Cet article date de plus de six ans.

"On part tous avec des a priori" : un master veut apprendre aux DRH et aux délégués syndicaux à travailler ensemble

Le master négociations et relations sociales proposé par l'université Paris-Dauphine ambitionne de faire partager aux responsables des relations sociales et aux responsables syndicaux la même vision pour mieux travailler ensemble. Franceinfo est allé à la rencontre de la 9e promotion de cette formation unique en France.

Article rédigé par Sarah Lemoine, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Université Paris Dauphine (AURELIEN MORISSARD / MAXPPP)

Laisser plus de liberté à l'entreprise pour signer des accords collectifs est l'une des grandes ambitions de la réforme du code du Travail. Mais pour y parvenir, encore faut-il que les élus du personnel et la direction arrivent à se parler et à négocier. Ce qui, à tout le moins, est loin d'être toujours le cas. Pour comprendre les blocages, franceinfo a rencontré la 9e promotion du master négociations et relations sociales de  l'université Paris-Dauphine. Une formation unique France qui mélange cadres syndicaux et responsables en ressources humaines.

Impossible de distinguer le délégué syndical du DRH

Ce qui est frappant, quand on arrive dans la salle de cours, c'est qu'il est impossible de distinguer le délégué syndical du DRH. Pas de cravate, ni de costume, et blague potache de rigueur. Ce jour-là, Stéphanie Raphaël, la formatrice, les emmène sur le terrain de la créativité. A la disposition des "étudiants" réunis par deux, de l’acrylique, des pastels, de la colle, des feutres. L’exercice qui leur est proposé est de dessiner leur partenaire, leur binôme. "C’est accepter ce que vous voyez, c’est sortir du jugement, du commentaire, c’est faire. En fait, c’est comprendre que si vous sortez de vos idées reçues, vous allez vous apercevoir que vous pouvez faire beaucoup plus que ce que vous imaginez", explique la formatrice.

Edwin est délégué syndical central Force ouvrière chez Airbus Helicopters et saisit bien l'intérêt de l'exercice. "Ce matin, témoigne-t-il, je ne sentais pas en moi quelque chose de très créatif et puis finalement, cela nous a un peu désinhibés, tout cela. Je pense qu’on se met un peu des freins, parfois, dans les négociations, dans les discussions qu’on peut avoir avec nos RH. L’exercice démontre que si nous y allons plus franchement, peut-être que nous arriverons à un meilleur résultat."  

Savoir s’écouter, se respecter, être force de proposition

Vaincre ses appréhensions, s'ouvrir à l'autre, c'est tout l'enjeu de ce master. Deux mois après le début des cours, l'atmosphère s'est décrispée, analyse Karine, responsable relations sociales dans une association humanitaire. "Au départ, je pense qu’on était chacun dans nos rôles et dans nos postures et je pense que ça se voyait même physiquement, le corps parlait. Et, de plus en plus, on se lâche, on a de plus en plus de relations amicales qui se créent. On accorde une très grande confiance à l’autre et on tombe l’armure", raconte-t-elle.

A la fin du master, les 25 cadres syndicaux et responsables RH devront présenter un mémoire par équipe de trois. Il s'agit de produire un accord prêt à l'emploi dans une entreprise ou un secteur professionnel. Une démarche qui séduit Christophe, élu CGT, secrétaire de comité d'entreprise à la SNCF. "On a tous des exemples de négos difficiles parce qu’on part avec des a priori, analyse-t-il. Le syndicaliste, il est borné, il ne veut rien entendre... Le RH, lui, de toutes manières, doit 'faire du moins', et que du moins. Et quand on part sur ces principes-là, on n’arrive pas à avancer. Ce master nous met en réflexion ensemble, il est génial pour ça, et on va chercher des pistes innovantes. Moi, j’ai envie de faire avancer tout ça. Je me dis que faire voir que les syndicalistes, quels qu’ils soient et y compris ceux de la CGT, sont prêts à se former, c’est une preuve qu’on est ouverts, qu’on a envie d’avancer et qu’on a envie d’avancer avec tout le monde."

Une remise en question constructive 

Entre théorie et pratique, les cours poussent chaque participant à s'interroger sur sa pratique personnelle du compromis et de la négociation. Precillia, responsable RH dans une entreprise de 1 400 salariés, a déjà identifié un de ses points faibles. "Je me rends compte que j’ai quand même des défauts qu’il va falloir que j’améliore. Je suis, en qualité de RH, assez individualiste, je ne transmets pas beaucoup d’informations et je me suis rendue compte, dans un jeu qu’on a fait aujourd’hui, que si je ne transmets pas de ces infos, je bloque tout le reste du groupe. Donc il est important qu’on communique, qu’on se fasse confiance, pour éviter des climats sociaux compliqués et pour avancer ensemble."  

L'idée de créer ce master est venue d’un homme au parcours singulier. Il s'appelle Gérard Taponat. Il a été ouvrier métallurgiste, délégué syndical, puis DRH dans de grandes entreprises. Fervent promoteur d'un dialogue social rénové de l'intérieur, il rencontre malgré tout des oppositions. "La première opposition est celle de vos pairs qui vous disent que finalement, en tant que DRH, vous êtes en train de fournir aux partenaires sociaux, je n’ose pas dire à l’autre camp, vos techniques de négociation et vos stratégies. Et du côté syndical, on a certains leaders syndicaux qui vous disent qu’il n’est pas question d’aller se former avec des patrons, encore moins des DRH, et dans une université de gestion."

Le master rencontre un franc succès

Malgré ces réticences, le master négociations et relations sociales de Paris-Dauphine connaît un franc succès. Et les anciens étudiants, comme Lemonia, déléguée syndicale centrale Unsa à la SNCF, en sont les meilleurs promoteurs. "Dans mon syndicat, on me reconnaît des qualités que je n’avais pas avant en termes de négociation. J’y vais beaucoup plus apaisée, avec la volonté de proposer des solutions qui permettent d’avoir une porte de sortie et non pas un frein d’opposition, en particulier dans une entreprise comme la mienne où on fait souvent grève avant d’essayer de trouver une solution", reconnaît la syndicaliste, qui souhaite désormais passer de l'autre côté du miroir en intégrant les ressources humaines à la SNCF.

Un master veut apprendre aux DRH et aux délégués syndicaux à travailler ensemble : le reportage de Sarah Lemoine

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.