nombre d'affaires en France. Il va d'ailleurs être abandonné dans les années qui viennent. C'est un très vieux bâtiment, une ancienne caserne qui a été affectée à titre provisoire en 1888. Certes, aujourd'hui, on ne rentre plus au "36" comme dans un moulin, comme cela a pu être le cas à une époque. Mais cela reste des bureaux totalement vétustes, des enfilades de couloirs, des locaux qui n'ont pas la sécurité adéquate.

Peut-on envisager la dissolution du "36" ?

Dézinguer le "36", c'est un vieux serpent de mer, mais c'est très loin de la réalité... L'idée de casser le "36" traîne dans l'air depuis très longtemps. Dès la IIIe République, en 1871, l'idée est au départ de dissoudre la préfecture de police de Paris. Cela va être la même chose dans les années 20, puis après la seconde guerre mondiale, idem après l'affaire Ben Barka en 1965, etc. 

Nous sommes dans un Etat jacobin, centralisateur. Paris est tellement particulier. Le banditisme, le centre de la voyoucratie, les grosses affaires sont à Paris et en région parisienne. Le démantèlement du "36" passerait par celui de la préfecture de police de Paris [seule Marseille bénéficie également d'une préfecture de police depuis 2012], ce qui est improbable, car le ministère de l'Intérieur devrait gérer directement la sécurité de Paris. 

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