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Stéphanie Gibaud, lanceuse d'alerte : "On me considérait comme un insecte, il fallait m'écraser"

Les prud'hommes ont reconnu que l'ancienne responsable de l'organisation d'évènements pour la branche française de la banque UBS avait été harcelée en raison de ses révélations.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Stéphanie Gibaud, ancienne employée de la branche française d'UBS, jeudi 5 mars 2015 devant le conseil des prud'hommes de Paris. (  MAXPPP)

Il est un peu moins de neuf heures, ce jeudi 5 mars, lors qu'elle arrive devant le conseil des prud'hommes. Stéphanie Gibaud est visiblement troublée lorsqu'elle aperçoit le parterre de journalistes et de syndicalistes qui l'attendent. "C'est hyper émouvant de voir autant de monde aujourd'hui. J'ai été si seule, toutes ces années", lâche la quadragénénaire avant de passer les deux portes automatiques de l'imposant bâtiment du 10e arrondissement de Paris. Dans quelques minutes, elle apprendra l'épilogue de ce qu'elle désigne comme une "descente aux enfers", qui a débuté en 2008.

UBS poursuivie après ses révélations

Cette année-là, la vie de Stéphanie Gibaud bascule. Responsable du marketing dans la branche française de la banque suisse UBS depuis 1999, elle prend conscience, à la suite de révélations d'un employé américain, qu'elle est un rouage essentiel dans un système d'évasion fiscale présumé mis en place par son employeur.

Les évènements qu'elle organise régulièrement pour le compte de sa banque auraient eu pour but de mettre en relation des chargés d’affaires suisses avec des clients français. Objectif : leur faire ouvrir des comptes en Suisse, pour la grande majorité d’entre eux non-déclarés au fisc français. Elle porte plainte contre son employeur en 2009, et finit par être licenciée en février 2012, après avoir été harcelée et mise à l'écart au travail. A la suite de ses révélations, UBS a été poursuivie pour blanchiement aggravé de fraude fiscale, et a dû signer un chèque de caution d'un montant record de 1,1 milliard d'euros.

"C'était une véritable prise d'otage"

Christine a tenu a être présente pour épauler son amie lors de cette journée où se termine une longue bataille juridique. "J'ai été très choquée par ce qu'a vécu Stéphanie durant ces sept années, c'était une véritable prise d'otage", explique-t-elle, accompagnée de l'un des fils Gibaud.

Je me suis retrouvée seule face à une violence inouïe, dans un système où l'on me considérait comme un insecte. Un insecte qui dérange, qu'il fallait écraser.

Stéphanie Gibaud

Francetv info

Lors de la confrontation organisée quelques semaines plus tôt, UBS n'a cessé de contester les allégations de son ancienne employée. "Oui, des événements promotionnels ont été organisés. Oui, comme dans tous les groupes bancaires, il existe des collaborations entre les filiales. Mais non, il n’y a pas eu de démarchage illégal pour attraper des clients", avait alors expliqué au quotidien suisse Le Temps l'un des avocats de la banque.

Pour UBS, Gibaud ne serait en fait qu'intéressée par l'argent. L'ancienne responsable du marketing de l'établissement bancaire, qui assure ne plus pouvoir trouver de travail en raison de sa réputation d'empêcheuse de tourner en rond, réclame en guise de réparation à UBS l'équivalent en salaire des 18 années qui la séparent de la retraite. Endettée, elle vit actuellement des minima sociaux, et donne quelques leçons d'anglais pour subvenir aux besoins de sa famille.

"30 000 euros pour une carrière brisée"

Un peu moins d'une heure après être entrée aux prud'hommes, Stéphanie Gibaud sort du bâtiment, accompagnée de son avocat. Leurs mines sont graves. "Le conseil des prud'hommes a reconnu UBS coupable de harcèlement moral à l'encontre de Stéphanie Gibaud", déclare aux journalistes Me Bertrand Repolt. "Il s'agit d'une véritable victoire morale, d'un aboutissement. Il est aujourd'hui établi que Stéphanie a été harcelée parce qu'elle a lancé l'alerte. Il s'agit d'une étape fondamentale pour les personnes qui sont dans la même situation qu'elle". Le dédommagement, en revanche, n'est pas à la hauteur des attentes : 30 000 euros. "Pour une carrière brisée, ce n'est rien du tout", soupire une responsable syndicale.

Stéphanie Gibaud prend le relais : "Il était important pour moi que le harcèlement dont j'ai été victime soit établi. J'ai entendu que je mentais, que je méritais d'être punie. Mais la justice m'a donnée raison. De ce point de vue, c'est énorme, car ce jugement peut servir pour les autres membres de la famille des lanceurs d'alerte. Mais je suis loin d'être réparée, que ce soit psychologiquement ou professionnellement". Et de continuer, des sanglots dans la voix :

Cela a été un investissement énorme à titre personnel. J'ai abandonné ma carrière et une vie normale. Mes enfants ne savent pas quoi répondre lorsque leurs copains leur demandent à l'école ce que fait leur maman.

Stéphanie Gibaud

Francetv info

La lanceuse d'alerte se réserve la possibilité de faire appel de la décision des prud'hommes. Dans un communiqué, UBS France a de son côté indiqué "prendre acte de ce jugement. (...) Au regard des motivations du jugement et des faibles montants accordés par le conseil des prud’hommes à Stéphanie Gibaud (2,6% des 1,7 million d’euros demandés), la banque ne fera pas appel de cette décision". L'enquête pénale portant sur le blanchiement aggravé de fraude fiscale, elle, continue.

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