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Présidentielle : dans le village d'Ecuelle, personne n'a voulu se mettre En marche !

Au premier tour de l'élection présidentielle, les 78 électeurs de ce bourg de Haute-Saône ont majoritairement voté pour Marine Le Pen et n'ont pas donné une seule voix à Emmanuel Macron.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'entrée du village d'Ecuelle (Haute-Saône), le 24 avril 2017. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCEINFO)

Lorsqu’ils ont procédé au dépouillement dans l’unique bureau de vote du village, dimanche 23 avril, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, ils ont préféré en plaisanter. "Vous n’avez pas bourré l’urne quand même ?", se souvient d’avoir demandé à ses assesseurs le maire, Daniel Sarrey, un brin gêné, mais pas vraiment surpris. A Ecuelle, petit bourg de Haute-Saône, à la frontière entre Franche-Comté et Bourgogne, Marine Le Pen a remporté 64,7% des suffrages, soit 33 voix sur les 52 votants. Emmanuel Macron, lui, est reparti bredouille.

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Neuf voix sont allées à François Fillon, quatre à Jean-Luc Mélenchon, trois à Nicolas Dupont-Aignan, une à Benoît Hamon et une à Jean Lassalle. On compte aussi un bulletin blanc, et 26 électeurs – un tiers des inscrits – se sont abstenus. Comment expliquer ce choix si tranché ? Dans la bouche des habitants, toujours la même expression : "Le ras-le-bol".

Un sentiment d'abandon

"Quand on vote Marine Le Pen, c’est pas à 100% pour elle, c’est surtout contre les autres", analyse Marcel, qui a eu 92 ans le jour du premier tour. "Les villes sont en train de tuer les campagnes. Les petits commerçants, les exploitants agricoles ferment et ne peuvent plus céder leurs affaires. Les jeunes partent travailler à la ville, là où il y a des emplois. Les vieux qui restent, comme moi, se retrouvent tout seuls."

Marcel, un habitant d'Ecuelle (Haute-Saône), le 24 avril 2017. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCEINFO)

Si Marcel ne veut pas dire pour qui il a voté, ses propos trahissent son sentiment : "On est en train de livrer la France à tout le monde." Pour lui, le second tour est joué d'avance : "Quand Macron va arriver à l'Elysée, il va faire la même chose que les autres qui l'ont précédé."

"Avec lui, on est reparti pour cinq ans de Hollande"

Geoffrey, lui, ne fait pas mystère de son vote. "J'ai voté Marine Le Pen. C’était la première fois et c'était pas de gaieté de cœur. Si rien ne va, ni à gauche ni à droite, il faut essayer autre chose, se défend le facteur de 24 ans. J’ai toujours voté à droite. Mais Fillon, ce n’était pas possible à cause de toutes ses affaires. Ç'aurait été Sarkozy, j’aurais revoté pour lui." Quant à voter Emmanuel Macron, il ne l'a même pas envisagé : "Il était dans l’équipe d’avant. Avec lui, on est reparti pour cinq ans de Hollande."

Geoffrey, 24 ans, a voté pour Marine Le Pen au premier tour. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCEINFO)

"Ils n’ont rien compris", peste Guy, 72 ans, accoudé à son portail. Il se désole du vote de ses voisins. Ce retraité d'EDF est l’un des quatre électeurs d’Ecuelle à avoir choisi Jean-Luc Mélenchon.

J’ai toujours été de gauche. J’ai été ouvrier, donc je n’allais pas voter pour un patron comme Macron.

Guy, habitant d'Ecuelle

à franceinfo

Au second tour, il votera pourtant pour l’ancien banquier d’affaires. "Il faut barrer la route au Front national, c’est tout", tranche-t-il.

"Ne croyez pas qu’il n’y a pas d'insécurité ici"

Quelques maisons plus loin, l’une de ses voisines ouvre la porte avec un large sourire. "Je suis celle qui a voté blanc", lance-t-elle. "Dans la famille, on était plutôt gaulliste, observe pourtant la quadragénaire. J’ai hésité jusqu’à la dernière minuteEn glissant une enveloppe vide dans l’urne, j’ai eu peur que les assesseurs se rendent compte qu’elle était plus fine que les autres et que je votais blanc." "Au second tour, je crois que je vais faire pareil, continue cette habitante qui préfère rester anonyme. Ce qui m’énerve, c’est qu’ils nous demandent de faire des efforts mais qu’ils ne montrent pas l’exemple."

"Je comprends que les gens en arrivent à voter Marine Le Pen", confie Claude, ancien garagiste, qui, comme tout le village, ne parle que d’une chose : le meurtre du videur d’une discothèque de Besançon. "Ne croyez pas qu’il n’y a pas d’insécurité ici. Il y en a qui viennent et qui repèrent. Il y en a même qui tentent de piquer dans le garage alors qu’on est dans la maison."

Il faudrait que ça change un coup pour voir ce qu’ils sont capables de faire une fois au pouvoir.

Claude, habitant d'Ecuelle

à franceinfo

Les grands discours d'Emmanuel Macron ont laissé Claude indifférent. Et s'il se défend d'avoir voté Marine Le Pen, il rejoint la présidente du FN sur nombre de ses thèmes de campagne : "Il y a trop de frontières ouvertes. Tout le monde passe. L’Europe, ça ne nous a pas trop arrangé. On est noyé par les marchés extérieurs qui vendent leur camelote moins cher."

"Avec Macron, je ne sais pas s’ils dégoiseraient"

A Ecuelle, le candidat d'En marche ! paraît hors-sol pour les habitants, et si éloigné de leur terroir. "Marine Le Pen descendrait la rue du Lavoir, je pense que les gens arriveraient à lui parler. Avec Emmanuel Macron, je ne sais pas s’ils dégoiseraient, glisse un habitant. Dans le monde agricole, il n’y a pas grand-monde qui nous comprenne. Alors au lieu de voter blanc, ils votent Le Pen."

Les affiches des candidats à l'élection présidentielle placardées dans la rue principale d'Ecuelle (Haute-Saône), le 24 avril 2017. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCEINFO)

Lui qui votait pour Jean-Marie Le Pen, mais plus pour sa fille, n'a pas envisagé non plus une seconde de voter Emmanuel Macron. "François Fillon ou Marine Le Pen ? Dans l’isoloir, j’ai tenu les deux bulletins dans mes mains, j’ai hésité." Mais, assure-t-il, "ça ne sert à rien de voter FN, ils ne les laisseront jamais passer. Au contraire, ils se servent du FN pour rester en place." Et ce "ils" représente "le système", qui inclut l'ancien ministre de l'Economie.

"Marine Le Pen, elle, a un discours qui nous plaît"

"Emmanuel Macron, je ne sais pas… Un gars comme ça, je suis sceptique." Daniel Sarrey, le maire d'Ecuelle, a lui aussi encore du mal, même après des mois de campagne, à cerner le candidat d'En marche !."Marine Le Pen, elle, a un discours qui nous plaît. On apprécie sa façon de parler, sa franchise."

Daniel Sarrey, agriculteur et maire d'Ecuelle (Haute-Saône), le 24 avril 2017. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCEINFO)

Chez les Sarrey, on est agriculteurs depuis trois générations. Le fils va prendre la suite de son père. "Je n’étais pas pour, relève la mère. Aujourd’hui, les agriculteurs ne vivent plus de leur métier. Pourtant, c’est un beau métier et il l’aime. On verra bien ce qui va se passer dans quinze jours. Tout ce que je lui souhaite, c’est du changement."

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