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Présidentielle : "Marine, elle vous salue", la journée noire d'Emmanuel Macron sur le site de Whirlpool à Amiens

En déplacement à Amiens, mercredi, pour discuter de l'avenir de l'usine Whirlpool, le candidat d'En marche ! a vécu une journée délicate, entre une visite surprise de Marine Le Pen et un accueil hostile des salariés de l'entreprise, menacés de délocalisation en Pologne.

Article rédigé par Sophie Brunn
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Emmanuel Macron, le candidat d'En marche ! discutent avec les salariés de l'usine Whirlpool à Amiens (Somme), le 26 avril 2017. (THIBAULT CAMUS / AP / SIPA)

Il n'avait probablement pas prévu une journée aussi mouvementée. Après quasiment quarante-huit heures de diète médiatique, Emmanuel Macron a décidé de remettre sa campagne dans le sens de la marche à Amiens (Somme), sa ville natale, là même où il a lancé sa course à l'Elysée il y a près d'un an. Objectifs : relancer sa campagne après les couacs liés à son discours de victoire au premier tour de l'élection présidentielle et son dîner polémique à La Rotonde, une brasserie parisienne.

Il est un peu plus de midi quand Emmanuel Macron arrive à la chambre de commerce et d’industrie dans le centre-ville d’Amiens, mercredi 26 avril. Il a rendez-vous avec l’intersyndicale de Whirlpool. Le groupe américain a annoncé en janvier son intention de cesser la production de sèche-linge au 1er juin 2018, pour la délocaliser en Pologne. Le fondateur d'En marche ! s’engouffre dans la salle où l’attendent les représentants des salariés.

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A ce moment, aucune rencontre avec les salariés sur le site de l'usine n'est inscrite à son agenda. Un délégué syndical lui demande pourquoi. "Parce que la direction de Whirlpool s’y oppose", répond l'équipe du candidat. D’après Cécile Delpirou, la déléguée CGC, Emmanuel Macron assure qu'il est prêt à s’y rendre si l’intersyndicale le souhaite. Le rendez-vous est donc pris pour 14h30. 

Mais quelques minutes plus tard, Cécile Delpirou est prévenue par un collègue présent sur place : Marine Le Pen vient d’arriver devant l’usine. Elle coupe la parole à Emmanuel Macron pour l’en informer.

Il a eu l’air surpris, comme on l’était tous. Personne n’était au courant.

Cécile Delpirou, déléguée CGC de Whirlpool

à franceinfo

Face au coup de com de Marine Le Pen, Emmanuel Macron et son équipe de communicants ne laissent rien paraître. A quelques kilomètres de là, la candidate du Front national enchaîne les selfies devant les caméras de BFMTV, seule chaîne prévenue de cette visite surprise. Face à la presse, le candidat d'En marche assène : "Je me réjouis que Marine Le Pen se rende à Amiens, assure-t-il. Elle y est la bienvenue. Moi, je ne suis l’héritier d’aucun château ni d’aucun système." Et de justifier pourquoi, lui, a souhaité rencontrer l’intersyndicale, "exemplaire" dans cette affaire, plutôt que de se rendre sur place. A la sortie, son porte-parole Benjamin Griveaux commence à attaquer Marine Le Pen. "Elle fait des selfies plutôt que chercher des solutions, les coups de com, ça ne suffit pas."

Pneus brûlés, cohue et huées

Il est presque 15 heures et sur l’allée qui mène à l’entrée de l’usine Whirlpool, il règne une drôle d’ambiance. Les ouvriers ont installé un piquet de grève depuis trois jours, mais luttent depuis des mois contre la délocalisation du site en Pologne. Des pneus brûlent, à côté d’un cercueil à l’image de l’usine. Et un container aménagé pour l’émission "Envoyé spécial" est posé non loin. Quand Emmanuel Macron arrive, la cohue est immédiate : 200 journalistes ont été accrédités pour ce déplacement. Le candidat peine à avancer parmi eux.

"On va voter pour qui ? Pas pour lui !" crie un homme dans la foule. Puis très vite, des sifflets. Certains salariés étaient déjà là trois heures auparavant, avec la présidente du FN. "Je ne suis pas surprise de l’accueil de Marine Le Pen, soupirait un peu plus tôt Cécile Delpirou. La Picardie vote massivement FN, vous êtes ici sur un site où les gens sont désespérés, un salarié sur deux vote pour elle."

Interrogé sur ce mauvais accueil, à l’opposé de celui de la candidate du FN, Emmanuel Macron fait mine de s’énerver contre la presse.

Continuez à faire les images qui font grandir Marine Le Pen. Moi, je ne suis pas venu sur le dos de l’intersyndicale.

Emmanuel Macron

sur le site de Whirlpool

"Vous sentez les odeurs, M. Macron ? Ce sont les odeurs du monde du travail", l’interrompt un salarié. Les pneus en feu dégagent une épaisse fumée noire. Emmanuel Macron essaie de répondre, mais sa voix se perd dans la cohue des journalistes. Son service d’ordre est obligé de jouer des coudes pour laisser péniblement approcher une salariée qui souhaite lui parler. Finalement, il commence à dialoguer avec certains d’entre eux, depuis le container d’"Envoyé spécial". Les sifflets se sont calmés. Un syndicaliste lui propose alors de rentrer dans l’usine sans les journalistes, pour échanger plus au calme. Le candidat accepte. Il y passe presqu’une heure.

