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Législatives : comment Macron a réussi son OPA sur le paysage politique français

La République en marche obtient une nette majorité à l'Assemblée nationale, bien au-delà du seuil de la majorité absolue. La droite et surtout la gauche, elles, sont très affaiblies.

Article rédigé par Sophie Brunn
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Emmanuel Macron sur le perron de l'Elysée, le 16 juin 2017 (NICOLAS MESSYASZ/SIPA / NICOLAS MESSYASZ)

Un peu plus d'un an après avoir lancé son mouvement, Emmanuel Macron remporte une large majorité au Palais-Bourbon. La République en marche obtient 308 sièges à l'Assemblée nationale au terme du second tour des législatives, soit nettement plus que le seuil des 289 sièges requis pour disposer d'une majorité absolue. Avec son allié du MoDem, la majorité totalise même 350 sièges.

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Dans le même temps, les Républicains ont perdu des dizaines de députés – il leur en reste 137 avec l'UDI –, quand le Parti socialiste, lui, réalise le pire score de son histoire. Après avoir réussi à se faire élire président de la République, Emmanuel Macron continue ainsi de dynamiter le paysage politique français. Comment a-t-il réussi ce qui semblait impossible à beaucoup il y a encore quelques semaines ?

Il a profité de la dynamique de la présidentielle

"Les Français sont cohérents : ils nous donneront une majorité pour gouverner et légiférer." Voilà ce qu'Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle, prédisait lors d'un meeting à Bercy à la mi-avril. Les résultats des législatives lui donnent raison. Emmanuel Macron a en fait bénéficié d'une configuration qui s'est vérifiée à chaque reprise depuis 1981, de François Mitterrand à François Hollande en passant par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy : un président élu a toujours obtenu une majorité à l'Assemblée.

Contrairement à ce qu'espéraient certains de ses adversaires, le manque d'expérience et d'ancrage de La République en marche n'a pas empêché le président de bénéficier, à son tour, de cette envie de légitimation des Français. Sur de nombreux marchés arpentés par franceinfo ces dernières semaines – aussi bien à Paris que dans les Yvelines ou la Somme –, un refrain a été entendu à de multiples reprises : "On a envie de lui laisser sa chance", "il faut une majorité pour que ça change"...

On vote principalement pour donner sa chance à ce président qui essaie de fabriquer quelque chose d'un peu différent.

Brice Teinturier, directeur général délégué de l'institut Ipsos

sur France Inter

Cette dynamique pour Emmanuel Macron a bien sûr été renforcée par le déclin des partis traditionnels de gouvernement : ni le PS ni Les Républicains n'ont été en mesure de se qualifier au second tour de la présidentielle. Difficile, dans ces conditions, de mener une campagne victorieuse aux législatives. "Les Français ne vont pas se déjuger et ont envie que ça marche. Et ils en ont vraiment ras le bol des partis politiques traditionnels", constatait, dépité, un dirigeant du Parti socialiste à la mi-mai.

Il a continué à incarner le renouvellement

C'était l'un de ses principaux arguments durant la campagne présidentielle. Emmanuel Macron avait certes été le conseiller de François Hollande à l'Elysée, puis son ministre de l'Economie. Mais, jamais élu, il a réussi à incarner le renouvellement réclamé de longue date par les Français. Pour les législatives, La République en marche a tenu les objectifs fixés par Emmanuel Macron en la matière.

La parité parmi les candidats investis a été parfaitement mise en œuvre. Surtout, plutôt que d'investir des femmes dans des circonscriptions difficiles, voire ingagnables – comme l'ont fait Les Républicains ou le Front national –, La République en marche a veillé à ce que ses candidates aient globalement autant de chances que ses candidats. L'objectif d'une majorité de candidats n'ayant jamais eu de mandat politique a également été respecté, avec un mélange de gens inconnus du grand public et de personnalités jugées légitimes dans leur domaine de compétence : le mathématicien Cédric Villani, l'ancien magistrat Eric Halphen, l'ex-patron du Raid Jean-Michel Fauvergue...

De quoi dissuader des Français redoutant un manque d'expérience politique ? Au contraire. Selon notre enquête Ipsos/Sopra Steria publiée mardi 6 juin, seuls 8% des sondés jugent primordial le fait qu'un candidat ait déjà été député, et 20% qu'il ait une expérience politique.

Les Français pensent que la démocratie ne doit pas être l'affaire de professionnels de la politique.

