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Des entrepreneurs européens veulent couper Google en deux

Plusieurs éditeurs et sociétés, dont des géants des médias comme le français Lagardère Active ou l'allemand Axel Springer, portent plainte contre Google. 

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Quelque 400 sociétés européennes du numérique réunis dans l'Open Internet Project dénoncent le monopole de Google sur les moteurs de recherche, qui lui permet de manipuler "les résultats de recherche afin de promouvoir ses propres services et dégrader ceux de ses concurrents". (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Un front anti-Google, baptisé Open Internet Project, fort de 400 acteurs du numérique, a été lancé en fanfare, jeudi 15 mai, à la Cité universitaire, à Paris lors d'un colloque clôturé par le ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg.  

Ses principaux initiateurs, les groupes de communication Lagardère Active, Axel Springer et CCM Benchmark en tête, ainsi que le Geste (les éditeurs de contenus et services en ligne, une association dont fait partie France Télévisions), ont annoncé qu'ils portaient plainte pour abus de position dominante contre le moteur de recherche auprès de la Commission européenne. Francetv info vous explique pourquoi. 

Que reprochent-ils à Google ?

En trois heures, munis de chiffres, de graphiques, de statistiques et de copies d'écrans Google, entrepreneurs et spécialistes sont venus rappeler les raisons de la colère. Elles sont simples : le moteur de recherche détient aujourd'hui plus de 90% de parts de marché en Europe, autant dire un quasi-monopole.

Or, a expliqué Benoît Sillard, président de CCM Benchmark Group (L'Internaute, Copains d'avant, Comment ça marche...), Google a aujourd'hui "vocation à aller sur toute la chaîne de valeurs : resto, cinémas..." A cette offensive généralisée, a-t-il déploré, "il n'y a pas de contrepouvoirs".

Car assez logiquement, Google a favorisé ses produits ou ses bannières publicitaires, via ce que Christoph Keese, vice-président exécutif du groupe Axel Springer, a appelé l'"unfair search" : des résultats de recherches déloyaux, qui avantagent les produits Google.

Un exemple parmi tant d'autres : vous voulez voyager de Paris à New Delhi ? Google vous propose d'abord comme réponse son service Google Flight, qui lui a valu en 2012 une plainte de ses concurrents Expedia et Trip Advisor auprès de Bruxelles pour abus de position dominante, rapporte Numerama.

Capture d'écran d'une page de résultats du moteur de recherches Google. (GOOGLE / FRANCETV INFO)

 

Une chambre d'hôtel à Barcelone ? Les premiers résultats, aimablement situés sur une carte Google Map, sont des liens publicitaires. Dans le secteur des voyages, Google fait des ravages, énoncés par le PDG de l'agence Voyageurs du monde, Jean-François Rial : les liens y sont mis aux enchères... et la pratique est inflationniste pour le client. Ceux qui ne paient pas apparaissent "en dessous de la ligne de flottaison", pas visibles immédiatement. 

Dit autrement par l'économiste Pascal Perri : Google a changé de métier. "Une entreprise qui réalise 90% de son chiffre d'affaires dans la publicité est une agence de pub. Telle est aujourd'hui la vraie nature de Google."

Cette agence de pub se met au service de ses filiales, comme YouTube, toujours favorisée dans les recherches vidéo, de ses services ou produits, comme Google Flight, Google shopping. Elle se lance, aux Etats-Unis, dans la livraison à domicile, comme l'explique 01business. Et elle a une connaissance et une proximité sans égal avec le client, via les données que celui-ci lui fournit, sans toujours en être conscient (par ses recherches, par son utilisation de Gmail, etc.). 

Quel est l'objectif de la plainte ?

Faire pression sur Bruxelles. Le commissaire européen à la Concurrence, Joaquin Almunia, a en effet déjà négocié avec Google, début 2014, un projet d'accord à la suite d'une procédure pour abus de position dominante.  


Accord en vue entre Bruxelles et Google par euronews-fr

Comme l'explique Numerama, Google devra, sur certains types de requêtes où il entre en concurrence avec d'autres fournisseurs, mieux signaler ses résultats sponsorisés. Et "présenter les offres de ses concurrents exactement de la même manière que les siens"... dans la zone des liens sponsorisés.  

Une place que le moteur, précise Numerama, fera payer aux enchères, trouvant le moyen de gagner de l'argent sur ces concessions anticoncurrence.

Si l'accord préparé par Joaquin Almunia est validé cet été à Bruxelles, il aura force de loi pendant cinq ans. Une période "pendant laquelle aucune autre procédure antitrust ne pourra être lancée en Europe contre Google, sauf bien sûr si la firme de Mountain View ne respectait pas ses maigres engagements", spécifie encore Numerama.

Cette perspective est jugée insupportable par les entrepreneurs de l'Open Internet Project, qui exigent désormais le passage à la vitesse supérieure : que les services en faveur des produits Google n'aient plus d'avantage face à la concurrence, et qu'il y ait une réelle égalité dans les résultats de recherche.

Et Benoît Sillard, le président de CCM Benchmark Group, comme d'autres, réclame désormais une séparation du moteur de recherche du reste de ses activités, afin d'éviter un mélange des genres.  

Peut-elle aboutir ? 

Si la plainte a été déposée le 15 mai, à dix jours des élections européennes, c'est pour qu'elle se retrouve en haut de la pile des dossiers à traiter par la nouvelle Commission européenne, après l'élection, a souligné Benoît Sillard.

Sauf pression majeure, cependant, la Commission a toute chance de poursuivre sur sa lancée et de valider l'accord avec Google.

Aussi les entrepreneurs français et allemands réunis jeudi à la Cité universitaire entendaient-ils d'ici là faire pression sur l'opinion et les politiques, à dix jours du scrutin. L'appel a-t-il été entendu ? Le ministre de l'Economie a clôturé la séance en promettant que la France n'accepterait pas "un accord a minima avec Google". Sans plus de précisions.

La plainte déposée auprès de la Commission européenne par l'Open Internet Project

Compte Rendu Colloque de l#x27;"Open Internet Project le 15 mai à la Cité Universitaire à Paris...

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