"Je ne suis pas venu vous faire de la démagogie"

Emmanuel Macron passe la grille et se retrouve face à une trentaine de salariés, bien décidés à en découdre. La presse suit l’échange, diffusé en live sur Facebook, à distance. "Vous avez une intersyndicale qui a pris ses responsabilités, commence Emmanuel Macron. Vous ne retrouverez jamais chez moi le comportement clientéliste de Marine Le Pen, je verrai toujours d’abord les syndicats." Pendant environ une heure, le candidat défend pied à pied sa vision du dossier et ses propositions, face à des salariés qui ne cachent pas leur colère. "Vous venez prendre des voix entre les deux tours de l’élection", lui reproche l'un d'eux. "Marine, elle vous salue", lui lance un autre. Emmanuel Macron le répète à plusieurs reprises : "Je ne suis pas venu vous faire de la démagogie."

De fait, comme il ne souhaite pas "faire de promesse en l’air", il est loin de rassurer les salariés. Pas de suppression de la mondialisation ou d’interdiction de licenciements dans ses propos. Il tente d'argumenter sur le fond, en expliquant que la fermeture des frontières aurait des conséquences catastrophiques. Et cite en exemple leurs collègues de l’usine de Procter d’Amiens, qui, à quelques kilomètres de là, exporte 80% de sa production. Il reconnaît que le redressement de la France "prendra du temps et sera difficile", mais se dit prêt à "revenir pour rendre des comptes". "Récupération politique !", crie un salarié. Mais Emmanuel Macron ne se démonte pas.

Vous croyez que ça me fait pas mal aux tripes que le FN soit en tête sur mes terres?

Emmanuel Macron

aux salariés de Whirlpool

S’il tente de faire de la pédagogie, le candidat d'En marche ! n'évite pas quelques gaffes. "Quand j’étais ministre, j’ai géré le dossier de Goodyear." "Houuuuu, on voit où ça a mené", tance un ouvrier. Et quand il cite l’exemple d’Amazon, qui investit dans la région et crée des emplois, la réponse fuse : "C’est pour les jeunes, nous on a 50 ans !" C’est au tour de François Ruffin, le réalisateur du documentaire Merci patron !, par ailleurs candidat aux législatives pour la France insoumise, de l’apostropher. "La mondialisation, ça ne peut pas être positif, je ne peux pas le ressentir comme ça ici !", martèle-t-il. Des salariés applaudissent.

Emmanuel Macron répète les engagements pris devant l’intersyndicale : refuser d’homologuer tout plan social qui ne serait pas à la hauteur. Et chercher un repreneur. Mais cette dernière idée, plus personne ne semble y croire sur le site. Au bout de quarante minutes d'échanges, Emmanuel Macron serre des mains, puis repart, sans se faire huer.  Interrogé sur l'âpreté de cet échange, il répond : "Ce qui est dur, c’est ce qu’ils vivent. Je n’ai sans doute pas convaincu tout le monde, mais j’ai 15 jours pour le faire. Moi, je ne fais pas des coups, Marine Le Pen n’a rien proposé. On doit regarder cette colère en face."

"On va essayer Marine"

Sur le parking, Christelle, Sabine et Lionel discutent, l’air fatigué. Elles ont vingt ans de maison derrière elles, Lionel, lui, y a déjà passé trente-huit ans. Depuis lundi, il passe la nuit sur le piquet de grève, à l’entrée du site, pour éviter que la direction ne vide l’usine. Il a la voix éraillée et les yeux fatigués. Que pensent-ils de cette journée ? "Ça va vous faire du papier. Et nous, une médiatisation comme jamais, c’est bien", sourit Lionel. "Mais ça ne changera rien à la délocalisation", reprend Christelle. Et Emmanuel Macron ? Dans l’ensemble, les salariés lui reconnaissent un certain courage d’être venu sur place, et d’y avoir passé du temps. "Il ne nous a pas fait de promesses, il va voir ce qu’il peut faire, souffle Lionel. Moi, je lui ai dit, c’est maintenant, pas dans six mois que ça se joue pour nous ! Il y a longtemps qu’il aurait dû venir ici."

Si c’est sa ville natale, pourquoi il est pas venu plus tôt ? C’est pour ça qu’il a été sifflé, c’est normal.

Lionel, salarié Whirlpool

à franceinfo

Et Marine Le Pen, pourquoi a-t-elle bénéficié d'un tel accueil ? "Elle est plus aimée, plus simple. Elle est un peu de 'notre côté', entre guillemets", pense Sabine. Tous trois savaient déjà pour qui voter au second tour, et la journée d’aujourd’hui n’y changera rien. "On va essayer Marine, confie Lionel. Et pourquoi pas ? Ça peut pas être pire de toute façon, la France, elle est dans le trou.

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