Renaud Dutreil, ancien ministre, proche d'Emmanuel Macron

à franceinfo

"Ceux qui se disent expérimentés savent comment conquérir le pouvoir, mais pas comment l'exercer, analyse l'ancien ministre Renaud Dutreil, soutien d'En marche !. Leur expérience ne vaut rien car ils n'ont pas obtenu de résultats, ils n'ont pas résolu les problèmes du chômage ou de l'Europe. Aujourd'hui, les candidats de La République en marche ont beaucoup plus de compétences que ces apparatchiks !" Benjamin Griveaux, porte-parole de La République en marche, promet une Assemblée qui évitera "les lois bavardes et les pertes de temps monstrueuses en commission où on fait de l'opposition systématique".

Il a réussi ses premiers pas de président

Emmanuel Macron a aussi réussi à réaliser sa grande OPA car les Français approuvent, pour l'instant, son action. Le début de son quinquennat a même été perçu comme un quasi-sans-faute. Peu importe l'affaire Richard Ferrand, peu importe la blague douteuse sur les "kwassas kwassas"... Selon notre enquête Ipsos/Sopra Steria publiée le 6 juin, 60% des Français sont satisfaits de l'action du nouveau chef de l'Etat. Un chiffre qui grimpe à 96% chez les électeurs LREM/MoDem, mais qui est aussi élevé à gauche (71% de satisfaction chez les électeurs PS et 60% chez les électeurs de droite). Même à l'extrême gauche, 43% des électeurs de La France insoumise se disaient alors satisfaits !

 

Cette confiance a légèrement reculé entre le début juin et aujourd'hui. C'est ce que montre notre enquête Ipsos/Sopra Steria publiée le 18 juin. L'action d'Emmanuel Macron dans différents domaines est un peu moins bien perçue qu'il y a deux semaines. Les Français se disent encore confiants sur les questions de diplomatie (62%), d'éducation (61%), de sécurité (56%). Mais ce n'est plus le cas pour le chantier de la moralisation : 53% ne sont pas confiants. Et c'est pire pour les questions liées au travail et à la fiscalité, sur lesquelles 63% des Français sont aujourd'hui méfiants. 58% des Français pensent ainsi que le recours aux ordonnances pour réformer le code du travail est "une mauvaise chose".

Son positionnement politique l'a rendu central

Les résultats de la présidentielle le montrent : l'électorat de gauche a en grande parti déserté le PS. L'aile la plus à gauche a voté pour Jean-Luc Mélenchon, quand l'aile sociale-démocrate a voté pour Emmanuel Macron. Mais pour disposer d'une majorité à l'Assemblée nationale, le chef de l'Etat avait besoin d'attirer une partie de l'électorat de droite. Pour y parvenir, il n'a pas hésité à multiplier les signaux.

Le président de la République a d'abord nommé trois personnalités issues des rangs de la droite au gouvernement, et les a placées à des postes-clés : Edouard Philippe à Matignon, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin à Bercy. A l'inverse, il n'a repris aucun ministre socialiste sortant, à l'exception du plus populaire d'entre eux, Jean-Yves Le Drian. Résultat : une centaine d'élus LR ou du centre ont signé un appel à travailler avec Emmanuel Macron"La stratégie d'Emmanuel Macron a été de fracturer les deux partis de gouvernement, le PS et Les Républicains, pour que leurs ailes progressistes convergent vers En marche !", explique un proche d'Emmanuel Macron.

Le PS est non seulement fracturé, mais dans un état de coma dépassé. Les Républicains sont fracturés et ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ce parti n'a plus de projet, plus de leader et plus d'unité.

Un proche du président

à franceinfo

Dans la foulée de sa nomination, le gouvernement a lancé deux projets de loi : la moralisation de la vie publique et la réforme du Code du travail. Si le premier peut intéresser l'ensemble des électeurs, nul doute que le second séduit principalement les électeurs de droite. D'autres signaux leur ont été envoyés : le ministre de l'Education affiche sa volonté de détricoter certaines mesures parmi les plus emblématiques du quinquennat Hollande, comme la réforme des rythmes scolaires, le retour des classes bilangues ou du latin, la "réhabilitation" du redoublement... Des mesures accueillies assez favorablement, y compris à droite : ainsi 45% de ceux qui vont voter pour des candidats LR aux législatives trouvent malgré tout que La République en marche fait de "bonnes propositions", d'après notre enquête Ipsos/Sopra Steria.

Enfin, le positionnement de La République en marche a créé un "effet de levier" inédit pour les législatives, qui permet à Emmanuel Macron de réaliser son OPA. Une enquête Ipsos/Sopra Steria a montré qu'en mordant tantôt à droite, tantôt à gauche, les candidats LREM ont été en position de force dans tous les cas de figure. 

 

"Les gens ont complètement intégré la grande intuition macronienne, estime Renaud Dutreil, proche d'Emmanuel Macron. On n'a pas besoin de deux camps, l'un représentant le sérieux budgétaire et l'efficacité économique, l'autre, la justice sociale. Les gens veulent la synthèse entre les deux."

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